Marchant sur les traces de l’électro minimaliste anglaise de ce début de siècle, Duologue y distille une pop souffreteuse et délicatement glaciale.
Ne cherchez pas d’informations concernant le groupe sur Internet ; à part en parcourant leur site officiel, il n’y a rien. Ni page Wikipedia, ni réponses sur leur profil Facebook. Seulement des comptes disséminés sur les réseaux sociaux, subrepticement, afin d’entrer en contact avec eux. La discrétion semble donc de mise, la sobriété autant que le besoin de ne pas en dire trop, de laisser la musique parler à leur place. Et force est de constater que leurs albums contiennent une immense part d’intimisme et de mystère, encourageant à trouver les indices parsemés le long de plages électroniques discrètes et sincères, dans une démarche respectueuse et intelligente. « Never Get Lost », leur nouvel effort, délie pourtant les langues ; mais elles murmurent, elles soupirent, elles expirent. Et n’expriment que ce qui est nécessaire, sans ajouter de paroles insipides et inutiles.
L’ombre des artifices expérimentaux auxquels les musiciens anglo-saxons nous ont habitués depuis une dizaine d’années plane, immuable, sur des compositions éphémères, directes et franches. Entre mélodies proches de The Notwist (Correctress, Memex) ou influences bercées par les tentatives imprévisibles de Thom Yorke (Sibling, This Is Happening), les Londoniens fouillent les cendres encore chaudes de feux de camp à l’abandon, laissés lors des étapes du pèlerinage vers le minimalisme harmonique auquel tous ces artistes nous ont invité ; ces routes faites de virages et de demi-tours, de chemins de traverse et de mousses sonores étouffant les bruits blancs pour ne garder que l’essence du genre. C’est dans ce contexte plus naturel qu’il n’y paraît que Duologue s’écarte des sentiers battus (et trop souvent mal rebattus) pour s’enfoncer dans les ronces noires d’une pop déchiquetée mais attendant d’être dégagée de ses prisons naturelles, ces mauvaises herbes radiophoniques qui l’ont étouffée (Forests, Traps). Désagrégée et désespérée, elle parvient cependant à éclairer un milieu ambiant froid et humide, réchauffant le climat de pistes aussi brumeuses que la pochette de l’album elle-même (All Night Shows). Ainsi libérée, elle explose littéralement dans un éclair pourtant mesuré mais à la mélodie techno et à la densité impressionnantes et bouleversantes (Parts Of Blame).
« Never Get Lost » est une chute inexorable dans l’abîme d’une musique palpable, car emplie de rythmes cardiaques énergisant chaque membre, corps et esprit. Porté par des moments vocaux superbes et androgynes, il achève de poser, sur les routes grises et tumultueuses de la création, les pierres polies de la vérité mélancolique et harmonique que chacun est en droit d’attendre, le soir, alors que la température diminue au dehors et que le gel vient embuer les vitres de voitures bloquées sur un verglas qui paraît impossible à chauffer. Stoppé dans sa progression quotidienne, l’auditeur préfère laisser les particules négatives s’immiscer dans l’habitacle, les savourant comme un cocon paralysant autant que bénéfique. Le cœur ralentit, les organes se figent pour se concentrer paisiblement sur les subtils échos de titres incroyablement hypnotiques. Vague polaire impossible à exprimer par des mots usés jusqu’à la corde, l’album engourdit les langues, réduit au silence et resplendit dans la lumière déclinante des phares, qu’ils soient aussi bien ceux de voitures abandonnées que de côtes balnéaires sur lesquelles le brouillard est tombé, chargé d’esprits bienfaiteurs et devant lesquels on ne peut que s’incliner pour mieux écouter leurs histoires mélancoliques et tristement évocatrices.
En créant ce nouveau disque, Duologue offre un diamant noir aussi pur que magnifique ; à écouter calmement, dans un silence presque religieux, et seul.
« Never Get Lost » de Duologue, disponible depuis le 9 septembre 2014 chez Wild Game Records.
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