[LP] [Exclusivité] Dragon Rapide – See The Big Picture

Quand un groupe se dote de l’un des noms les plus cools de l’univers, il se doit de méchamment assurer derrière. Justement, Dragon Rapide déboule sans prévenir avec un album tonitruant, au titre évocateur de « See The Big Picture ». Heureux mélange de mélodies imparables et d’envolées rythmiques jouissives, la matière musicale de ce LP a ce petit quelque chose de totalement irrésistible, capable de nous emballer, l’air de rien, sur une quarantaine de minutes joyeusement gourmandes et intelligemment régressives. Devant un tel bonheur, une exclusivité sur indiemusic est donc apparue comme une évidence au sein de notre rédaction, pour célébrer le caractère extatique d’une musique indépendante décomplexée, qui nous motive chaque jour à vous faire découvrir toute la richesse de l’émergence en France.

La scène indépendante n’a pas les moyens de la grosse industrie. Pour exister, elle n’a souvent comme choix que de se concentrer sur l’essence même de son existence : s’ouvrir des espaces d’expressions à côté des circuits médiatiques dominants, en se concentrant sur le triptyque basique mais essentiel – écriture, composition, son. Une nouvelle fois, le label indé Freemount Records s’investit donc, avec cet amour artisanal passionnel, sur une très belle sortie long format, qui mérite toute notre / toute votre attention (après, devons-nous le rappeler, des références remarquées, comme le dernier album de The Marshals ou celui d’Adam Wood). Depuis les premiers pas des Beatles aux débuts des années 60, une intention s’est imposée dans la musique pop : donner vie à des hits immédiats, évidents et déjà éternels, non pas basés sur des recettes odieusement calculées mais, bien sûr, sur cette quête de la chanson parfaite (que Paul McCartney maîtrise comme personne). Ce que qualifiait d’ailleurs il y a des années, avec beaucoup d’impertinence et de mépris, le grand Gainsbourg, devant un Guy Béart médusé, comme la pratique d’un art mineur.

Pourtant, cet art, noble s’il en est, a considérablement irradié les cultures populaires et alternatives occidentales. Chaque période a engendré ses experts en la matière pour inscrire dans le marbre des petits trésors d’ingéniosité et de créativité. Nos amis de Dragon Rapide viennent donc tout simplement de graver, dans le sillon, une sérieuse collection de tubes intense et malicieuse. Bien sûr, comme dans les plus belles années des « nineties », Sylvain, Pog et Jimmy ont recouvert leurs belles mélodies d’un vernis sonore bruyant et énergique, pas si éloigné que ça d’une vision punk, candide et amusée de la musique. Ainsi, nos trois musiciens ont certainement les oreilles rivées sur les albums américains cultes de l’année 1994, comme ceux de Built To Spill (« There’s Nothing Wrong With Love »), de Sebadoh (« Bakesale »), de Weezer (« Weezer ») de Pavement («Crooked Rain, Crooked Rain »). Pourtant, des morceaux comme « Nostalgia », « Astoria » et « Soon A Son » répondent également, et fièrement, à l’insolence des Kinks, à la décontraction des Modern Lovers de Jonathan Richman et, pourquoi pas, aux obsessions des Saints. L’histoire du rock est, de fait, un éternel recommencement, une succession de contagions, d’emprunts et de réinventions. De ce fait, la piste du pays des Kangourous (et des Rockers) pourrait servir notre propos, tant les musiciens australiens ont su historiquement s’emparer des sonorités anglo-saxonnes pour leur apporter ce décalage décisif et jubilatoire. Dans ce contexte, Dragon Rapide, de par sa fraîcheur intrinsèque et communicative, évoque sans problème (notamment sur « Something New »), un proche cousin, le fameux Noise Addict de Ben Lee, formé en 1993 du côté de Bondi Beach, à côté de Sydney. A l’instar du trépidant « Meet The Real You » (sorti en 1995 sur le label des Beastie Boys), « See The Big Picture » se transforme en joyeux bazar organisé, débordant de cette envie de revisiter la matière rock’n’roll dans une vaste blague adolescente et inutile, mais néanmoins vitale dans le train-train de la modernité post-industrielle.

À l’ère du tout numérique, il est franchement jubilatoire d’entendre que cette approche viscérale et garage de l’objet rock est toujours d’actualité. Notre trident complice, fièrement articulé autour d’une indémodable basse-batterie et survolé comme il se doit par une guitare joueuse et agile, distille un addictif groove pervers et bancal (flagrant sur « Odyssey ») sans vraiment se poser de questions. Des chœurs en veux-tu en voilà, des gimmicks qui restent gravés dans le cerveau, comme ces fameux « Turn around » sur « Bummed », frappent en plein dans le mille. L’humeur générale de « See The Big Picture » ravive l’idée d’une musique alternative libérée et sans complexe, dans la lignée des meilleurs épisodes du label K Records, des Beat Happening et autres Chain&The Gang. Sur l’intro de « Bummed », Dragon Rapide provoque même (pacifiquement) le groupe multi-platiné Phoenix sur son propre terrain, en lui rappelant qu’au début des années 2000, le simple plaisir de jouer donnait de petits bijoux de simplicité comme le hit « Too Young » des Versaillais.

crédit : Jef Normandin

Sous l’impulsion d’une sacrée bande de tauliers auvergnats – et, parmi eux, Olivier Perez, le leader de Garciaphone, au mix -, les treize titres de « See The Big Picture » ne manquent absolument pas d’ambition et révèlent au grand jour toute la pertinence heureuse de Dragon Rapide, en ces temps de normalisation de la musique en général. En guise de conclusion, indiemusic est particulièrement fier d’être associé, à sa modeste échelle, à l’une des premières grandes surprises indé de 2018, de même qu’à un LP qui ne manquera pas de pénétrer très rapidement votre cerveau et vos oreilles curieuses.

« See The Big Picture » de Dragon Rapide, sortie le 2 février 2018 chez Freemount Records.

La Release party de l’album aura lieu le 2 février 2018 au Fotomat à Clermont-Ferrand, lors d’une alléchante Freemount Party Volume 2.


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Laurent Thore

Laurent Thore

La musique comme le moteur de son imaginaire, qu'elle soit maladroite ou parfaite mais surtout libre et indépendante.