[Interview] Dominique A

Dix minutes montre en main ; c’est ce que l’on appelle une interview express. Surtout lorsqu’on est amené à rencontrer une immense figure de la chanson française et que des tonnes de questions se bousculent dans la tête. « Je ne sais pas ce que je vais pouvoir raconter en si peu de temps », nous dit gentiment Dominique A alors qu’il nous reçoit dans les salons de l’Hôtel de Ville. Et pourtant

crédit : Emmanuel Brasseur
crédit : Emmanuel Brasseur
  • Ton dernier album, « Éléor », est comme porté par un souffle océanique. Il y est question de vagues, cap et océans, mais aussi de destinations imaginaires… S’il y a voyage, est-il intérieur ?

Il y a en effet une balance entre des personnages projetés dans des lieux faramineux et, en même temps, reliés à leur intériorité. J’aime ce contraste-là, cette espèce de tension que ça suscite. Je suis dans ce rapport-là depuis une dizaine d’années. « Éléor », je le rapproche d’ailleurs d’un disque fait en 2006, « L’Horizon », où il y avait également ces personnages inscrits dans des paysages et de grands espaces. Cette dimension en rapport avec un état intérieur, c’est une balance naturelle dans mes chansons. C’est récurrent, même si le cadre dans lequel se déroulent les histoires s’est élargi avec le temps. Mais au final, ce sont toujours les mêmes histoires.

  • « Eléor » est, selon toi, l’album le plus abouti. Tu peux nous en expliquer les raisons ?

C’est finalement une sensation difficile à expliquer. Je ne dis pas que c’est le plus réussi, mais le plus abouti, dans le sens où il a été poli jusqu’au dernier bouton de guêtre. Il a vraiment été bichonné. Chaque son, chaque mot et chaque note ont été choisis, réfléchis. Rien n’a été laissé au hasard. La période a été longue entre les premières prises, les prises définitives, les mixages… alors qu’auparavant, ça allait plutôt vite en studio. C’est en ce sens-là que j’ai cette sensation d’un album très abouti.

  • Toi qui aimes travailler dans l’urgence, ça n’a pas dû être facile…

C’est vrai, je me suis un peu fait violence ! Mais c’est aussi lié à un événement personnel, la naissance d’un enfant. J’étais donc obligé de ronger mon frein. Une fois l’album fini dans sa phase d’enregistrement et de mixage, il y a eu un temps de latence assez long. On a préparé le terrain, on a fait des images… Là aussi, on a travaillé beaucoup plus en amont que par le passé, mais j’ai vu les vertus de la chose, en fait. Cette attente, cette sensation d’être dans une rétention d’énergie, ne sont pas désagréables. Alors évidemment, quand le disque sort, il a une existence assez lointaine dans ma tête. C’est la réaction des gens qui réactualise un peu toute l’histoire. Cela devient à nouveau du présent.

  • Tu as aussi signé un livre, « Regarder l’océan », paru en avril. Ton travail sur l’écriture relève souvent de l’autobiographie. Pourquoi ?

La littérature me permet d’être frontalement sur un terrain autobiographique et d’aborder l’écriture d’une façon totalement différente. Je suis alors dans un rapport aux mots qui m’intéresse, me passionne et me questionne. Ça ne nourrit pas forcément mes chansons ; ça me permet justement d’aller sur d’autres terrains. Le fait que ce soit autobiographique, c’est par défaut et par incapacité à écrire autre chose en prose. D’ailleurs, ce travail était déjà amorcé en 2012 avec le livre « Y revenir », qui a trait notamment à la mémoire.

  • C’est aussi le thème du documentaire qui t’est consacré, « Mémoire vive » de Thomas Bartel…

Oui, la mémoire est encore remise sur le tapis. De toute façon, ce sera toujours le sujet. Je pense que je vais tourner autour du pot ad vitam æternam (rires) !

crédit : Emmanuel Brasseur
crédit : Emmanuel Brasseur
  • Quelle distinction fais-tu entre écriture littéraire et écriture musicale ?

L’écriture littéraire est plus mortifère, puisqu’elle s’arrête aux mots, à l’impression du livre. L’écriture musicale est toujours en devenir. Il y a une vie après, une vie scénique notamment. Et puis, il y a surtout un travail de groupe à partir d’un matériau que je ramène. La chanson est un point de départ dans un cas ; le texte est une fin en soi dans l’autre. L’enjeu n’est pas du tout le même.

  • Et tes morceaux naissent-ils du désir d’un son ou d’un mot ?

Un disque naît sur le désir d’un son, une chanson sur le déclic lié à un mot. Parfois, je me dis « Tiens, ce mot-là, je ne l’ai jamais chanté ». Ce sont des mots simples, des mots usuels. C’est marrant, parce que c’est vraiment une mécanique. Quand je sors un disque ou débute une tournée, je ne peux vraiment rien écrire. Il peut ne rien se passer pendant des mois. Et lorsque la machine se remet en route, tout s’enchaîne un peu miraculeusement. C’est toujours une surprise, car je ne sais pas qui appuie sur le bouton (rires). En ce moment par exemple, ça commence à redémarrer, mais ça faisait un an que je n’avais rien écrit. C’est long. Sur scène, j’ai parfois l’impression de travailler sur les chansons d’un autre et de me présenter comme celui que je ne suis déjà plus. C’est assez bizarre !

  • La scène, parlons-en justement. Dans quelques heures, tu joueras sur le parvis de l’Hôtel de Ville. N’est-ce pas compliqué pour toi de te produire sur une telle scène alors que ta musique invite à prêter une oreille attentive pour s’ouvrir aux mots ?

Oui, c’est vrai que c’est compliqué. Enfin, c’est peut-être plus compliqué pour le public que pour moi ! Je ne me mets pas trop de pression, car je sais bien que c’est un exercice qui n’est pas naturel pour un mec comme moi. Le plein air, ce n’est pas là où je suis le plus à l’aise. Notre répertoire n’est pas adapté à ça. C’est à la fois une erreur de casting, mais en même temps un exercice de style que j’aime bien. Et puis, Fnac Live est un beau festival : la programmation est super, le cadre aussi. L’intérêt est également de rencontrer un public qui ne nous connaît pas encore.

  • En live, vous revenez à un trio guitare – basse – batterie ?

Oui on a fomenté ça en trio ; une formule assez simple que j’aime bien. C’est vraiment la base avant que les cordes arrivent, mais que l’on ne retrouve pas en concert. Nous sommes quatre sur scène : c’est un choix qui permet de revenir à la base des chansons. Mais idéalement, j’aimerais que l’on soit dix-huit sur scène… enfin, pas tout le temps, remarque !


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Solène Patron

photographe de concerts, férue des concerts énergiques et vivants