[Interview] Dick Annegarn

Dick Annegarn est né aux Pays-Bas, a grandi en Belgique et a le cœur en France depuis 40 ans. Ses mots, son phrasé, ses instruments, sa grande gueule en font un troubadour et un trublion quasi idolâtré depuis la sortie de son premier album enregistré en 1972 (avec le pognon piqué à Moustaki). « Bruxelles », « Sacré géranium », « Mireille » seront les premiers morceaux à ancrer une carrière dont il mettra un terme relatif en s’isolant sur une péniche.
Car cinq albums et des centaines de dates plus tard, lassé de la routine et de voir les « vautours du show-business » comme il le dit se partager la recette alors que lui gagne tout juste de quoi vivre, il claque la porte et se réfugie donc sur un bateau en bord de Seine en espérant couler des jours plus heureux. Un maudit Dick sous l’eau qui ne restera pas pour autant inoccupé, choisissant un mode opératoire plus underground pour travailler avec des sommités telles que Richard Galliano et Robert Pete Williams.

crédit : Nicolas Nithart

Il aura fallu attendre en 1997 la main tendue et libératrice de la maison de disques Tôt ou Tard pour faire reprendre sa place à Dick Annegarn sur le devant de la scène. Et voir d’autres mains connues se tendre vers lui, qui en geste d’amitié ou d’amour, qui pour lui prêter renfort ou l’honorer sur un disque hommage intitulé « Le Grand Dîner » où Bashung, Souchon, Chédid, Boogaerts, Fersen, Nataf, Christophe, Arno, Arthur H. apportent leur tribut pour ce tribute mémorable. Qui sera suivi de nouveaux albums plus ou moins régulièrement délivrés, toujours avec une authentique créativité et sincérité.
Celui qui réunit maintenant une quatrième génération avec ses chansons subtiles, intimistes, revendicatrices ou allumées (Salut C’est Cool a repris récemment « La Transformation ») est venu du Sud-Ouest nous conter sa vie qu’il mène d’une main de maître.
Depuis le jour où il a quitté son pays natal dont il disait : « C’est tellement petit et tellement plat que tu peux t’asseoir sur une chaise et embrasser tout le pays du regard ! ». De là à dire qu’il a un petit vélo dans la tête

  • Bonjour Dick. Merci d’être avec nous. Qu’est-ce qui vous motive aujourd’hui à être un peu plus sur le devant de la scène par rapport à une époque où vous étiez presque « caché » ?

C’est un anniversaire important (40 ans de scène), bien qu’on voit dans le rock des gars comme Mick Jagger sur scène qui ont plus de 70 ans. Moi j’avais pris ma retraite à 25 ans, au moment où on demande aux jeunes de s’intéresser à une culture vieille, car je n’avais pas envie de fournir cette frénésie, cette puissance comme seul élément d’intérêt. C’est à moi maintenant de m’intéresser aux jeunes. Le sport, la beauté, la jeunesse, il n’y a pas que cela ! Le blues, la chanson, le jazz sont des musiques qui ont commencé par de musiques de vieux. La musique classique aussi est connotée vieux. Et pourtant, on a des orchestres jeunes, on a de la chanson jeune et là, par exemple, je viens de créer un spectacle a capella avec des jeunes slameurs. J’ai créé une association qui s’appelle Les Amis du Verbe et on est tous les jeudis sur la place du capitole de Toulouse… et c’est moi le plus âgé ! J’ai besoin intellectuellement de ces jeunes, il y a le fils de ma voisine qui vient d’avoir dix-huit ans et qui vient découvrir « Folk Talk » (album de reprise de la musique populaire américaine par Dick Annegarn), un disque avec des chansons bien plus anciennes que moi encore. Saviez-vous que « Le Pénitencier », chanté par Johnny Halliday, a été déposé pour la première fois en… 1850 ! Il y a plus de 150 interprétations de cette chanson qui est rafraîchie en permanence. Quand les jeunes écoutent des chansons qu’ils pensent neuves, souvent c’est d’inspiration ancienne. Et moi, je me suis inspiré de blues, de folk, de chanson française… sans jamais vraiment me considérer comme vieux.

  • On vous connaît notamment à travers vos bons mots et vos paroles. Vos chansons ne prennent pas une ride…

Oui, comment dire… je pense à Matthieu Boggaerts qui est venu me chercher genre à 45 ans. Il me dit « Monsieur, [tout cela], est-ce que je peux passer en première partie de vous ? » Je lui ai dit non, que je ne chantais plus, que je n’avais plus de travail, mon gars, mais qu’on pouvait prendre la route ensemble… lui me disait qu’il écoutait mes chansons quand il avait quatre ou cinq ans. Une journaliste qui vient de m’interviewer m’a dit que son enfant de 6 ans écoutait mon dernier disque… les enfants de Dany Boon connaissaient mes chansons par cœur avant même qu’elles ne soient enregistrées !

Je vais et j’anime dans les écoles. Franchement, faut pas les faire chier les mômes. Ils ont leur prof déjà donc en tant qu’intervenant extérieur, si c’est pour leur faire la morale, ça ne les intéresse pas. Je les amuse, leur apprends comment est faite une chanson. On fait des jeux comme le téléphone arabe où on se dit une phrase qu’on se répète à plusieurs passeurs. Et on voit au final ce qu’il en reste. Je leur explique le travail de la mémoire, comment une chanson reste. Il ne suffit pas d’avoir un séquenceur, un dictionnaire de rimes et de dire des bêtises pour que cela marque. Avec les enfants, les ados et les « adulescents », je joue tout simplement. Avec les mots, les musiques, les formules. Je ne suis pas un passeur, du style prend mon message et apprend cela par cœur, car je vais bientôt mourir. Non, je donne envie de créer…

  • … avec un pouvoir transgénérationnel indéniable. Il y a peu d’artistes malheureusement aujourd’hui qui ont cette faculté, ce pouvoir, cette magie comme vous ou une Anne Sylvestre par exemple…

Sur la place du Capitole, il y a une « ancienne » qui vient rire d’Anne Sylvestre comme un poème drôle, comme une harangue, comme un slam. Elle fait partie de ces auteurs qui durent par la qualité de leur verbe. À partir du moment où il y de l’intelligence et de l’humour, ce n’est pas connoté. Quand c’est lourd et que cela fait la morale, cela devient vite pénible.

  • Qu’est-ce qui vous a fait accepter de venir au Printemps de Bourges 2015 ? Vous étiez déjà venu ?

J’étais là la première année en 1977 ! En fait, ils m’ont ré-accepté, car pendant vingt-cinq ans, ils n’ont pas voulu me programmer.

  • Vous étiez oublié ou banni ?

Certainement pas oublié ! J’ai des casseroles, j’ai des râteaux, je suis libre donc je parle. Au départ, le Printemps de Bourges était un collectif d’artistes associés. Au bout d’un an, quand j’ai demandé où étaient les artistes associés, je ne faisais plus partie de la party. Car ce que je pensais être un collectif était en fait une agence de spectacle, relativement marchande. Je croyais que le Printemps de Bourges allait être comme une prolongation de mai 68… sous les pavés la plage… en tout cas je l’avais comprise comme cela. C’était quand même des gens assez engagés pour créer des lieux moyens, le circuit des inouïs était une volonté de créer une alternative. Et quand j’ai commencé à poser des questions sur les alternatives ; les problèmes ont commencé.

  • Et donc votre motivation d’y aller ?

C’est un peu un passage professionnel ; on espère que des pros vont venir voir le spectacle et qu’ils nous programment. J’ai pas de vibrations particulières pour la ville de Bourges, je ne vais pas me la péter en disant « Chouette, je suis revenu à Bourges » !

crédit : Nicolas Nithart
crédit : Nicolas Nithart
  • Avec cette nouvelle génération qui se met à vous apprécier, avez-vous l’impression comme cela de boucler la boucle et de redémarrer quelque chose avec de nouvelles oreilles qui vous écoutent ?

Vous avez parlé de transgénérationnel… j’aime bien cette notion de génération ; c’est un moteur, un générateur ou même un géniteur. C’est actif. Sur YouTube, j’ai créé La Chaîne du Verbe qui va être la somme de ce qui reste d’une part et de ce qui est innové. À Pézenas, j’ai enregistré un jeune qui voulait chanter une chanson, en lui disant que cela devait sans auteur et faire partie du folk français. Il commence alors à faire du beatbox en chantant « Vent frais, vent du matin ». Il alternait un couplet de chanson, un couplet en beatbox et un couplet de sa création. Et voilà, je contribue au folk et j’y rajoute mon couplet. Et les jeunes continuent cela. Dans un joli français, mais aussi en occitan, en berbère, en corse, en chti, en alsacien… la multiplicité des langues et des identités contribuent à ce grand folklore.

  • Vous écrivez aussi en ce moment ?

Mon dernier opus « Vélo Va » a presque deux ans. Actuellement, c’est le vélo qui va. D’ailleurs, on amène des vélos sur scène… c’est pareil, le vélo c’était ringard, hippie, scout ou je ne sais quoi il y a quelques années. Le Tour de France était un vieux monde. Aujourd’hui, le vélo c’est l’avenir… mais pour moi la roue tourne.

Tiens d’ailleurs, j’ai perdu un centimètre il y a quelques mois en me cassant une vertèbre sur scène. Je ne me vois pas comme Aznavour ou Gréco chanter à plus de 90 piges sur scène. J’ai l’avenir derrière moi, c’est sûr. Je ne vais pas militer dans le jusqu’au-boutisme du chanteur qui tient le coup… alors maintenant, c’est moi qui fais chanter les autres !

Dick Annegarn - Vélo Va

  • Ce vélo n’est-il pas un peu parfois dans votre tête ?

(sourires) Oui, oui, oui, le vélo, c’est un peu la folie aussi… j’ai un vélo sur le nez aussi avec mes lunettes ! C’est une mécanique, c’est une invention permanente, c’est un paysage, c’est un voyage, c’est une invitation.

  • Prêt donc pour faire chanter les nouvelles générations ?

Il y avait une longue file d’enfants ici devant ma salle de spectacle. En fait, je me suis aperçu qu’ils attendaient pour les toilettes (rires). Plus sérieusement, j’ai les grands-mères, les papas et maintenant les enfants dans mes salles et cela c’est plutôt bon signe !


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Nicolas Nithart

grand voyageur au cœur de la musique depuis plus de 20 ans