[Live] Depeche Mode au Sportpaleis d’Anvers

Depeche Mode. Le groupe de synthpop à l’électro industrielle originaire de Basildon, que l’on ne présente plus, continue d’insuffler son esprit de révolte via sa tournée internationale, le Global Spirit Tour.

crédit : Marcel de Groot

Anvers. À l’approche des festivités, le public est d’ores et déjà intenable. Il faut dire que le Palais des Sports de la ville flamande compte parmi les salles les plus « intimes » – Si l’on peut dire, Depeche Mode étant depuis leur 101ème concert au Rose Bowl à Pasadena en 1988, un groupe dit « de stades » – puisqu’elle affiche environ vingt mille places, contre pas moins de quatre-vingt mille au Stade de France. Soit quatre fois moins. Qui plus est, par un heureux hasard, le groupe donnait un concert ici-même le 9 mai dernier, jour de naissance du frontman. Et les fans, jamais en reste lorsqu’il s’agit de témoigner de leur ferveur, avaient préparé une ovation spéciale pour Dave Gahan. La convivialité de l’endroit, couplée à la complicité installée entre Depeche Mode et leur public, annonçait alors un concert des plus spectaculaires.

Les festivités s’ouvrent sur un extrait de « Revolution » des Beatles, entonné par John Lennon. Choix cohérent et pertinent, clin d’œil au titre phare de « Spirit » («Where’re the Revolution »), le dernier album du groupe paru le 17 mars 2017. Et le double discours, toujours présent chez Depeche Mode, s’installe dès le début du concert. Le premier, accessible à tous, se fait sautillant, rassembleur, presque dansant ; le second, moins évident, vise à inspirer un esprit d’anticonformisme face à une société formatée.

Toujours enclin à se remettre lui-même en question, le groupe propose une nouvelle playlist, évolutive au fur et à mesure de la tournée. Martin Gore passant environ trois jours sur sept en studio, les titres se voient même offrir une seconde jeunesse, apparaissant sous des versions différentes. Et cela est adéquat vis-à-vis de ce disque, qui cherche justement à inciter les gens à s’améliorer, à porter un regard rétroactif sur le monde dans lequel ils vivent et qu’ils façonnent. Dans ce sens, la setlist du band semble s’être considérablement durcie. En effet, elle commence par « Going Backwards », littéralement « Aller à reculons ». Réussir à tenir tout un set avec un esprit de contestation n’est pas un problème pour Depeche mode, leur carrière entière reposant bien sur une esthétique sans faille – signée Anton Corbjin – mais, avant tout, sur une idéologie basée sur la désobéissance civile.

Pour être certain d’être bien compris, Dave Gahan scande ensuite de sa voix grave « It’s No Good ». Cette dialectique du bien et du mal est très présente chez le groupe, qui a su créer sa propre spiritualité à partir d’une certaine dévotion envers tout ce qui touche au sacré.
Et, pour bien enfoncer le clou, c’est « Barrel Of A Gun » qui arrive en troisième position. Une manière de faire prendre conscience au public qu’il n’a plus d’autre choix que de prendre ses responsabilités, écologiquement et politiquement parlant, s’il veut s’en sortir. S’ensuivent « A Pain I’m Used Too », tristesse post-élection de Donald Trump, puis « Useless », un de  leurs titres les plus violents, visant à secouer l’auditoire une bonne fois pour toutes. Histoire de rappeler pourquoi ils sont venus jouer. Dave Gahan, se confiant sur « Spirit », explique qu’ils auraient aimé intituler leur disque « Maelstrom » (littéralement « le cyclone, la tornade », mais qu’ils lui ont préféré « Spirit », plus organique et spirituel et sonnant moins heavy metal.

Un clip, différent de celui qui accompagnait le morceau à la sortie d’« Ultra » en 1997, a d’ailleurs été spécialement conçu pour les lives et est projeté en arrière-plan. Il s’agit d’une sorte de décor théâtral cheap destiné à mettre en abyme le groupe, celui-ci apparaissant alors comme étant en représentation. Distanciation oblige. Une manière de plus de singer les structures mondiales en en montrant l’absurdité. Dave Gahan se meut d’ailleurs de façon particulièrement extravagante, arborant des mouvements particulièrement amples et exagérés, pour mieux montrer que tout n’est qu’allégorie.

« Precious » résonne ensuite comme une prière. Celle de préserver ce qui doit l’être pour éviter la souffrance aux générations futures. E,t de la même manière, lui feront écho plus tard « Insight » et « Home » – deux titres chantés par Martin Gore, incitant à l’amour et au don de soi pour un monde meilleur.

Ce set semble monté par le groupe afin de permettre à son auditoire d’accéder à une vision du monde. Sort d’ailleurs « World In My Eyes », particulièrement explicite, ainsi que d’autres titres mythiques – à savoir, « Everything Counts », critique de la société de consommation, « Stripped », appelant à se détacher des idées préconçues divulguées par la télévision, « Enjoy The Silence », le titre qui a fait la renommée de Depeche Mode, invitant à prendre conscience que la véritable richesse est en soi-même et à travers l’amour d’autrui, ou « Never Let Me Down Again », soulevant immédiatement une marrée de mains humaines, symbole de solidarité et de fraternité.

Dave Gahan, connu pour être un showman hors pair, tourbillonne, danse et ondule, traversant la scène en un éclair sans avoir à reprendre son souffle, tandis que Martin Gore distille ses riffs de guitares métalliques, son imperturbable regard d’acier pointant vers l’horizon. Andy Fletcher, quant à lui, surplombe la scène du haut de son double-synthé et incite le public à l’ovation. Le groupe entier semble se démener pour faire de ce concert un moment d’anthologie. Dave Gahan faisant don à son public d’une performance chorégraphique particulièrement riche et fournie.

Ce même public semble, lui aussi, bien décidé à rendre hommage à ces monstres sacrés, puisqu’une vague de drapeaux aux couleurs des atours de Dave Gahan – Un rouge métallisé – fait son apparition sur « Where’re The Revolution ». De même, celui-ci reprend mimétiquement les poings levés et mécontents projetés au second plan derrière la scène, ainsi que le symbole des yeux clairvoyants sur « World In My Eyes ». Une véritable osmose, donc, entre les artistes et leur auditoire.

Outre la communion qui s’opère entre Depeche Mode et ses spectateurs, des messages contestataires forts vis-à-vis du gouvernement Trump sont dispensés tout au long de la prestation. C’est encore le cas dans le clip qui accompagne le titre « Walking On My Shoes ». Dans cette vidéo, on suit le quotidien d’un jeune transsexuel. On assiste à sa transformation, cosmétiquement parlant, qui semble s’opérer dans la douleur. Première tentative de bousculer les clichés solidement ancrés au sujet des personnes transgenre. Mais ce n’est pas tout. En effet, lorsque le jeune homme estompe son maquillage à l’aide de mouchoirs en papier qu’il étend ensuite sur le sol les uns derrière les autres, ce n’est autre que le visage de Donald Trump qui apparaît. Comme si le groupe essayait de nous mettre en garde contre la propagande, diffusée à grande échelle, de cet ancien homme d’affaires et présentateur de télévision.

Puis, Dave Gahan, ruisselant, déchaîné, se surpasse, mettant à profit ses dernières ressources pour rendre la chanson « A Question Of Time » particulièrement vibrante. C’est pour mieux nous offrir sur un plateau d’argent son « Personal Jesus ».

En somme, un live sensationnel, impressionnant pour une salle aussi conviviale, surtout lorsqu’on sait que Depeche Mode a déjà plus de six mois de tournée dans les pattes et qu’au moins autant les attendent encore. Une ultime preuve que le groupe ne doit pas sa légende au fruit de hasard.


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Justine Jude

Chroniqueuse rock n'en restant pas moins damoiselle en quête de perles rares et précieuses encore in/méconnues et qui ne demandent qu'à éclore dans le jardin sauvage des musiques actuelles.