[Interview] Demi Mondaine

Un dimanche après-midi de mars, dans un bistrot, Demi Mondaine nous attendait dans sa ville de coeur : Montreuil. Durant deux heures, il sera alors question de sa musique, de son dernier album « Paris-Désert » et du financement Ulule que le groupe a mis en place pour le voir aboutir. Mais, au-delà de ces questions, transcendent chez ces rockeurs un véritable amour des rencontres et des collaborations.

crédit : Marjorie Ray
crédit : Marjorie Ray
  • Que doit-on attendre de « Paris-Désert » ?

Béatrice Demi Mondaine : « Paris-Désert » est un album « Demi Mondaine », dans le sens où vous retrouvez la poésie et le rock qui nous sont attachés. Toutefois, en comparaison avec « Aether », notre album précédent, on est sur un son plus produit et plus dancefloor aussi. Sur « Aether », on avait travaillé à de la chanson rock assez simple, un format assez classique, par désir. Ici, sur « Paris Désert », on avait envie d’un peu de fun sur scène. Les titres sont plus lumineux, quelque part ; l’ajout de guitares et claviers additionnels, les sons de prod’ de Laurent Jaïs l’enrichissent aussi dans ce sens. On retrouve vraiment la guitare de Mystic et ma voix et poésie, ce qui est « nous », mais la couleur a changé. Rien que dans le titre, on est passé des « Aether » à « Paris-Désert », puis des « Paris sous la neige » et « Jour blanc », au souffle plus froid, blanc, bleuté où je « grignotais les stalactites de vos amours anachroniques » à « Enchanteur » ou « Opium » qui dessinent d’entrée de jeu un univers plus chaud, sec, orangé et jaune, fait de sueur. On est entré en saison chaude, la peau brûlante offre ses parfums dorés, sa tentation, ses râles, plus près du ventre de la terre. J’aime que les chansons aient leur couleur, que l’album ait « sa » couleur… Ça ressemble à l’endroit et l’état d’esprit dans lesquels j’étais en écrivant les paroles et où sont nés les prémices des titres.
Musicalement aussi, avec Mystic, on a pris des virages, avec l’appui de Laurent Jais, notre réalisateur, qui nous a suivis dès les premières répètes et arrangé sérieusement les morceaux, tel un cinquième musicien pour le groupe. Nous avons bossé plus que d’habitude, ne restant pas sur nos acquis, cherchant des harmonies, des chœurs travaillés, d’autres tempos, d’autres grooves etc. Nous avons approfondi nos créations d’arrangements léchés, Laurent m’a même fait rebosser mes paroles, avec diplomatie, a demandé à ce que j’approfondisse tel ou tel couplet.
Le désir du « live » était vraiment présent, alors ; sur « Enchanteur », on joue un couplet quelque peu disco ; sur « Colonel », un refrain plutôt pop… Un passage hip-hop même, à découvrir sur grosse guitare/basse/batterie dans « Opium » ; et garage. Enfin, une vraie balade rock late 60’s un soupçon dramatique et ouvertement mélancolique sur « Like I Breathe ». Nous nous sommes octroyés des chemins de traverse, par recherche et par fun… Et c’est un pur plaisir à jouer, accompagnés pour cette aventure des deux excellents musiciens : Allan de la Houdaye (déjà partenaire sur d’autres projets musicaux) à la basse, claviers, percus et chœurs, et de Erwann (musicien de Tiwayo), jeune batteur de talent qui envoie de ces fûts et aussi de ces pads. Hâte de vous faire entendre « Paris-Désert », en somme. Hâte de voir le bébé vinyle sortir ; ce sera notre premier LP ! La pochette réalisée par Cédrick Nöt est à tomber, je l’adore ! Et toi, tu l’aimes ?

crédit : Cédrick Nöt
crédit : Cédrick Nöt
  • Je l’aime complètement ! D’ailleurs, en parlant de réalisation : comment s’est passé l’enregistrement ?

Béatrice Demi Mondaine : Nous avons enregistré au Studio Davout à Porte de Montreuil, dans les studios de Laurent Jaïs, pas loin la maison. Dimi Déro, mon acolyte créatif et multi-instrumentiste de « The Color Book » a enregistré les batteries, et de la scie, des perceuses et quelques percussions. Johan TW, des claviers pour notre chanson d’amour, « Like I Breathe ». Mystic Gordon et Allan ont aussi fait des chœurs. Un clip pour le single « Enchanteur », enfin, a été réalisé par Delphine Labes et toute une équipe (dont Johan TW, encore, à la post-prod). La photo de Mystic et moi pour « Paris-Désert », qui nous accompagnera pendant quelques mois, a été réalisée par Marjorie Ray.

  • Pourquoi ce nom, Paris-Désert ?

Béatrice Demi Mondaine : D’abord, il y a un rapport entre une espèce de solitude au milieu de la foule et la solitude choisie au milieu de rien. « Paris-Désert » est double avec un côté très urbain, très rock, partagé avec Mystic Gordon, sur les trottoirs, sous les néons, les bars, les aventures, les dérives de loulous de nuit dans les sous-sol jusqu’aux petits matins psychés de Paris ou Berlin. Puis dans la splendeur de l’ambivalence de « Paris-Désert ». Les paroles ont été écrites dans le désert du Sahara, où je suis partie avec mon fils Zakary pendant quelques semaines de retraite. Quand le voiture ne roulait plus sur les pistes, on trouvait deux dromadaires et on partait en « caravane » berbère dans les dunes chercher l’aube, l’horizon, le silence, l’éloignement… Tous les deux, mère et fils, en quête de nous. Je le regardais découvrir ce nouvel univers et je retrouvais mon âme aussi, par cette même occasion, trouvant des réponses dans cette drôle de solitude, déconcertante et fascinante, au vent dans les yeux, au sable qui rentre partout et s’immisce jusqu’à mes cordes vocales pour enrouer ma voix et m’empêcher de chanter. Il y avait un truc d’immensité qui est très poétique, où on se retrouve seul par choix ; alors qu’à Paris, on peut se retrouver au milieu de plein de gens et se sentir très seul. Dans le désert, il y a quelque chose de l’âme du poète ; on se retrouve face à soi-même. Les paroles viennent de là : de la solitude urbaine « commis d’office », nous partons en voyage sur place, à la dérive, au milieu de tous, pleins de sons, de fumées, emportés par la vague. Et cette autre solitude, dans le désert : celle du poète, d’un détachement où l’on retrouve son étoile, pour un temps, le temps de revenir.

Mystic Gordon : Moi, j’y suis allé dans le désert, juste après. Je n’y ai pas fait de musique, mais c’est très inspirant. Puis ici, à Paris, on s’est retrouvé ensemble pour mettre les morceaux en commun.

Béatrice Demi Mondaine : On est très urbain, puis on s’est fait une bonne virée : on est allé jouer à Berlin, on a fait plein de choses dans l’urgence.

  • « Paris-Désert » n’est-il pas aussi Paris-Texas ?

Béatrice Demi Mondaine : J’y ai pensé après. Le côté road trip, les histoires d’amour, le glam, j’ai trouvé ça plutôt cool et qu’on aurait dû faire un bout de clip dans le genre ; mais, à la base, ce n’est pas venu de là.

  • Composer et enregistrer un EP en étant enceinte, qu’est-ce que cela change ?

Béatrice Demi Mondaine : Ma fille a grandi dans mon ventre sur toute la naissance de « Paris-Désert » : enfin, pendant l’enregistrement studio. Et elle viendra au monde au moment où l’album sortira. Il y a une sorte de métaphore entre les deux. Notre musique est assez intime, car elle est liée à nos vies personnelles. On raconte, avec des mots ou des riffs de guitare, les choses qui nous touchent. On ne peut pas passer outre, faire comme si ça n’existait pas. Je l’ai fait vivre dans mon art. C’est une expérience complètement unique. Peut-être que le fait que le nouvel album soit un peu plus happy, ce n’est pas complètement anodin. À la base, les paroles n’étaient pas si joyeuses, elles restent fidèles à ce qu’on faisait avant ; par contre, c’est le traitement qui est plus fun. Par exemple, « Junk Kiss ».

crédit : Marjorie Ray
crédit : Marjorie Ray
  • Quels seront vos prochains concerts ?

Béatrice Demi Mondaine : C’est à Avignon. Alors, on joue « The Color Book » du 6 au 14 juillet, après on fait « Hair » du 15 au 20 ; et, enfin, Demi Mondaine du 20 au 25. Nous cherchons encore des dates pour août et nous sommes ouverts à toutes propositions. À la rentrée, on fera des dates à Paris, avec sûrement en septembre une « private parts », nos soirées trismestrielles. Ça se fera avec tous nos potes, les artistes qu’on aime bien, les gens qui ont participé au financement Ulule autour d’une grosse teuf. Comme ça, on fêtera « Paris-Désert », l’été, la petite tournée, la naissance de ma fille. L’amour et la musique !

Mystic Gordon : On devrait commencer à tourner en France en août et jusqu’en décembre autour de « Paris-Désert », et on se replongera sur la compo d’un nouvel album cet été, après les concerts.

  • Pourquoi repartir sur un album et pas sur un EP ?

Mystic Gordon : Mais pourquoi pas sur un album, aussi ? Tu vois, on ne sait pas. Tout dépend de combien on a de titres et si ça correspond à un album ou à un EP. Et puis, c’est toujours pareil : pour un album, il faut avoir les moyens et le temps. En tout cas, c’est toujours excitant d’avoir 15 titres et de n’en garder que 10.

Béatrice Demi Mondaine : Déjà, on a envie de rebosser avec Laurent Jaïs et avec les mêmes musiciens du Bus Palladium.

Mystic Gordon : On aimerait aussi avoir des morceaux plus aboutis avant de monter en studio, que ça soit aussi produit tout en gardant l’idée d’un live vraiment solide. On a envie de faire tourner les morceaux avant de les enregistrer. Avoir les compositions et entrer en studio, et faire une ligne droite.

  • Sur « Paris-Désert », plusieurs titres sont en anglais : comment les écris-tu ?

Béatrice Demi Mondaine : Je n’ai pas un anglais suffisamment exact pour écrire parfaitement. J’écris en anglais et en français, et je travaille avec Stuart Mudie, un poète irlandais : je lui envoie mes textes en français que j’aimerais chanter en anglais ou alors des textes en anglais pas tout-à-fait aboutis ou justes, et lui les adapte. Il travaille sur la sonorité, sur la forme du propos ou sur le fond. Il propose et un échange se créé. Il s’agit d’un vrai travail d’adaptation, pas d’un simple travail de traduction. Sur mes premiers albums, j’écrivais moi-même les titres en anglais et j’en n’avais rien à foutre qu’on me comprenne. Maintenant, j’ai envie que cela soit plus poétique.

  • On dit que l’anglais est plus mélodieux, alors comment cela se passe-t-il pour la musique ?

Mystic Gordon : Bizarrement, oui. Tu vois, « Colonel » est un morceau vachement anglais, ça sonne anglais et pourtant il est en français. Le problème, c’est de faire sonner des mots français avec du rock’n’roll. On s’est vraiment pris la tête sur les mélodies. On a fait plus d’efforts mélodiques que sur « Aether ».

Béatrice Demi Mondaine : Avec Laurent Jaïs, ce n’est pas seulement un ingénieur son qui nous enregistre ; c’est bien plus. Il est vraiment réalisateur. Il est avec nous en répétition, on bosse les morceaux ensemble. Il nous pousse à faire évoluer nos morceaux, les textes comme la musique. On essaye, comme ça, d’ouvrir, et il devient un musicien du groupe.

Mystic Gordon : Il nous amène dans d’autres endroits.

Béatrice Demi Mondaine : Demi Mondaine est une grande maison. Sûrement que nous deux, on en serait le noyau ; mais, autour, il y a plein de gens superbes.

  • Parmi ces gens, avez-vous des groupes à nous faire connaître ?

Béatrice Demi Mondaine : Les artistes qu’on a fait jouer à la Private Part. J’adore Alone and Me. Elle a ce côté folk, groove, mais aussi un côté assez dark. Elle a quelque chose de très intense. J’aime la retrouver sur des concerts.
On a aussi eu Johnny Montreuil et toute sa bande, et c’était un gros kiff de jouer avec eux. Je suis complètement enthousiasmée par leur musique. Ce sont des musiciens hors pair.

  • Montreuil a une place particulière dans la musique indépendante…

Béatrice Demi Mondaine : À l’époque, il y avait déjà Schultz, qui nous avait fait jouer dans un petit bistrot, il y a des années, à l’Escale un dimanche après-midi. C’était super. C’est vrai que Montreuil est vraiment imprégné de quelque chose : il y a plein d’artistes, avec une vrai mixité encore. Je ne vais plus dans Paris. Ménilmontant fait partie de ma vie, avec la Féline Bar, mais d’une autre époque. L’an dernier, on s’est beaucoup retrouvé au cirque, Porte des Lilas. Mais j’habite Montreuil et j’y suis bien. Je pense qu’on va retrouver d’autres inspirations qui vont donner d’autres époques dans d’autres endroits. C’est toute l’histoire d’une vie, où chaque moment a son album, son univers. Quand j’ai habité dans une caravane avec mon chéri dans le cirque, j’ai bien sûr été marquée. On le retrouve dans l’album, quelques petits mots qui ne se verront pas forcément. Je me suis fait tatouer un petit chapiteau sur le bras, il y a un vrai truc entre le corps, la musique, les amours, l’inspiration…

Mystic Gordon : Nos vies se voient dans la couleur des morceaux.

  • Deux ans après, est ce que « Aether » a encore une signification importante pour vous ?

Béatrice Demi Mondaine : Pour parler des grands, regarde Brel, qui a dû jouer « Ne me quitte pas » toute sa vie ; et Barbara a dû chanter « L’aigle noir » toute sa vie aussi, sans manque d’intensité, même s’ils avaient différents amours et que le temps passe. On les rejoue avec une autre énergie, sans moins les aimer.

Mystic Gordon : Puis, on a des musiciens différents ; alors, bien sûr, on les joue différemment. On adapte les morceaux à ce que l’on fait aujourd’hui. On rejoue en live un des premiers titres qu’on a composé ensemble et ça n’a rien à voir, mais on est super content de le faire.

Béatrice Demi Mondaine : Même si ce que j’écris est assez précis, jouer sur scène avec une instrumentation différente me permet de le faire vivre avec une autre intensité, mais avec la même essence toujours aussi viscérale. Cela ne me fait pas de mal, de replonger dans mes chansons les plus douloureuses ; au contraire, même. Je trouve que c’est bien de ne pas oublier sa vie…

  • Au final, c’est la même démarche que les tatouages…

Béatrice Demi Mondaine : Exactement ! Tu mets quelque chose sur ta vie, sur ta peau, parce que tu as une douleur ou un bonheur… C’est toujours important au moment où tu le fais ; ou, après, d’arriver à émettre quelque chose. Je trouve ça beau et c’est une très jolie comparaison entre les morceaux et nos tatouages.

Mystic Gordon : Regarder sa vie, ça ne te met pas forcément dans quelque chose de passéiste.

Béatrice Demi Mondaine : C’est pareil que chanter les choses des autres, c’est possible. J’aime beaucoup les chansons très fortes, les grands textes, les émotions fortes qui viennent des mots.

crédit : Marjorie Ray
crédit : Marjorie Ray
  • Est-ce que Demi Mondaine pourrait enregistrer un album de reprises ?

Béatrice Demi Mondaine : J’adorerais. Dans ce cas, ça sera d’un même artiste et en français sans doute. J’aime énormément la chanson française, notamment toute une période à laquelle je suis très attachée, comme Piaf ou Brel. On a repris « Au suivant » de Brel ; et quel pied ! Barbara, j’adore, mais je trouve ça beaucoup plus compliqué pour ma tessiture, et j’ai l’impression que ça me convient moins à ma voix.

  • Est-ce qu’enregistrer vos titres dans une version acoustique est prévu ?

Béatrice Demi Mondaine : C’est vrai que ça serait assez cool. Parfois, on n’en est pas très loin quand on fait des duos Demi Mondaine, où il n’y a pas la basse, la batterie, le pad. Et ça reste très proche des guitares-voix.

Mystic Gordon : Les morceaux, on les a tellement joués et travaillés en duo pour faire des formules, des premières parties où il n’y a pas forcément d’espace et de temps…

Béatrice Demi Mondaine : C’est plus facile pour voyager. Aujourd’hui, c’est un peu le royaume du « one man band », vu que les gens n’ont pas de thunes pour plus d’un musicien. Du coup, on s’est dit : « On va faire tous les deux ». Ainsi, les duos Demi Mondaine sont plus poétiques, c’est plus émouvant pour les gens, car ceux qui nous connaissent vont desceller les petits trucs. Mais aujourd’hui, ça nous fait beaucoup de bien de rejouer avec du gros son pour l’énergie, pour le rock, pour le dancefloor. Tu as envie de sauter partout, ça fait du bien ! L’acoustique et le gros son, les deux sont biffant.

  • Pendant une phase de création, vous écoutez des artistes particuliers qui vous influencent ou qui vous bercent ?

Mystic Gordon : Il y a des périodes où j’en écoute ; mais tu vois, lors de la composition, je n’en écoute pas vraiment. Tu passes ta journée en studio avec de la musique. Puis, dans les moments de création, je préfère être complètement frais dans ma tête. Les influences foisonnent déjà à mort avec tout ce que j’ai écouté avant. J’écoute tellement de choses différentes, du hip-hop au funk ; ou alors du jazz, du rock ou de l’électro.

Béatrice Demi Mondaine : Moi, j’écoute beaucoup de jazz à la maison. J’ai un faible pour les grandes chanteuses et ça berce ma vie au quotidien. Puis, j’en ai marre de Deezer ou Spotify, alors je suis en train de me faire une collection de vinyles. Il y a beaucoup de rock, mais c’est vrai, j’écoute plus de soul ou de jazz.

  • Finalement, on en revient toujours à la voix…

Béatrice Demi Mondaine : Oui, je crois que c’est vraiment mon instrument… Je joue du piano sur « The Color Book » sans être une grande pianiste pour « m’accompagner ». Sur Demi Mondaine, c’est plutôt un clavier. Mais mon grand kiff, c’est quand même le chant. C’est là que je suis libre.

  • Et puis, être musicien ou chanteur, ce n’est pas la même façon de prendre la scène.

Béatrice Demi Mondaine : Je préfère être frontale, en chanteuse. Faire le lien entre le public et la musique. Il y a une espèce de manière d’être porte-parole. La parole est la chose la plus évidente, c’est ce que tout le monde chantonne. Être au clavier, c’est aussi être en retrait avec les musiciens. C’est une autre relation, un autre plaisir sensoriel. Le public porte son attention sur le chanteur ; alors, quand tu te recules et que tu te joins aux musiciens, ça libère le public d’une attention.

crédit : Marjorie Ray
crédit : Marjorie Ray
  • Vos concerts sont très ténébreux, mais aussi très heureux : est-ce aussi comme cela que vous le voyez ?

Béatrice Demi Mondaine : On aime le partage, on a quelque chose de populaire. Tu sais, on n’est pas séparé des gens, on est en lien. C’est la façon dont j’ai choisi de vivre.

  • Vous avez sorti le titre « Enchanteur » avec un clip ; parlez-nous de cette réalisation.

Béatrice Demi Mondaine : On l’a réalisé sur fond vert et, au début, on ne savait pas trop où on allait. Mais on discutait avec la réalisatrice, Delphine Labes, qui nous a filmés et a travaillé la post prod. On a des projections sur nos corps pour disparaître, pour nous fondre dans des décors. Le fond derrière s’anime et ça a pris une direction « fête foraine ». Ce côté, c’est peut-être dû à Johan TW qui était à la post prod. Au final, c’est très psyché. Lui, vient du cirque. Le clip d’ « Enchanteur » est trippé et disco, il nous emmène ailleurs. Je n’aurais pas eu ce genre d’idée. Travailler avec d’autres artistes vous emmène ailleurs, le clip en est l’exemple, la production musicale de « Paris-Désert » aussi.
Dans « Paris-Texas », dont tu parlais, c’est vrai qu’il y a cette idée de néons et de motels ; alors peut-être que oui, dans « Enchanteur », il y a un clin d’œil au film. Delphine et Johan sont allés filmer de nuit les lumières des endroits qui flashent net et se sont amusés à nous habiller avec ce rêve hallucinant…

  • Ouvrir votre art à toutes sortes de médiums est quelque chose que vous envisagez pleinement ?

Mystic Gordon : C’est une envie, mais c’est une nécessité aussi. De plus en plus, tu écoutes la musique sur YouTube et, si tu n’as pas d’image, c’est un peu dommage. Mais c’est aussi un kiff : imaginer un scénario, c’est superbe. Puis ça fait kiffer d’autres gens : ils imaginent un truc sur un morceau qu’ils n’ont pas écrit. Sur les albums précédents, on n’avait pas eu le temps ni les moyens de le faire. Aujourd’hui, on a envie de se démerder pour avoir des clips et ces choses-là.

Béatrice Demi Mondaine : Ici, c’est vraiment parti sur un terrain qui était inconnu pour nous, et ça, c’est excitant. Alors, si quelqu’un a une autre proposition, si chacun amène sa pierre à l’édifice, je trouve ça cool.

  • Il y a une vraie question de rencontre…

Béatrice Demi Mondaine : Oui, c’est ça, il y a une vraie dimension de la rencontre. Le manque de thune amène à ça : tu ne marches plus qu’au coup de cœur avec les gens qui ont envie de s’investir, d’investir leur temps, leur matériel. Des artistes sont super enrichissants pour nous. Des fois, ça peut être angoissant, car on peut se tromper. C’est encore fragile, mais c’est super existant.

  • Le nom de Demi Mondaine renvoie à la condition des femmes et aux héroïnes…

Béatrice Demi Mondaine : C’était Balzac et la littérature, mais ce ne sont pas eux qui m’ont inspiré, mais plutôt les femmes. Le fait qu’une femme, à cette époque, n’avait pas tellement le choix de subir sa condition et de rester à la maison. Alors, certaines, un peu cultivées ou malignes et jolies pouvaient se servir de leurs charmes pour évoluer et grandir en société. Ce n’était pas la maison close, elles subissaient moins. C’était une sorte de féminisme. Elles gardaient une distance qui fascinaient les hommes. Elles sont des femmes que j’admire. Elles étaient avant-gardistes pour le style vestimentaire et l’émancipation. La vie des femmes a toujours été difficile et l’est encore aujourd’hui. J’ai été victime, comme toutes, de sexisme toute ma vie. On ferme souvent notre gueule, étant jeune, mais l’idée est de s’affranchir, toujours, et ne rien banaliser. Il ne va pas falloir régresser dans la société. Il va falloir se battre pour les droits et le respect. Pleins de choses paraissent normales pour tout le monde, par exemple le harcèlement de rue : « elle l’a cherché, elle s’habillait comme une pute ». Mais non, elle fait ce qu’elle voulait. Alors oui, c’est encore très compliqué et tellement inculqué dès la famille, dès le petit âge. Quand tu es une fille, je pense que tu dois être un peu plus forte, ou alors être sérieusement prévenue. Plus je vieillis et plus j’ai envie de prévenir, de protéger.

  • Qu’allez-vous faire avec le Ulule ?
Demi Mondaine - Campagne Ulule
Campagne de financement de l’album « Paris-Désert » de Demi-Mondaine sur Ulule

Béatrice Demi Mondaine : Déjà, on a enregistré quelques morceaux, mais on n’a pas terminé. Il y a le mastering à faire, puis on a la sortie des vinyles ; car, comme on a cinq titres et que ça fait des années que notre public nous demande des vinyles, c’est une super occasion pour le faire. On a aussi une chouette pochette, avec de jolies photos de presse et des affiches à dévoiler. Donc, on va d’abord sortir « Paris-Désert » et l’offrir au public ; puis, avec l’autre partie, on aimerait pouvoir réserver un studio pour la fin de l’année et enchaîner sur l’album suivant. Le Ulule, en fait, c’est le pont entre les deux : la fabrication de ce qu’on a enregistré et, après, pouvoir commencer le prochain.

  • À côté de cela, on t’a contactée pour participer à The Voice…

Béatrice Demi Mondaine : Oui ! D’un côté, on me propose de faire Ulule, car c’est la seule façon de financer mon disque ; et, de l’autre côté on m’appelle pour faire The Voice et passer à la télé sur TF1. Mort de rire ! Pour faire tant d’euros sur Ulule, on va aller chanter devant Florent Pagny…? Oh bordel ! Non mais sans rire, c’est vraiment ça, j’ai l’impression de faire le grand écart entre les choses. On est les mal-aimés de l’industrie musicale. Enfin, personne ne sait si nous irons, je ne connais pas les clauses de leur émission, je l’ai regardé une fois il y a peu de temps avec mon fils ; c’est assez flippant, voire un peu triste.

Mystic Gordon : Après, tout dépend de quand tu arrives et avec quoi. On ne sait pas ce qui va se passer avec « Enchanteur » ; si ça se trouve, une radio va aimer… Ça change tout, de passer sur une radio nationale. Sinon, tu es toujours dans une autre économie.

Béatrice Demi Mondaine : « Paris-Désert » est plus homogène et moins chanson, plus dancefloor, plus fresh ; alors, peut-être que d’autres gens vont s’intéresser à nous. On arrivera peut-être à toucher un autre public et à s’agrandir.

Mystic Gordon : En attendant, la solution, c’est de faire ce qu’on fait : continuer à kiffer sur scène depuis neuf ans.

  • Il y a neuf ans, il n’y avait ni The Voice, ni Ulule ; comment marchait votre musique ?

Mystic Gordon : C’était déjà assez similaire. C’était les prémisses : l’industrie musicale était déjà morte.

Béatrice Demi Mondaine : On était pas signé et, quand tu n’as pas de pognon, tu rencontres des gens incroyables. Tu fais les choses par expériences de vie, par passion, par cœur, et tu n’as pas le choix.

Mystic Gordon : Des gens sont venus nous chercher, comme Alex, notre manager, ou pour être en résidence. Tu imagines ? Tu ne payes pas un centime pour être en studio, alors qu’au début, toute notre thune de concert partait dans les salles de répétition. Sans les personnes qui kiffent la musique et qui se serrent les coudes, on n’existerait pas. Puis, on a la « chance » d’avoir l’intermittence, car ce n’est pas la même chose pour certains groupes anglo-saxons, qui prennent leurs vacances pour partir en tournée.

Béatrice Demi Mondaine : On a aussi la chance d’avoir rencontré Zebrock et Nicolas Bigards, avec qui on bosse au théâtre pour des B.O. de pièces, pour faire des conférences dans les lycées. Là, on est dans la transmission. Cela nous alimente et fait grandir notre répertoire. Et puis, le public n’a pas changé, il y a toujours autant de monde qui aime la musique, toujours autant de bons musiciens : au niveau du peuple, il n’y a rien qui change, c’est juste au niveau du business que c’est compliqué et c’est comme ça dans tout, pas seulement dans la musique. Ce n’est pas grave, on fera sans et on continuera.

  • Pour finir, qu’avez-vous à dire aux Ululeurs ?

Béatrice Demi Mondaine : Bienvenue chez Demi Mondaine ! On a juste envie de continuer à chanter, écrire et jouer avec vous. C’est très simple, en fait. On fait de la musique, on ne va pas sauver le monde, mais par contre ça nous fait du bien et ça fait du bien à ceux qui nous aiment et nous écoutent. Ça reste quelque chose de très bon pour la santé et pour l’âme et, aujourd’hui, on en a plus besoin que jamais. On participe au petit bonheur de proximité, et si tout le monde participe à cela, tout le monde ira mieux.


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Pour participer à la campagne de financement de l’album « Paris-Désert » de Demi Mondaine, c’est par ici :
http://fr.ulule.com/paris-desert/

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Juliette Durand

étudiante en cinéma, arpenteuse des scènes parisiennes et passionnée des musiques qui prennent aux tripes