[Live] Deerhunter et Moon Diagrams à l’Épicerie Moderne

Rien de mieux pour se protéger de l’emprise croissante du froid que d’aller se réchauffer cœurs et âmes avec un concert qui ne peut qu’être spectaculaire. C’est donc à l’Épicerie Moderne qu’on se retrouvait le 13 novembre dernier pour voir Deerhunter, venant célébrer sa décennie palpitante, épaulés par l’hypnotisant projet solo de son batteur Moses Archuleta alias Moon Diagrams. 

Deerhunter – crédit : Jade Jovet

C’est à Moon Diagrams de commencer la soirée, venant proposer une interprétation live de la musique si abstraite qui nous avait conquises sur « Trappy Bats ». Son arrivée est discrète, pieds nus et demandant instantanément à ce qu’on baisse la lumière l’illuminant. Pourtant le drone psychédélique qui envahit l’espace est tout sauf timide : il est tonitruant, évasif et insondable. Protégé derrière sa tour de hardware, c’est comme un brouillard sonore qui se met à rugir, mené par des kicks et snares élégiaques et des potards qui vibrent sous son doigté furieux. L’artiste décarcasse les mélodies, sample sa voix de manière distordue, entre chant grégorien et plainte fantomatique, avant de l’engloutir dans une multitude de strates superposées. Véritable machiniste zélé, Moses Archuleta nous plonge dans les abîmes de sa musique mécanique.

On salue l’acoustique de la salle, garantissant l’illusion de grandeur du drone, mais aussi le jeu de lumière, permettant à la musique de culminer en une dimension presque cataclysmique. Le concert se déroule sur le ton de l’improvisation, les éléments sont arrangés et dérangés de manière impromptue. Mais le musicien nous rappelle son attrait pour l’avant-gardisme éclectique, la surprise radicale, car après 35 minutes d’un minimalisme étouffant, il change le ton abruptement pour dévoiler la première véritable suite mélodique : basse synth, arpèges enchanteurs et groove discopop prennent le relai en un instant ; changement d’altitude brusque mais opportun car caractéristique de sa musique qui semble avoir pour objectif de constamment nous prendre à contre-pied. Parenthèse colorée d’une poignée de minutes avant la fin du set, le musicien quitte la scène aussi timidement qu’il l’avait investie. On comprend mieux ses mots quelques jours auparavant : c’est souvent abstrait mais parfois non, et jamais de la manière dont on se l’imagine. Une première partie pour le moins expérimentale, et au vu des quelques mines renfrognées ce n’est peut-être pas la première partie que les fans de Deerhunter attendaient, mais au vu des applaudissements nourris lorsque les lumières s’éteignent et des éclats de rire régnant au bar, on doute que cela n’altère la soirée de quiconque.

Après un court interlude, le public se rassemble de nouveau devant la scène, attiré par la proximité du concert de Deerhunter mais glué par ce qui semble être une comédie de routine par les roadies installant le matériel. À peine le groupe apparait-il qu’on est estomaqué par le charisme de Bradford Cox : c’est son show, c’est lui la star et cela est explicite très rapidement. Mais pas n’importe quelle star, du haut de son accoutrement somptueusement excentrique,  qui paraitrait excessif sur n’importe qui d’autre mais définitivement pas sur lui, il nous accueille en proclamant «Say hello to the cardboard stars, ladies and gentlemen », marque du cynisme caractéristique de son autoproclamée condition de musicien torturé, de célébrité en carton. Que ce soit avec lunettes de soleil ou non, une guitare ou une basse entre les mains, le micro entrelacé autour de ses bras à genoux par terre, en plein effluve verbal à quelques centimètres du premier rang ou retiré à l’arrière de la scène, la performance déterminée du chanteur est à couper le souffle.

Les premières notes de « Death in Midsummer » surgissent, lançant graduellement les mélodies taciturnes de ses derniers projets avant de plonger dans un refrain puissant, dont la force est exacerbée par cette progression maîtrisée. Le concert se déroulera autour de cette dichotomie : des mélodies moroses, subtiles et enivrantes qui se transforment subitement en des refrains ou ponts d’une virulence à l’emprise inégalable. C’est ainsi que « What Happens to People ? » développe une douceur harmonique frôlant la mélancolie sans jamais s’y attarder, avant de finir de manière fiévreuse ; là où « Helicopter » nous happe violemment par ses riffs vrombissants, morcelés par l’activation des pédales de distorsions et des hurlements des musiciens, avant de dévoiler au fur et à mesure la subtilité des suites mélodiques la composant. C’est avec délectation qu’on découvre cette interprétation de morceaux déjà cultes comme « Revival » ou « Desire Lines », et de morceaux plus récents qui semblent destinés à atteindre le même statut comme « Futurism » ou « Nocturne ».

La setlist est très majoritairement partagée entre « Halcyon Digest », son album phare de la décennie, et son tout dernier opus « Why Hasn’t Everything Already Disappeared ? », orientant donc les sonorités vers un indie psychédélique faisant le pont entre nostalgie et modernité enragée, entre-deux émotionnel que Deerhunter maîtrise parfaitement. Le groupe réserve la dimension expérimentale de sa musique aux introductions et transitions faisant le lien entre chaque morceau, le reste n’étant que pure énergie. Choix pertinent que de se baser sur des recettes connues car le plaisir est ostentatoirement partagé entre le public et les musiciens, les sourires et les applaudissements fusent à chaque moment de silence. La bonne humeur met aussi en valeur la qualité technique de chacun des membres du groupe : du jeu de question-réponse des deux guitares évoluant sur les mêmes timbres au merveilleux solo de saxophone, en passant par la débauche d’énergie du batteur et du bassiste qui paraissent ne jamais avoir besoin de regarder leurs instruments respectifs, tout est servi avec une précision étourdissante.

Deerhunter a proposé exactement ce à quoi on pouvait s’attendre, mais en mieux, et c’est la marque des très grands de connaître ses points forts et de les appuyer de la sorte sur scène. Un concert fantastique donnant à la fois envie de se replonger dans la discographie du groupe atlantien avec ce nouveau regard enthousiasmé et de les revoir à la prochaine opportunité ; une soirée pouvant se résumer en ces mots si pertinemment prononcés par Bradford Cox sur le ton de la blague : « Merci beaucoup, arrivederci, veni vidi vici ».


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Noé Vaccari

Étudiant passionné par le post-punk et la musique alternative en général