[Interview] Death From Above 1979

Après une ascension fulgurante au début des années 2000, un premier album culte et une tournée fracassante avec NIN et QOTSA, l’ovni indie-punk-electro-rock Death From Above 1979 se séparait en 2006, victime de ses frasques rock’n’roll et d’abus en tout genre !
Huit ans plus tard, le duo canadien formé par Jesse F. Keeler et Sebastien Grainger remet le couvert et semble prêt à en découdre avec « The Physical World », son deuxième album sorti le 9 septembre 2014.
Le groupe n’a rien perdu de son énergie et, chose rare en ces temps de surconsommation de musique jetable, les fans de la première heure sont toujours au rendez-vous !
C’est donc dans un Badaboum à guichet fermé que DFA1979 est venu prendre la température auprès du public parisien.

Death From Above 1979

  • Le groupe est né il y a maintenant 13 ans, quels sont vos souvenirs de cette époque ?

Jesse : On a commencé DFA le 11 septembre 2001, alors c’est facile à retenir !

Sebastien : « We will never forget » comme ils disent aux États-Unis ! En fait, on vivait ensemble, en coloc… Le 10 septembre on a passé une nuit blanche avec la petite amie de Jesse et un autre colocataire. C’était avant qu’internet et les réseaux sociaux n’occupent nos soirées. On s’ennuyait vraiment et on a eu la brillante idée d’appeler ce service de téléphone rose ; on a donné des rendez-vous à des types très bizarres en utilisant la copine de Jesse comme appât ! Elle les attendait dans un café et nous on se marrait sur la banquette d’à côté !

Jesse : D’ailleurs on a gardé les enregistrements de ces conversations quelque part ! C’était incroyable, parce que les mecs disaient des trucs improbables. Il y en avait un qui voulait allonger ma copine sur une peau d’ours devant sa cheminée, et on était derrière : « Parle-lui de l’ours !!! Parle-lui de l’ours ! », et le mec partait en vrille et racontait qu’il voulait être dominé par l’ours, qu’il respectait l’ours, mais qu’il avait peur de l’ours… Au final, il voulait baiser avec un ours, pas avec ma copine !

Sebastien : Enfin, voilà où on en était mentalement en 2001 ! Et le lendemain, il s’est passé ce qu’il s’est passé à NYC… On jouait déjà ensemble dans un groupe (Femme Fatale, projet solo de Jesse, NDLR), des shows étaient programmés, mais à cause de l’état de crise et des frontières verrouillées, on a dû rester à la maison avec tous nos instruments… C’est comme ça qu’on s’est mis à écrire nos premiers titres. On a réécouté les démos dans la voiture, ça sonnait bien avec juste basse / batterie et on s’est dit : « On devrait monter un groupe ! ».

  • 10 ans se sont donc écoulés entre votre 1er album « You’re a woman, I’m a machine » et « The Physical World » qui signe le retour de votre duo, savez-vous combien de fans MySpace vous avez ?!

Jesse : Haha ! Ce serait intéressant de le savoir !

  • En fait il vous en reste tout de même 90 000 !

Sebastien : 90 000 fans ! Hey, c’est pas mal non ?! Peut-être même que l’on a des demandes en attente !

  • Plus sérieusement, quels changements avez-vous remarqués dans la manière de mener à bien un projet musical, de sortir un disque…?

Sebastien : Tu sais, on nous pose souvent la question comme si on se réveillait après 10 années d’hibernation ! Mais en réalité, on n’a jamais quitté l’industrie musicale, on avait nos projets personnels et l’on a vécu les évolutions au fur et à mesure, comme tout le monde ! Bon, je t’avoue qu’en voyant les groupes plus jeunes, je me dis qu’on a eu la chance de développer ce DFA au début des années 2000 et de faire partie de la dernière génération d’artistes à profiter du modèle « old school ». Je ne peux pas imaginer à quel point ça doit être dur d’essayer de percer aujourd’hui, c’est quasi impossible !
Tout le monde peut faire de la musique avec son portable et faire en sorte que ça sonne, à notre époque il fallait aller en studio ! Je ne dis pas que ce n’est pas une bonne chose, mais ça rend le succès encore plus difficile, car le marché est complètement saturé. Je n’envie pas du tout les nouvelles générations de musiciens…

Jesse : Et les deals proposés aux kids sont affreux ! Les labels veulent un pourcentage sur tout… Ils appellent ça des contrats à 360°… Horrible ! Notre contrat est toujours le même qu’il y a dix ans, on peut s’estimer chanceux sur ce coup-là…

  • D’un point de vue créatif quelle a été votre évolution ?

Sebastien : On est partis de l’idée de reproduire ce que l’on faisait il y a 10 ans ! Je ne parle pas de copier bêtement le style du premier album, mais plutôt de s’en servir comme guide et de conserver ce même esprit, cette même énergie… C’est un avis partagé par les producteurs avec qui on a travaillé : ils nous ont vite fait remarquer que le groupe avait une identité forte et qu’on ne pouvait pas trop s’en éloigner. Puis, je ne sais pas, ce n’était simplement pas le moment de faire quelque chose de différent…

Jesse : Tu sais, la musique qui sort naturellement de notre collaboration est si différente de ce qui se fait autour… Il n’y a pas vraiment de comparaison possible, même si tu prends un duo basse / batterie et que tu leur mets notre matériel entre les mains, ça ne sonnera pas pareil !

Sebastien : Durant l’enregistrement de l’album, Jesse a dû s’absenter et j’me suis retrouvé seul avec Dave Sardy (producteur du nouvel album, NDLR), j’ai voulu jouer ses parties de basse, je jouais la même chose, avec son instrument, ses pédales… Mais rien à faire, ça ne sonnait pas comme Jesse, et Dave m’a gentiment remis à ma place : « On va attendre qu’il revienne ! » (rires)

  • Jesse, tu réalises que tu donnes de l’espoir aux bassistes du monde entier en matière de sex appeal ? On dit souvent que c’est la dernière catégorie de musicien susceptible d’intéresser une groupie ! Il est rare dans un groupe qu’un bassiste ait l’opportunité de briller sur scène comme tu le fais !

Jesse : En fait, on représente le groupe idéal dans un monde fantastique ! Parce que tous les bassistes aimeraient plus de reconnaissance et tous les batteurs rêvent d’être chanteurs !

Sebastien : Haha ! C’est tellement ça ! On est le groupe parfait !

Death From Above 1979

  • Il n’y aura donc jamais de guitariste dans le groupe ?

Jesse : Mais tu sais quoi ? On a un guitariste, c’est moi ! J’ai simplement enlevé deux cordes à mon instrument ! Et à vrai dire, ma façon de jouer de la basse est directement inspirée de mon jeu de guitare… Ce qui est marrant c’est quand je reprends une guitare entre les mains sans en avoir joué depuis longtemps : tout paraît si simple ! J’ai l’impression que ma main peut voler tellement le manche est petit et les cordes souples…

  • Vous arrive-t-il de jouer les morceaux de vos débuts sur scène ; par exemple des titres présents sur « Heads Up » ?

Jesse : Ça nous arrive oui, on l’a fait hier soir ! Le clavier ne voulait pas fonctionner, alors on a changé la setlist et demandé aux gens ce qu’ils voulaient… On leur a joué « Dead Womb » qui était sur le 1er EP.

  • Je vous propose un petit quizz « Physical » ou « Digital ». Sexe ?

Sebastien : Haha, avec nos histoires de téléphone rose, les gens vont penser qu’on est fans de cyber sex, mais non, seulement « physical » !

Mais il faut dire que le digital aide pas mal à déboucher sur des rencontres physiques de nos jours ! Je me souviens quand j’ai eu mon premier téléphone portable, le monde des rencontres faciles s’est soudain ouvert à moi ! C’était une sacrée avancée !

  • Amitié ?

Sebastien : « Physical » ! J’ai zéro ami virtuel !

Jesse : Le truc c’est que le digital est toujours une approximation, une extension de la réalité, mais pas la réalité !

Sebastien : Pour être honnêtes, nous ne sommes pas très « connectés », je n’ai pas d’application Facebook ou Instagram installée sur mon téléphone ; c’est une expérience à laquelle je n’ai plus envie de me prêter. Je l’ai fait par le passé, et bien sûr on utilise tout de même internet, mais c’est fatiguant, tu gaspilles ton temps sur les réseaux sociaux !

  • Magnétophones ?

Sebastien : On a eu la chance de connaître les deux écoles, « Physical » et « Digital »… Il ne faut pas avoir peur de mélanger ces deux mondes… La technologie numérique est géniale pour le workflow, tu peux matérialiser tes idées beaucoup plus rapidement, tu n’as pas besoin d’un mec assis à côté en train de découper des bandes avec une lame de rasoir !

Jesse : Oui, la révolution a vraiment été au niveau de l’editing, bien sûr c’était possible en analogique, mais tellement plus contraignant ! Et pour des gens comme nous, à la fois créatifs et techniciens, le workflow est vraiment un élément primordial en production, plus tu peux obtenir rapidement ce que tu souhaites, mieux c’est !

Sebastien : Et le digital arrive à maturité maintenant, ça sonne finalement bien ! Quand on a commencé, le numérique était loin derrière l’analogique en terme de qualité de son, on pouvait vraiment faire la différence. Ce n’est plus le cas.
Avec DFA1979, le meilleur mélange que l’on ait trouvé pour enregistrer nos morceaux c’est de passer par des machines et préamplis vintage puis de coucher le tout sur Pro Tools qui nous sert de magnéto.

Jesse : Haha ! Il t’a demandé « Physical » ou « Digital » et tu parles pendant 5 minutes !!! C’est notre problème, on est super mauvais en interview et c’est aussi la raison pour laquelle on ne peut pas se permettre d’être sur les réseaux sociaux ! Parce qu’on est incapables de synthétiser et chaque réponse est digne d’un essai ! Je vais avoir une idée, l’introduire, la développer, je vais t’apporter des preuves de ce que j’avance, quand même aborder une antithèse, puis je vais t’endormir avec ma conclusion !

Death From Above 1979

  • La guerre ?

Sebastien : Les deux… Même plus digital que physique si tu regardes l’utilisation des nouvelles technologies dans les campagnes de propagande…

Jesse : Le concept n’est pas nouveau d’ailleurs… Che Guevara avait une équipe de cinéastes avec lui en permanence. Imagine la scène : des rebelles dans la jungle, avec un réalisateur et un crew de cameramen !
Et l’on voit les mêmes détournements aujourd’hui. As-tu vu les films magnifiques que l’État islamique produit ? Images HD, panoramiques, slow motion, effets spéciaux… La qualité des productions est incroyable ! La guerre c’est aussi une question de promo mec…

Sebastien : Regarde aussi l’impact des réseaux sociaux sur des événements comme les Printemps arabes ; Twitter et Facebook ont joué un rôle considérable !

Jesse : Ou les attentats de Boston ! CNN diffusait plus de tweets ou de vidéos postées en ligne que de l’information classique… Donc oui, le digital a pris l’ascendant, mais ce que j’essaie de dire c’est que la guerre a toujours eu les médias et la propagande comme complices… Même pendant la Première Guerre mondiale, le nombre de morts au combat n’était pas du tout le même en fonction de là où se situait l’information…

  • Votre nouvel album ?

Death From Above 1979 - Physical World

Sebastien : « Physical » bien sûr !

  • Dans quels formats physiques l’avez-vous sorti ?

Sebastien : Ah, tu voulais savoir si l’on sortait des cassettes ?!!! Tu as encore un magnétocassette toi ?

Non parce qu’on a cet ami qui ne sort que des cassettes sur son label indé, il sort des albums terribles, c’est sympa si ta mère à une radiocassette dans sa vieille voiture, mais bon, il faut arrêter le délire ! Si tu produis sur un support que personne n’est capable d’écouter, tu fabriques juste des déchets ! Je pense qu’on arrivera de toute façon au point où il n’y aura plus de support physique !

Jesse : En revanche, on est amoureux des vinyles, le premier disque que j’ai acheté dans ma vie était un vinyle, et c’est le seul support physique que j’achète encore.

  • J’ai vu des photos de Dave Grohl faisant la promotion de DFA1979 et portant vos T-shirts à têtes d’éléphants, vous l’avez engagé comme VRP ? Il sera au stand merch ce soir ?!

Dave Grohl

Sebastien : Oui, oui, bien évidemment, il sera présent au Badaboum !!! (rires)

  • Comment en êtes-vous arrivés à boire des bières avec cette légende du rock, la rencontre remonte à votre tournée avec QOTSA en 2005 ?

Sebastien : Pas du tout, en fait c’est lui qui est venu à notre rencontre, il aime ce que l’on fait…

Jesse : Batteur-chanteur !

Sebastien : Dave nous a réclamé un T-shirt, on lui a envoyé et il a commencé à le porter partout ! Puis, il nous a demandé si l’on voulait faire la première partie des Foo Fighters !

Jesse : En fait on aurait même pu partir en tournée avec eux, voyager dans leur avion privé…

Sebastien : Mais tu ne peux pas ouvrir pour les Foo Fighters ! Comment t’expliquer…? Que tu sois fan ou pas, que tu achètes ou non leurs disques, tu vas à un concert des Foo et tu réalises que tu connais toutes leurs chansons !!! C’est le plus gros groupe de rock du monde, et on serait ridicules si l’on jouait avant !

  • Je ne suis pas certain que vos fans partagent cet avis et ce serait une belle surprise de vous voir partager la scène avec Foo Fighters ! Merci en tout cas de nous avoir reçus juste avant votre première scène parisienne, bon concert et rendez-vous le 28 février 2015 pour une nouvelle date, prévue cette fois-ci à la Gaîté Lyrique !

Retrouvez Death From Above 1979 sur :
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À voir aussi : « Life After Death From Above 1979 », documentaire sur l’histoire du groupe disponible en VOD.

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Benoit Billard

Véritable baroudeur du music business version DIY, à la fois acteur et spectateur, impatient de voir se mettre en place de nouveaux modèles encourageant la création indépendante et la diversité musicale.