Indescriptible et fascinant, un concept album imprégné de ténèbres et d’espoir s’entremêlant jusqu’à la rupture.
Les chansons sur la mort sont légion dans la musique, pratiquement depuis sa création : le requiem pour les compositeurs dits « classiques », les chants funéraires tribaux, mais également les pièces modernes de l’art populaire. Quitte à ce que cela sonne comme un cliché, la mort fascine les créateurs ; de par l’inconnu qu’elle suscite, la fascination et la répulsion mêlées, la crainte de l’après. Cela étant, il est toujours difficile de façonner des morceaux physiques ou mélodiques sur ce thème sans tomber dans la redite ; airs mélancoliques, rythmes pesants (le doom metal en est un bel exemple), paroles à la limite du suicidaire ou des larmes… Le percussionniste Jon Mueller (Volcano Choir), avec son projet conceptuel Death Blues, a décidé d’éviter les écueils relatifs à l’expression de ce mystère ; lui préfère se concentrer sur l’état second dans lequel la faucheuse, lorsqu’elle s’approche de nous et que nous en avons conscience, nous plonge. Aidé du multi-instrumentiste William Ryan Fritch, s’inspirant notamment des quelques jours consécutifs au passage de l’ouragan Katrina et de l’arrivée d’une nouvelle catastrophe climatique pour les habitants déjà confrontés à l’horreur, il plonge à corps perdu dans ce moment de tension et de révélation, dans cet instant de veille pendant lequel l’impossible va à nouveau se reproduire et que l’on sait que la fin est proche.
« Ensemble » est continuellement suspendu, dans l’attente. Le disque atteint une strate harmonique qui, soyons francs, n’a jamais été effleurée auparavant. Musicalement plongé dans le doute autant que dans la résignation, l’auditeur est emmené, par l’enchaînement de passages successifs miraculeux, de la lumière à la grisaille, tout en voyant ses vérités propres s’inverser. Consonance et Participant, cuivrés et vocalement émerveillés, apaisent avant le terrible et magnifique Loss, chef-d’œuvre de noirceur que Matt Elliott n’aurait pas renié. C’est à partir de ce titre précis que tout bascule, que la tempête extérieure et intérieure surgit. Les repères sont brouillés et indistincts, la réalité se modifie sous nos yeux alors que nous sommes impuissants. Unseen et Reentry ferment les rideaux de l’esprit pour créer l’obscurité totale, tandis que Languaging exprime, grâce à son rythme intense et volcanique, le maelström, l’œil du cyclone, l’éclair avant la pluie battante qui le suit (Obtain et l’oriental Entrainment). Les éclats de lumière noire auxquels nous avons assisté cèdent leur place au dévoilement d’un phrasé lyrique qu’un voile opaque vient couvrir mais que l’on serre paisiblement, avec le sentiment d’avoir touché du bout des doigts l’ultime respiration, le dernier souffle, semblable à l’idée finale d’un cerveau qui n’est plus irrigué mais cesse de fonctionner en n’emportant que la mélancolie et le déni de l’enveloppe charnelle, inutile et éphémère (Onward).
« Ensemble » est une lamentation ; pas sur son propre sort, mais sur l’étouffement que la terreur de ne plus être peut engendrer. Il est ce moment infinitésimal entre inspiration et expiration, alors que l’on recrache le dioxyde de carbone pendant que nos poumons assimilent les molécules pénétrant notre corps. Il est surtout le détachement, l’irréel que l’on ne peut saisir, qui nous obsède quand nous sommes face au décès qui s’annonce fatal mais tarde à venir. Ce délire suspendu pendant lequel on souhaite que tout s’arrête, pour soi ou pour un proche, même si l’on se refuse à laisser l’autre nous quitter. Se confronter au disque, c’est être face au funeste destin de la disparition, du départ ; à la différence près que, grâce au langage de Death Blues, on voit l’âme prête à quitter le corps, on contemple le trépas.
Exceptionnel et puissamment évocateur, « Ensemble » fascine autant qu’il dérange, hypnotise et captive de la première à la dernière note. Sans exagérer, sans doute l’un des meilleurs albums de l’année, malgré sa rudesse et son accès difficile. Mais passer à côté serait, c’est une certitude, un cruel manque à gagner.
« Ensemble » de Death Blues, disponible depuis le 9 septembre 2014 chez Rythmplex.
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