[EP] DaYTona – Morceaux de Lune

La preuve irréfutable que le rock français a de beaux jours devant lui, en mariant intelligence des arrangements, subtilité et énergie inépuisables.

DaYTona - Morceaux de Lune

On l’a souvent prouvé ici, grâce aux nombreux contacts de groupes en quête d’un devenir médiatique malheureusement ignoré des bien-pensants, plus intéressés par la contestation et une pseudo-anarchie débilitante : le rock français, le vrai, celui qui tire sa puissance d’un passé anglo-saxon demeurant nécessaire pour donner à la musique sa réelle identité, n’est pas dans la presse soi-disant spécialisée ou encore sur des chaînes satellitaires apparemment peu soucieuses de la qualité artistique. Non, il se cache et attend son heure, se perfectionne et attire tout auditeur en quête d’intelligence harmonique et d’intensité électrique. Sans rentrer plus profondément dans un débat qui pourrait durer des jours entiers, allons à l’essentiel : ce nouvel EP des Lyonnais de DaYTona est tout simplement un chef-d’œuvre qu’il convient de découvrir immédiatement. « Morceaux de Lune » enchaîne les montées énergiques, les riffs remarquablement structurés et un sens accru de l’arrangement et de la musicalité avec une concentration et un talent peu communs. Le pari était pourtant risqué : unir chant dans la langue de Molière et instruments sous haute tension revient souvent à un dangereux numéro d’équilibriste. Mais le quatuor rejoint l’autre rive sans jamais chuter, avec une aisance et une délicatesse peu communes.

Annonçant la couleur (dans des tons rouges et gris de préférence) dès les phrases instrumentales ciselées de « Morceaux de Lune », DaYTona ne cherche pas à simplement frôler le rock ; il pénètre en lui pour mieux s’y confronter, y découper au couteau les morceaux les plus nourrissants et nécessaires. Structurant chaque titre avec une méticulosité qui laisse sans voix, le groupe ne laisse rien au hasard, dépassant (voire réinventant) les guitares et leur laissant trouver un langage propre, ornant la section rythmique d’efficaces moments libres et brillants (Kasserine et son court pont émotionnellement remarquable). Comme si le format classique ne leur était d’aucune utilité ; il faut continuellement remettre en question la construction d’un seul et même titre, le laisser mûrir afin qu’il caresse des murs sonores sans aspérité. Laissant résonner les fulgurances noisy de « Comment », tandis que celui-ci donne à penser qu’une explosion de fureur va lui succéder, la transcendante fascination que provoque le monologue chargé de courant continu et d’électrons libres de « Ce soir là », moment de bravoure entre retenue et implosion sensorielle phénoménale, laisse l’auditeur immobile et dépassé par un tel élan artistique fait de fascination et d’émotion brute.

Cherchant les écrins dans la noirceur et la jouissance immédiate, DaYTona dépasse le verbe en invoquant l’introspection, les remords et une vision spirituelle et humaniste de l’écriture. Loin de ne demeurer que dans la lassitude des lendemains d’extase, dans la soumission à l’autre, le groupe clame haut et fort ses regrets, ses constats de rapports tendus et charnels, parfois intenses, souvent sans avenir. L’homme est allongé, exsangue, digérant la rupture comme on tente de retenir une nausée qui ne pourra que nous rendre toujours plus malades. La faute à qui, à quoi ? La réponse n’est jamais frontalement exprimée, mais dépasse de paroles entre désillusion et volonté, là où le dialogue devient impossible, mais quand, dans une seule et même phrase, la culpabilité de chacun se fait de plus en plus floue. Des histoires de distance et de feu qui s’éteint, ces reproches, ces accusations sans fondement… Comme si l’abandon laissait place à une colère que l’on n’ose exposer brutalement, une vision intérieure de la séparation que l’on essaie de sauver une dernière fois, mais à laquelle on finit par s’habituer, quitte à la provoquer pour ne pas en souffrir plus longtemps. Le substantif « Comment » résonne à l’infini ; constat non pas d’échec, mais d’usure de l’union. Cette même question que tout le monde se pose, mais n’ose jamais affirmer ; ce que ces « Morceaux de Lune », débris d’un astre qui, quelques secondes avant le fracas, demeurait aussi réconfortant que lointain, clament et laissent voir en plein jour, brouillant les repères et plongeant l’âme dans l’obscurité.

crédit : Jipé Truong
crédit : Jipé Truong

Un seul mot vient à l’esprit lorsqu’il s’agit d’exprimer son ressenti face à ce bouleversant EP : merci. Oui, merci à DaYTona d’exprimer, grâce à un art qui n’appartient qu’à eux, ce que l’on ne veut pas, par fausse pudeur, dire sur la souffrance intérieure provoquée par l’autre qui nous échappe à jamais.

« Morceaux de Lune » de DaYTona est disponible depuis le 14 décembre 2014 chez SurferRosa et Tekini Records.


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Raphaël Duprez

En quête constante de découvertes, de surprises et d'artistes passionnés et passionnants.