[LP] Daprinski – Chorégraphies de l’ordinaire

En faisant du quotidien la source d’une poésie musicale et verbale sortant de l’ordinaire pour nous plonger dans le rêve et la puissance des sentiments et des ressentis, Daprinski signe un disque inoubliable et viscéral, s’ancrant dans nos pensées et nos émotions pour mieux les bouleverser et les analyser. L’existence est une danse folle et solitaire, mais elle devient ici la source de mouvements libérateurs d’une incroyable profondeur.

Tant de gestes perdus, de détails insignifiants auxquels on n’accorde plus la moindre importance. Tant de regards détournés, de contemplations rêveuses que l’on oublie dans les minutes qui suivent et qui, imprévisibles, réapparaissent d’elles-mêmes dans nos songes, éveillés ou non. Tant de sensations tactiles, de parfums, de courbes, de visages que l’on croise en les admirant, puis en les observant nous échapper et quitter ainsi notre mémoire. Toutes ces bribes existentielles, Daprinski s’en est inspiré pour donner naissance à « Chorégraphies de l’ordinaire », à ces séductions avides ou brèves qui peuvent transcender nos jours de souffrance et d’habitudes amères. Dans ce monde d’une réalité à la fois brutale et poétique, car nous confrontant à nos propres faiblesses, le compositeur devient acteur et metteur en scène, disposant nos corps et nos esprits sur les planches d’un théâtre imaginaire, face à une fosse où piano, percussions et cordes attendent de pouvoir s’exprimer et s’enrouler autour des timbres masculin et féminin, notamment grâce à l’irremplaçable présence complémentaire de Shan Jiang. La pièce peut alors commencer.

Briser les chaînes d’un orchestre qui, lors d’une ouverture poignante et à la dimension aussi épique qu’intime, prépare l’auditeur aux circonvolutions vocales et instrumentales du dépouillement mélancolique de complaintes aussi passionnées et charnelles que « Le dernier homme » ou « Intrigue » ; alors que les minutes, inexorables autant que palpitantes, avancent, chacun de nous sent sa gorge se serrer, entre angoisse et tristesse. Non pas que l’art de Daprinski soit le fruit des mélodies les plus lacrymales ; ou alors, ces larmes nous libèrent, nous soulagent, nous permettent de laisser éclater nos douleurs. Témoignages de ces terres spirituelles laissées à l’abandon alors que leur fertilité renferme le meilleur de nous-mêmes, le sublime « Pleurs sur la ville », le langoureux et sensuel « Les yeux de Maud » et le chimérique « L’étranger » façonnent les figures devant lesquelles nous prenons le temps de nous arrêter, miroirs de nos âmes qui, à travers une instrumentation acoustique inoubliable et frappante, notamment lors des pas chassés d’interludes riches et essentiels, reflètent nos démons afin de mieux les chasser. Épurer dans la symphonie des cœurs et des tourments, se faire le prédicateur de minutes primordiales que l’on ne devine jamais aussi urgentes et importantes qu’à travers la magie presque visuelle de l’album.

Long-métrage à la fois réel et conceptuel, « Chorégraphies de l’ordinaire » demeure surtout la vision d’un créateur s’émerveillant devant chaque forme, chaque cliché qui s’imposerait à son regard et qu’il se donnerait comme objectif premier de transcender par la musique. Avant de nous l’offrir ; car ce disque n’a rien d’inoffensif, tant il est aussi admirable et lumineux que mystérieux et ténébreux. « Le principe de la poésie est l’aspiration humaine vers une Beauté supérieure », disait Baudelaire ; une ascension à laquelle nous convie Daprinski au fil de cet opus exceptionnel et existentiel, aux mille splendeurs et délices.

crédit : Didier Robcis

« Chorégraphies de l’ordinaire » de Daprinski est disponible depuis le 31 mars 2017 chez Alter K / Éditions Dargent.


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Raphaël Duprez

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