[LP] Daniel Blumberg – Minus

Nous ne l’attendions pas ; et pour peu que l’on connaisse son travail derrière les projets Yuck, Oupa ou encore Hebronix, Daniel Blumberg est comme une ombre sortie de nulle part. Une ombre comme l’imaginaire la dessine, tout juste délimitée, noire et empreinte d’une certaine distance. À l’image de ce qu’il trame, « Minus » foudroie, secoue, interroge et irradie une douleur émotionnelle sans précédente. La naissance d’une magnifique beauté, une mélancolique et stupéfiante folie, prend encore racine dans le spleen inégalé de la musique britannique, faisant passer Keaton Henson pour un heureux et tendancieux penseur tourmenté.

Le déchirement puis l’éclatement. La suite logique de beaucoup d’âmes, en quête puis en perte. Blumberg ne déroge pas à la règle. Après maintes désillusions et dissolutions, il sombre dans l’incompréhension de l’être aimé, se change en boule ésotérique pour expier ses troubles endormis. Avant même de s’immiscer, de plonger dans l’intimité outrageusement névralgique de sa musique, l’artwork malaisant de « Minus » interroge et cogne tout bas. Entre le courant surréaliste et l’art dérangeant du Sud-Africain Roger Ballen, les dessins de Blumberg superposent le noir et le rouge, rendent aux fusains et au carbone toute la noirceur qu’ils peuvent représenter, se répètent souvent, en mesure, en boucle insidieuse, jusqu’au chaos. C’est ce que son esprit transmet, et sa musique par ailleurs.

« Minus » s’ouvre sur le titre éponyme comme une boîte maléfique que l’on peinera à refermer. Un piano et des cordes frottées disjonctent sous le chant plaintif de Blumberg. Une ritournelle lugubre rentre alors en scène, un jeu d’ombre et de lumière, de clair-obscur, qui permet des éclats d’une beauté infinie au milieu d’un noir quasi total. Des élans empruntés à l’improvisation railleuse et tumultueuse du jazz et du rock garage se jouent de la fulgurance de la longue et immersive « Madder », où le tout dégringole dans un final brut et chaotique, étonnamment et tout de même maîtrisé, qui reflète plus encore l’état psychique de son auteur. Pour l’anecdote – sans complaisance –, cet album a été enregistré en seulement cinq jours au Pays de Galles, en pleine rupture avec sa partenaire de sept ans et au moment où Blumberg luttait contre ses troubles psychologiques continus et déclencheurs d’une hospitalisation une semaine avant l’enregistrement.

Les coups de massue passés, le génie exacerbé aussi, l’antonymique « The Bomb » surgit en sixième position pour nous achever, ne faisant que confirmer la naissance d’un révérencieux artiste écorché qu’on aime s’approprier, se garder pour soi, pour nos moments de sombres penseurs, se jouant de leur peine pour contempler et se tourmenter, pour être en phase avec notre mélomanie. Œil pour œil, dent pour dent. Son obsession devient notre obsession.

crédit : Steve Gullick

« Minus » de Daniel Blumberg est disponible depuis le 4 mai 2018 chez Mute / [PIAS].


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Julien Catala

chroniqueur mélomane, amoureux des échanges créés autour de la musique indépendante