Après un mois d’avril particulièrement humide et maussade, mai a su montrer quelques éclaircies, du moins musicales, pour annoncer l’été par une poignée de disques tantôt lumineux, tantôt inquiets, parfois menaçants. Au programme : du folk québécois, le double retour de membres de Portishead dans des projets parallèles, du rock psychédélique et une fausse musique de film.
[LP] Myriam Gendron – Mayday
10 mai 2024 (Chivi Chivi, Feeding Tube Records, Thrill Jockey)
Attention, chef-d’œuvre ! Le troisième album de la folkeuse canadienne de 36 ans est une merveille de la première à la dernière seconde. Instrumentaux qui rappellent des madrigaux délicats, prose épique et solennelle en français qui convoque Anne Sylvestre, dont on retrouve le timbre grave et chaud à la fois, et bijoux en anglais dans une tradition plus nord-américaine. Tout est là, d’une fausse simplicité désarmante de beauté.
[LP] King Hannah – Big Swimmer
31 mai 2024 (City Slang)
Pour son second album, après le très remarqué « I’m Not Sorry, I Was Just Being Me » en 2022, le duo britannique invite Sharon Van Etten sur deux titres (dont l’ouverture éponyme folk-rock en deux mouvements). Ce « Big Swimmer » est aussi l’occasion pour Hannah Merrick de faire montre de tous ses talents de chanteuse à la voix grave et blasée, mais aussi de guitariste capable de saillies abrasives. Après le tubesque « New York, Let’s Do Nothing » dont la nonchalance évoque aussi bien Courtney Barnett que Wet Leg, le disque s’aventure dans des titres plus retors et complexes. Un retour audacieux pour un groupe à suivre.
[LP] Beth Gibbons – Lives Outgrown
17 mai 2024 (Domino)
Vingt-deux ans après un premier effort collaboratif accompagné de Rustin Man, « Out of Season », Beth Gibbons est sortie de son quasi-silence (quelques concerts de Portishead, un enregistrement de la 3e de Górecki), pour publier son premier véritable album solo. Ce « Lives Outgrown » ne devrait dépayser ni les fans de la dernière heure de Portishead (sublime « Third », aux accents kraut menaçants), ni ceux de son précédent disque d’écorchée vive. Faussement apaisé, mais dont l’atmosphère et l’orchestration témoignent en permanence d’une inquiétude, d’une intranquillité, ce nouveau disque cite allègrement Radiohead, Talk Talk ou Nick Drake pour nous toucher en plein cœur : épure, fragilité d’une voix qui vieillit, impression sourde d’étouffer… pas un moment particulièrement joyeux ou agréable, mais un disque de ceux qui vous hantent et vous collent à la peau.
[LP] Beak> – >>>>
28 mai 2024 (Invada, Temporary Residence Limited)
Les fans de Portishead ont décidément été gâtés en ce mois de mai : une dizaine de jours après la parution du tant attendu album solo de Beth Gibbons, c’est son comparse Geoff Barrow qui nous gratifiait d’une sortie surprise d’un nouvel album de Beak>, son side-project de krautrock. Sur la pochette, Alfie, le chien de Geoff, tire des rayons laser par les yeux. Dans la réalité, il vient de quitter ce monde et ce disque est un hommage à ce fidèle compagnon. Un album endeuillé donc, peut-être plus sombre et touchant que ses prédécesseurs (qui étaient sombres, mais froids). Le chant, plaintif, y occupe un rôle prépondérant, mais ce sont les titres les plus marécageux qui retiennent l’attention, tels ce très étrange « Denim », ou encore « Ah Yeh », pastiche à peine déguisé du « Halleluwah » de Can.
[LP] Uncle Acid & the Deadbeats – Nell’Ora Blu
10 mai 2024 (Rise Above)
Le nouvel album des Britanniques, un des fers de lance de la nouvelle scène doom psyché mondiale, est probablement leur plus personnel et leur plus barré à ce jour. Présenté comme la bande-son d’un giallo, les thrillers horrifiques italiens des années 60/70’s (pensez : Lucio Fulci, Mario Bava, Dario Argento), avec crédits de vrais acteurs à l’appui sur la pochette, et extraits de dialogues puisés à droite à gauche, cet exercice de style aurait pu tourner court, mais il révèle au contraire toute la palette musicale d’un groupe jusqu’alors souvent cantonné au même univers. Synthés, flûtes, moments suspendus, planants et jazzy laissent peu à peu la place à des riffs de guitares aussi attendus que terrifiants. Un très bel hommage à Goblin et à la scène italienne de ces années-là.
[LP] La Luz – News of the Universe
24 mai 2024 (Sub Pop)
Cinquième album pour ce groupe de rock californien fondé en 2012 par la guitariste et chanteuse Shana Cleveland. En à peine 35 minutes, le groupe parvient à convoquer au sein d’un disque très cohérent et efficace tant les fantômes des sixties (doo wop, pop ensoleillée à la Beach Boys), que leur relecture kraut et électronique très 90’s par des artistes au rang desquels Stereolab. C’est frais, mélodique, taquin et ça glisse entre nos oreilles avec une évidence joyeuse. Un petit enchantement de groove lumineux.
[LP] Abschaum – Quand viennent les serpents ?
15 mars 2024 (Macadam Mambo)
Refermons cette sélection préestivale avec un petit rattrapage : en mars dernier sortait dans une relative confidentialité le nouvel album des chouchous Abschaum (projet musical de Chris Poincelot, ex-gourou du renouveau krautrock à Lyon), après quatre ans d’absence (sept si on ignore « Et toi », uniquement paru en digital. Tombés par hasard dessus, nous souhaitions l’intégrer ici pour diffuser un peu plus cette petite merveille de pop sous influence, où le chant en français côtoie de longues plages cosmiques entêtantes aux ornementations arabisantes tout droit sorties d’un album de Gong, d’une rêverie de Popol Vuh, ou d’une errance dans le désert en compagnie d’Agitation Free. Superbe.