Avril fut peut-être maussade côté météo, mais au moins du côté des sorties musicales indépendantes, ce fut une fournée exceptionnelle, qui méritait bien un focus un peu plus étoffé que les mois précédents. Voici notre sélection mensuelle et nos recommandations d’écoute.
[LP] Françoiz Breut – Vif !
19 avril 2024 (6T2 records)
Après bientôt trente ans de carrière et désormais huit albums studio au compteur, Françoiz Breut confirme avec ce « Vif ! » une esthétique aussi singulière que sophistiquée. Cette pop élégante et volontiers sensuelle, bercée d’une basse nonchalante aux accents jazz ou loungetronica mais traversée d’excentricités instrumentales ou vocales, se déploie sur douze titres aux textes travaillés en français, tantôt doucement surréalistes, tantôt presque coquins.
[LP] Lucy Rose – This Ain’t The Way You Go Out
19 avril 2024 (Communion Group Ltd)
Cet album, le cinquième de la jeune britannique Lucy Rose, ravira les amateurs de blue-eyed soul et d’arrangements jazz-rock et folk-pop dominé par un piano sautillant et des volutes de saxophone et de synthétiseur. Comme l’impression d’assister à un concert, la nuit dans un club de Londres enfumé, autour de ces pépites délicieusement jazzy où sa voix fait des merveilles, rappelant parfois les premiers albums de sa compatriote Jessie Ware.
[LP] St. Vincent – All Born Screaming
26 avril 2024 (Total Pleasure Records)
Un nouvel album d’Annie Clark, aka St. Vincent, est toujours un événement en soi. Mais déjà trois ans ont passé depuis l’assez mal-aimé (ou mal compris ?) « Daddy’s Home », et sept depuis le très orienté dance et musique électronique « MASSEDUCTION », et ce « All Born Screaming » était annoncé comme une renaissance, une réinvention de plus pour une artiste cultivant les facettes et les persona, à la manière d’un David Bowie ou d’un Prince. Finalement, c’est plus à une synthèse de tout ce qui précède et à une réaffirmation d’une artiste en totale maîtrise de son processus créatif – c’est la première fois qu’elle produit l’un de ses albums – que nous assistons. Un disque foutrement personnel, d’un éclectisme résolument queer, touchant, furieux, drôle et politique. Un nouveau sommet et une suite de tubes en puissance.
[LP] Phosphorescent – Revelator
5 avril 2024 (A Verve Records)
Projet musical du musicien américain Matthew Houck depuis 2001, Phosphorescent explore depuis une vingtaine d’années les différents styles de folk-rock américain, avec une coloration qui tire plus ou moins vers la country, le bluegrass ou le rock suivant les disques, pas toujours convaincants. Sur « Revelator », son huitième album et le premier depuis le décevant « C’est La Vie » en 2016, il nous propose un country-folk plus simple et direct que jamais, nimbé d’un spleen magnifique et de somptueux arrangements de cordes et de guitar slide qui nous font rêver de paysages immenses dans le couchant. Il ne faut rien de plus à ces neuf chansons que son timbre légèrement éraillé pour en faire des complaintes poignantes et sublimes.
[LP] Bonnie Banane – Nini
5 avril 2024 (Péché Mignon, Grand Musique Management)
On change radicalement d’ambiance et de style avec « Nini », le troisième album de la Française Bonnie Banane, qui multiplie les apparitions entre deux disques, notamment chez Flavien Berger. Un disque placé sous le signe de l’audace et de la gouaille, de la pop mâtinée d’influences trap ou rap français contemporain, mais dont les instrumentations trahissent un goût pour le monde la nuit et de ses raves technoïdes. Un disque gentiment foutraque, de pop électronique bricolée, drôle et inventive, comme si Aya Nakamura croisait le fer avec Tune-Yards.
[LP] Melvins – Tarantula Heart
19 avril 2024 (Ipecac Recordings)
Pas de chichis sur le nouvel opus des papes du sludge américain, les Melvins. La bande à Buzz Osborne et son impayable chevelure, qui officie depuis plus de quarante ans maintenant, expédie ce vingt-septième (!) album studio en cinq titres et moins de quarante minutes, et ouvre les hostilités par « Pain Equals Funny », titre melvinesque en diable de presque vingt minutes de riffs vicieux et retors à souhait. Les quatre autres pistes renouent quant à elles avec la veine plus efficace et directe de leur discographie, un punk heavy sous acide, caustique et déglingué, mais du plus bel effet.
[LP] Meshell Ndegeocello – Red Hot & Ra: The Magic City
12 avril 2024 (Red Hot Organization)
Fruit d’une collaboration entre la bassiste de jazz américaine et l’association Red Hot Organization, qui promeut la culture africaine américaine et fait de la prévention sexuelle et de la lutte contre le VIH en confiant des projets artistiques à des figures importantes telles que Meshell Ndegeocello, cet album revisite le catalogue impressionnant du géant Sun Ra et convie au passage l’actuel leader du Sun Ra Arkestra, le saxophoniste bientôt centenaire Marshall Allen. Le résultat est cet imposant, mais passionnant disque, pas vraiment tribute album, mais hommage on ne peut plus réussi à l’une des figures incontournables du free jazz et de l’afrofuturisme. Exigeant, mais enthousiasmant.
[LP] Cindy Lee – Diamond Jubilee
12 avril 2024 (Realistik Studios)
Refermons cette sélection par l’album indé dont tout le monde parle ces dernières semaines. Projet solo et drag du canadien Patrick Flegel, ex-Women (les futurs Viet Cong / Preoccupations, sans lui), Cindy Lee est pour lui l’occasion d’explorer à travers cet alter ego féminin fantasmé un univers musical pop vintage venu tout droit d’un monde quasi disparu. Cette pop rétro qui convoque les années 60, les Beach Boys et les chanteuses à la Dusty Springfield se veut hypnagogique, sorte de passerelle entre le réel et le rêve, le passé et le présent, l’éveil et le sommeil. Le tout sur un disque-fleuve de plus de deux heures et trente-deux titres, absent des plateformes de streaming, sans format physique, mais disponible en téléchargement à prix libre sur un site créé pour l’occasion. Un projet fou, pas complètement abouti peut-être, mais qui ne laisse pas indifférent.