[Compilation] Contre Coups

Troisième millénaire et on en viendra encore, mercredi, à devoir vivre une journée de lutte contre les violences faites aux femmes. Une journée qui se mobilise tous les ans pour un jour ne plus exister, pour ne plus avoir à poser de pansements sur les plaies. En attendant, douze femmes se sont réunies autour d’un micro pour laisser parler la musique. Douze morceaux pour rendre les coups. Un ensemble qui nous prend à contre pieds, à Contre Coups.

Contre Coups

Mais avant de se laisser prendre par la musique, il semble légitime que Contre Coups puisse se présenter en quelques mots sobres et significatifs :

« Le projet, intitulé Contre Coups, réunit 12 femmes artistes qui chantent contre les violences faites aux femmes. La compilation digitale de 13 titres éclectiques (rock, électro, rap, pop, variété, folk…) sera disponible en ligne sur Bandcamp, le 25 novembre 2015, journée internationale de lutte contre les violences faites aux femmes. Tous les bénéfices générés seront reversés à l‘Institut en Santé Génésique (ISG) , centre basé à Saint-Germain-en-Laye (Yvelines), qui accueille et accompagne des femmes victimes de toutes formes de violences (harcèlement moral, viol, inceste, violences conjugales, harcèlement au travail, excision…).
Fondé en janvier 2014 par Frédérique Martz, directrice de l’ISG et ancienne cadre et DRH dans une maison d’édition médicale, et Pierre Foldès, chirurgien urologue spécialisé dans la réparation de femmes excisées, ce centre unique en France est marrainé par Florence Foresti.  La structure propose une aide transversale, à la fois médicale, juridique et psychologique, ce qui évite aux victimes de se décourager face à de multiples démarches douloureuses et permet un suivi personnalisé. 21 infirmières, psychologues et juristes bénévoles travaillent main dans la main pour venir en aide aux femmes. 614 femmes ont été accueillies depuis l’ouverture de l’institut en 2014 et 200 d’entre elles ont été extraites de situations de violences. »

En 2014, le Prix Nobel de la Paix a été décerné à Malala Yousafzai, et ses mots ont été : « Quand le monde entier est silencieux, une seule voix peut faire la différence ».
Chaque voix peut avoir son impact, sa force, sa nécessité. Il nous a semblé alors évident de nous attarder et de mettre en lumière chacune de ces artistes, de ces femmes.
Viol. Violence physique. Violence morale. Excision. Domination patriarcale. Harcèlement. Et tant d’autres. Parce qu’il n’y a pas une seule sorte de violence, alors il y aura toute sortes de musiques.
Du folk au rap, en passant par l’électro, le rock et la chanson, l’union fait la force. Cette réunion de femmes autour d’une même cause nous rappelle alors que les limites, les frontières et les « on dit » doivent être dépassés, pour lutter contre un fléau.

Contre Coups

Avec « Jocondes », Watine a la teneur d’une Gréco : une poésie portée par un phrasé qui traverse les rues avec dignité et sagesse, comme ces femmes qui ont parcouru les pavés de mille villes et de mille cauchemars. Sa voix est douce, là où ses mots sont douloureux. Il est question d’amour, de silence, de cris qui se perdent dans l’indifférence. Une chanson emplie de grandeur et d’estime.

Avec « Kintsukuroi » d’Emeraldia Ayakashi, la musique adoucit les maux. La musique est un océan, une étendue de caractère et de paix. Un morceau qui s’enivre de vertige et de colère et qui connaît, en ses abîmes, la lumière et l’apogée. Il y a alors une sensation de conquête de territoires perdues, ceux du respect et de la dignité.

« L’amour au bout des poings » est un slam dur de réalité. De cruauté. Avec Eva Diallo, la violence ne se joue pas au bout des doigts, mais au bout des poings. Ceux que l’on serre. Ceux qu’on reçoit. Ceux qu’on laisse tomber. Il est ici aussi question d’indifférence, parce qu’un bourreau frappe toujours deux fois : dans son acte et dans l’oubli. La voix est claire, douce même si elle reste ferme, comme peut l’être la musique qui se joue sous ce texte. Texte qui commence par une belle métaphore florale, où la femme violentée est une fleur à la tige brisée et l’essence envolée. A l’image de cette ouverture, Eva Diallo fait défiler une poésie sombre, frappante, crue mais tellement délicate.

Pumpkin a toujours eu cette volonté, sans ton moralisateur, de dresser le constat de notre société contemporaine. « Soustraction » est une ambiance ténébreuse pour un sujet terrible. Pumpkin a ce flow qui balance et cogne des réalités. Une verve rouge sang, ou alors rouge colère. Le morceau est un boulet envoyé dans le camp adverse. Pumpkin construit un texte virulent qui dresse un portrait au couteau d’une situation mortelle. Les violences ne sont pas qu’au JT. Les violences font mal. Les violences tuent. Contre les coups, abordons la solution par un combat. Puis, comme Evia Diallo, les derniers morts tranchent ; c’est la justice qui devra vaincre.

France de Griessen offre une reprise du morceau des Violent Femmes, « Country Death Song ». Un récit noir qui amène au fond des puits. Une ballade qui tremble. Une voix faite de force et d’insolence. Le titre est puissant par son ivresse maitrisée et sa musique enivrante. On est alors dans une effrayante course vers la chute. Voir ici le titre chanté par une femme lui apporte toute sa férocité, sa dangerosité, sa détresse.

Avec « Jeu de quilles », la voix de Carolyn se fait plus lente, plus douce, à tâtons pour ne pas réveiller le loup. Ici, on s’offre à un jeu avec les émotions les plus mesquines. La danse, qui avait commencé dans les roses, finit par se perdre dans les bras de la détresse, de la tristesse. Musicalement, la basse prend peu à peu plus de place, au rythme du ciel, sans nuage mais pluvieux, qui s’abat.

C’est un titre noir que Helluvah donne. « Favorite Toy », pour partir en guerre contre l’image de la femme objet. Les nappes électroniques se déversent continuellement, avec pesanteur, lourdeur, alors qu’émane une voix magnétique. Tout cela offre un titre tant oppressant qu’envoûtant.

Combien d’hommes ont lu les Fleurs du Mal ? Combien d’hommes ont lu « Sisina » ? Cette jeune guerrière née sous la plume de Baudelaire reprend vie avec Linalone. C’est dans un chant qui semble venir d’un autre temps que le texte s’établit. Sisina galope sur une mélodie oscillante, parcourant les contrées des aigus. Sisina la femme guerrière qui sait verser des larmes.

« Fighting », étendard d’une lutte. Sur un rock aux saveurs d’un blues dépouillé, le chant d’Éloïse Elle est sulfureux. Les mots sont ceux qui rappellent qu’une femme est maitre d’elle-même. Totalement. Infiniment. La guitare est tout aussi ronronnante que pétrifiante. C’est dans cette atmosphère un brin nonchalante qu’Éloïse Elle donne un sacré coup de pied dans des préjugés bien tenaces.

Tiphaine Wary livre « Coup sur coup », un morceau qui existe dans l’affirmation. Un chant doux qui s’amplifie en chant fiévreux. Une guitare sobre qui finit par s’imposer. Ici, tout est en intensité, en ascension. Et par-dessus, les coups prennent tous les visages. Les plus cruels. Les plus lumineux.

« Lilith » de Circé Deslandes est une invocation des plus troublantes. Lilith répudiée du Paradis parce qu’insoumise à son époux. Lilith reine des femmes. Un morceau aux méandres raisonnants. Prédateur dangereux et glaçant. Une « violence-serpent » court derrière les mots et autour des cous. Pourtant, se cache dans ses fonds une prière qui invoque l’existence et l’émancipation. Entre malaise et fierté, Circé Deslandes laisse ses mots naviguer dans une voix suave et une musique pleine d’échos et de percussions.

L’atmosphère méchamment mystique se retrouve dans « Existence » de Lucie. Le murmure est lancinant et se cache entre le chant religieux et le gémissement. Une berceuse qui amène au réveil. Une berceuse qui explose de toute sa vigueur et force vitale.

À l’image de son illustration, « Contre Coups » est un bouquet effervescent fait de couleur et de saveurs.
Cette compilation est riche. Cette compilation est complexe. « Contre Coups » navigue entre terrible constat et générosité musicale. Pourtant, aux creux des textes, on aperçoit un horizon plus égalitaire, plus bienveillant.
Douze morceaux pour dresser un constat. Douze morceaux qui ont le courage de s’affirmer. Douze femmes pour donner de la voix à tant d’autres. Chapeaux bas.


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Juliette Durand

étudiante en cinéma, arpenteuse des scènes parisiennes et passionnée des musiques qui prennent aux tripes