[Live] Coconut Music Festival 2015

Amaury est un Amore ! Amaury – bienfaiteur chez Frànçois & The Atlas Mountains et qui développe et programme le Coconut Music Festival dans la ville de son « boss » (François Marry) – est un amour pour avoir amené et emmené autant d’artistes de musiques actuelles dans l’enceinte de Saintes. Plus précisément, à l’Abbaye aux Dames, qui est devenu, le temps d’un week-end presque tropical, le vaste échiquier de groupes émergents et submergents. Avec une tactique de jeu qui a remporté tous les suffrages du public, qui s’est pris un déluge continu sans temps de morts de décibels et de vifs bienfaiteurs.

Tahiti Boy and the Palmtree Family

Bien sûr, le confort des lieux y a été pour quelque chose. Il est jubilatoire, tant pour des spectateurs que des organisateurs et des artistes, de pouvoir évoluer dans un lieu historique, sacré, préservé, que quelques lumières rasantes et gobos suffiront à habiller majestueusement. Si on l’avait écouté, Melody Prochet aurait même donné son concert depuis sa chambre, située juste au-dessus de la scène principale, avec vue imprenable sur le cloître intérieur. Radio Nova, en direct du festival, aura eu sa vue de château avec, comme écran de contrôle, la fenêtre de son studio improvisé surplombant les deux plateaux et le backstage. Le public – que l’on aimerait voir toujours plus nombreux – s’est retrouvé chouchouté par tout un tas de G.O. (gentils organisateurs) aux p’tits soins pour lui permettre d’écouter au mieux du gros son. Avec de l’espace, des points restauration faciles d’accès, un très bon son, un timing sans longues attentes ou courses effrénées. Bref, de l’humain pour des humains qui, de plus en plus, se rendent à de grands raouts musicaux, mais qui gouttent de plus en plus à l’inconfort d’écoute.
Et les artistes ! LES Artistes, avec un A Capital comme Amaury, venus presque en touristes tant les conditions de travail et de détente sont propices à donner le meilleur de soi-même. Aucun n’aura déçu, aucun n’aura été déchu. Coconut Music Festival a réussi son grand Chel-aime avec un cœur gros comme ça.

Amaury and friends

Celui qui a eu la tâche que l’on estime parfois lourde d’ouvrir les festivités fut un Anglais connu pour faire partie d’un groupe dont la réputation n’est plus à faire. Barbarossa – alias James Mathé – est en effet membre de Junip et, depuis quelque temps, leader du groupe barbe rousse, qui se veut beaucoup plus électrique et électro que le folk mélodieux de la bande de José González. Tout en restant onirique et perché, dans tous les sens du terme, le monde de James, casquette vissée sur la tête et chemise nouée jusqu’au col, est taillé de ballades, de chemins perdus dans des labyrinthes improbables et de vols en apesanteur toujours plaisants, où l’on pourrait croiser Isaac Delusion et The Acid. En trio, les Anglais débarquent sur des portées hors de portée, où l’on n’hésite pas à tendre la main pour goûter à ce réconfort presque inattendu. On décolle, on plane, on visite la musique de Barbarossa comme embarqué sur un drone. Tout en douceur. Tout en bonheur. Tout à son honneur.

Barbarossa

Venue de Belgique se mesurer à un nouvel auditoire, la jeune et joyeuse bande de Le Colisée, vaillamment menée par son chanteur David Nzeyimana, arrive sur la pointe des pieds sur la petite scène, avec la ferme intention de marquer des poings et des points en France. À la base projet solo de David, le quintet est là pour se battre jusqu’à la mort dans « l’amphithéâtre musical » du Coconut, qui lui a ouvert ses grilles. Programmateur au premier rang ne boudant pas son plaisir, le groupe centenaire (5×20 ans, ou quelque chose comme ça) nous conte des textes légers et frivoles en français et en anglais, sur des musiques poids plume. Innocence, naïveté, préciosité, mais sincérité : Le Colisée ne joue pas à moitié des titres qui, parfois, ont peu d’âme, mais qu’un Jacques Demy se serait certainement amusé à mettre en images. Avec un surjeu qui peut de temps en temps faire sourire, mais qui nous fait découvrir une débandade de jeunes désireux de bien faire et qui ont tout pour réussir comme les grands.

Le Colisée

Une jolie Melody s’échappe ensuite de la scène principale. Timide à souhait, cheveux-écran comme pour la protéger du regard des spectateurs et des photographes, elle n’a pourtant rien à envier à certaines formations plus mûres et pourtant inconsistantes. Avec un CV déjà bien fourni et un livre d’or qui rassemble de grandes signatures, la chambre à échos de Melody Prochet est une nouvelle pièce à considérer dans l’architecture du paysage musical international. Hautement inspirée par des pères hors pair (ou l’inverse), sa machine à remonter le temps des époques psyché, sixties et vintage est parfaitement huilée. Toujours envoûtante, jamais ennuyeuse, elle ne surfe pas, mais habite ces courants musicaux qu’elle remonte en âge et en nage sans l’ombre d’une difficulté. Melody, elle sonne comme du Gainsbourg, elle vibre comme du Led Zep, elle volute comme du CocoRosie, elle murmure comme une Laetitia Sadier. Frêle, mais pas fébrile, secondée par quatre costauds de la guitare, de la batterie et des claviers, M.E.C. nous offre un set à cinq somptueux avec non pas une, mais trois fois un final, dont deux sur des loops et des envolées de guitare nous catapultant sur la scène d’un Black Sabbath et un dernier « Shirim » plus funkisant, qui nous fond dire qu’on l’aime et qu’on l’adore.

Melody's Echo Chamber

L’une des surprises insoupçonnées de ce premier soir est sans conteste Témé Tan, Belge né au Congo et qui a l’ADN idéal pour nous faire vibrer et danser. De son vrai nom Tanguy Haesevoets, ses influences et références multiples l’amènent depuis seulement une poignée d’années à nous produire une musique melting pot qui a commencé à séduire ses amis puis, très rapidement, un plus grand entourage, grâce notamment à des compos postées sur internet depuis le Brésil. Cet esprit voyageur et apatride se retrouve à cette occasion, sur scène, entouré d’un guitariste de Sao Paulo, d’une Ghanéenne aux samples et percus, et d’une Japonaise aux claviers. Témé Tan fait voyager une petite foule agglutinée à la scène, sourires appuyés et yeux écarquillés. On sent la générosité et la spontanéité de ces odes afro-américano pop teintées de soul ou de rock, qui nous emmènent à l’infini vers l’au-delà. Jusqu’à cet atterrissage en douceur avec son dernier titre, « Amethys », hommage émouvant rendu à sa mère, joyeux, mais surtout pas triste.
Témé Tan déroule ainsi le tapis rouge de sa vie riche et parfois déchirée jusqu’au carmin écarlate des robes d’Amadou & Mariam, qui investissent la grande scène pour un match gagné d’avance.

Témé Tan

Ambassadeurs maliens internationaux de la paix, de l’amour et de la fraternité, le couple désormais légendaire a la volonté ferme de ressentir tous les cœurs des festivaliers battre dans leur poitrine. Ils sont venus faire la fête et invectivent en permanence la foule au complet pour célébrer la venue de ces hôtes de prestige qui font l’unanimité et côtoient les plus grands. Le rouge vif de leur tenue de scène est porteur d’amour et de sang qui tapent dans les tempes. Une couleur extrême, mais pacifiste, comme pour signifier que leurs messages, de prime abord joyeux et insouciants, ne sont en aucun point homéopathiques, voire placebo. Suspendus à leurs lunettes noires, les festivaliers reprennent en cœur des messages fraternels et d’espoir qui ont valu la considération des plus grands hommes politiques. Au moment même où leur copain Manu Chao se produit sur la scène de l’Huma, Amadou & Mariam répandent leurs sourires, leur optimisme et leurs espoirs pour des moments meilleurs. Sur des rythmes enthousiastes et battus qui ne trompent pas un public les acclamant jusqu’à un ultime rappel confraternel, presque maternel. Dans la grande famille musicale, Amadou & Mariam abattent leurs cartes sans jamais nous brouiller.

Amadou et Mariam

Retenue à notre grand désespoir par d’autres activités, l’Anglaise Tirzah est remplacée au pied levé, ou plutôt à la main levée, par le Parisien Holy Strays, dont l’inspiration musicale a largement trempé dans les racines musicales africaines et caribéennes pour l’emmener sur des territoires de percus plus percutantes ou jazzesques. Avec une volonté carabinée de produire et de remixer, Sebastien Forrester – de son vrai nom – aura bouclé la boucle de cette première journée avec ce qui pourrait être considéré comme un mash-up intelligent de toutes les couleurs de la programmation de la soirée. On le laisse tranquillement mixer et se mixer avec les derniers festivaliers présents pour se préparer à une journée 2 qui démarrera en trombe sous un ciel qui nous en promet depuis le petit matin.
Mais il en faut plus aux premiers festivaliers arrivés pour découvrir sous la grisaille une musique qui leur aille. Avec un nom qui sonne comme des caresses onctueuses sous une pluie tropicale tiède, Tahiti Boy et ses Palmtree envahissent la scène principale, accompagnés d’un sextet de cordes surprise (mais qui n’en n’est pas une pour l’avoir vu répéter avec la veille). David Sztanke est l’homme à tout plaire et à tout faire de la situation et, sur un ton jovial et empathique, rejoint son clavier pour diriger de deux mains de maître cette formation d’un jour qui vaut vraiment le détour. Alternant morceaux récents et plus anciens, l’homme qui écrit et produit plus vite que bon nombre nous transit d’émotion, sa voix posée et presque mélancolique soutenant des titres vindicatifs et revendiqués d’autres stars que sont Wayne Coyne, Jeff Lyne ou encore John Lennon.
Derrière, tremblante de bonheur et de délectation, la jeune formation féminine de violons et violoncelles emporte les mélodies de David. Les Girls and Boy caressent les âmes des festivaliers jusqu’à ce medley du milieu de set honorant les tubes du groupe, qui a certainement peiné à écrire la tracklist idéale. Puis un gentil Zombie surgit du backstage pour souffler le vent de son saxophone, le temps de retenir les secondes l’espace d’un instant. Étienne Jaumet vient épauler son ami de son cuivre rutilant, et on lui en sait gré. Un peu plus tard, c’est au tour et autour d’une cithare de partir encore un peu plus loin dans le labyrinthe onirique de Sztanke. Qui salue le public une dernière fois au rythme d’un « choubidou bidou wa » vocodé qu’aurait sûrement applaudit un autre Tahiti, orienté 80.

Tahiti Boy and the Palmtree Family

Un vocoder pouvant en cacher un autre, le groupe Waldo & Marsha, six jeunes dans le vent venus de Suède, déroule un de ses tout premiers concerts en France, gonflé à bloc après avoir eu l’insigne honneur de jouer la veille dans le prestigieux Silencio à Paris, détenu par David Lynch. Une entrée en matière et en manières qui séduit de prime abord ; mais, comme dirait l’autre : point trop n’en faut ! Les circuits imprimés de leur transformateur vocal chauffent presque jusqu’à l’outrance et, malgré des compos fraîches et enlevées qui sentent bon le surf et le sable chaud, la lassitude gagne peu à peu une assemblée qui a l’impression d’entendre un « Around the World » en boucle.

Waldo & Marsha

Mais heureusement, comme de bon ton, Cristobal est de retour. Sur la grande scène et avec les Sea, qui se sentent visiblement capables de mettre Paris en bouteille. De tendance psyché hippie façon Woodstock, la flûte omniprésente, voire au premier plan, de la talentueuse Leila n’y est pas étrangère. Avec des intonations latino et sud-américaines emmenées par le chanteur portugais Joao, la couleur musicale tropicale du quartet est peut-être ce qui se rapproche le plus de l’esprit et du nom du festival. Emmenés par la basse et la batterie de Joshua et Ale, une sorte de Bahia sous amphét’ emplit l’amphi de l’Abbaye aux Dames, qui craint pour la tranquillité de ses âmes. Les chants à deux voix sont souvent incompréhensibles, empruntant un dialecte et des onomatopées qui ne sont pas sans rappeler certaines incantations d’Indiens d’Amérique. Leurs borborygmes n’en sont pas pour autant des atrophismes musicaux qui laissent les festivaliers, conquis, en proie à des danses, voire des transes, qui les laisseront HS au pied d’un cocotier.

Cristobal and the Sea

Mais leur repos sera de très courte durée, car, jeux de scènes musicales obligent, le duo Bajram Bili, sous la gouverne du Français Adrien Gachet, essuie les dernières gouttes de crachin venues narguer leurs claviers, synthés et drumkit pour un fight sans concession n’en finissant pas d’électriser l’air ambiant. Face à face, dos à dos, fesses à fesses ou face à dos, les ados et autres geeks musicaux s’amassent devant un inextricable amas de câbles reliant les machines aux humains et inversement, assénant une electronica aux spirales sans fin, mais ayant beaucoup de finesse.
À la croisée de l’expérimental, du trivial et de l’improvisation, Bajram Bili emporte tout sur son passage, dans des chemins pas sages et souvent aventureux. Mais sans rien gâcher, car c’est souvent en se perdant que l’on se trouve. Ce que semble appliquer BB à la lettre.

Bajram Bili

De la Charente au Rone, il n’y a qu’un pas. En se tournant vers la scène principale, le public ne peut qu’admirer le décor monté en un temps record, leitmotiv de l’inspiration et du monde dans lequel on imagine évoluer Erwan Castex. Dans une intrigante et exigeante mise en lumière bichromatique, le Français se régale derrière ses machines, calées au millième de seconde près aux jeux des leds et des projos. Musique puissante et actuelle, comme d’autres peuvent sans doute en faire : Rone a bien compris que son univers musical devait être le reflet d’un monde imaginaire, dichotomique, binaire et duquel on ne peut se débiner indemne. Avec une profondeur des sons et une grande largesse picturale, il envoie presque sadiquement ses titres, le visage baigné d’un rictus nerveux. Car l’homme sait y faire et maîtrise aussi bien les esprits que les prises électriques qui alimentent notes vocales et visuelles. Et sait créer la surprise et le contrepied en invitant François Marry, le temps d’une chanson bleutée du plus bel effet. La classe pour l’Atlas Mountain qui, dans son fief, vient affirmer qui est le chef à côté de celui qu’on ne pourra jamais plus regarder de la même façon. L’habit ne faisant pas le MAOine.

Rone

Et c’est à ce moment-là que le ciel nous fait involontairement un cadeau. Se décidant à lâcher prise et à arroser le festival comme pour couvrir son feu musical, Étienne Jaumet bat en retraite sous la grande bâche temporaire installée à l’entrée du Coconut, ayant accueilli quelques heures plus tôt les Cocokids qui ont eu droit, eux aussi, à leur dose de décibels. Relevant plus de la private party que d’un concert à proprement parler, Jaumet ne nous laisse pas sur le carreau pour clôturer ce festival en adaptant son set à un lieu improvisé qui lui donne un air de fête. Encerclé par le public qui fait tout simplement corps avec lui, L’Étienne le tient bien et emporte les rescapés de ces deux journées dans une électro saxophonique irréelle, arrachant leurs dernières forces aux festivaliers. Ceux-ci rendant grâces sans crier grâce à cette programmation hors pair arrangée par Amaury Ranger, et dont on attend maintenant avec impatience la 4e édition en 2016.

Étienne Jaumet


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Nicolas Nithart

grand voyageur au cœur de la musique depuis plus de 20 ans