[Flash #53] Coco Bans, Hannah Featherstone, Scout Gillett, Structures et Oslo Tropique

Ne vous fiez surtout pas aux apparences des deux premières sélections de ce nouveau Flash. En effet, les cinq chapitres de ce nouvel épisode s’apprêtent à vous révéler que la colère se dissimule souvent sous la douceur et que ce que l’on voit ne dévoile pas constamment ce que nous sommes. Les portraits ciselés de nos artistes s’attachent aussi bien à la prise de conscience qu’au trauma mental, à l’absence et à la perte de repères, chaque performance visuelle apportant une pierre essentielle à l’édifice de l’Art pur. Savourez, pleurez, hurlez ; et bienvenue dans les univers parallèles d’une musique actuelle décidément toujours aussi excitante et inattendue.

[Clip] Coco Bans – Blame (Live Session)

Inutile d’y aller par quatre chemins : « Chronicles of an Altered Life », sorti le 23 septembre dernier, et sans conteste l’une des merveilles musicales les plus indispensables de cette fin 2022. Ayant développé son écriture au fil des années et des épreuves, Coco Bans nous a fait don d’un opus dont les émotions et sensations qu’il injecte sous nos épidermes ne cessent de provoquer tant et plus d’effets secondaires, du rire aux larmes, de la volonté à la contemplation. Parmi ses douze pépites, « Blame » est, sur disque, une aventure dont le mouvement de bascule inattendu nous avait pris par surprise et rapidement fascinés, tant celui-ci paraissait risqué et, au final, essentiel à la renaissance magnifiquement exposée de ses paroles à la fois interrogatrices et sincères, tandis qu’elle ne cherche à ne condamner personne tout en contemplant, sans fard, ses vérités et ses fautes. À travers la live session acoustique qu’elle nous offre, Coco Bans réécrit ce qui paraissait gravé dans la pierre, déracinant les arrangements électroniques et folk de son tronc originel pour les laisser grandir encore plus immédiatement dans l’âme du spectateur. Dès lors, tout se joue dans la performance elle-même : les mouvements du corps et des mains, les traits du visage appuyant les mots et les ressentis, le dialogue entre la guitare acoustique et le chant. Et ce que l’on voit se mue en un spectacle effervescent de ce que l’art signifie en premier lieu : il est ce qu’on incarne, viscéralement, totalement. Coco Bans embrasse les déséquilibres ténus de « Blame » par le biais d’un remarquable impact scénique. Une intimité qu’elle ne dissimule à aucun moment. Elle, femme acquise à ses peines et à ses expériences existentielles, irradie. Et renforce toujours plus les définitions sensorielles de son inégalable opus.


[Clip] Hannah Featherstone – Wandering scars

Sur les deux premiers clips illustrant les extraits introductifs de son nouvel opus « Ode to the Unseen », Hannah Featherstone passait lentement de l’ombre à la lumière, à travers des plans-séquences dont la douce lenteur nous entraînait au plus près de son imaginaire et de sa créativité. Pour « Wandering scars », le climat visuel se modifie dès les premières secondes, que ce soit grâce à l’apport de la couleur ou lorsque nous voyons la compositrice face à une lumière éblouissante et céleste. Une issue souvent espérée et qui, enfin, devient visible et palpable. Toute la profondeur du titre originel trouvera ses dessins les plus purs dans l’alternance, sur les mêmes photogrammes, de teintes évanescentes et d’un flou calculé à la perfection, car permettant de distinguer la chorégraphie à la fois ambitieuse et respectueuse de la créature qui évolue au sein du décor. « Wandering scars » convie les sensations d’une apesanteur aquatique et les brises réconfortantes d’un vol par-delà les nuages, marquant les hésitations et les convictions vers une forme de liberté acquise au terme des épreuves de l’existence. La réalisation d’Estienne Rylle se risque à un montage d’une extrême précision, amplifiant davantage les effets de la musique si troublante de sa muse cinématographique. Grâce à cette œuvre commune sensible et caressante, « Ode to the Unseen » continue à s’élever, découvrant et nous incitant à toujours plus reconnaître ses détails et mystères.


[Clip] Scout Gillett – Slow dancin’

Dans cette danse langoureuse où Scout Gillett nous invite à la rejoindre, tout devient rapidement permis. Mieux vaut ne pas se fier aux apparences de ses secondes introductives : « Slow dancin' » compte bien évoquer, au fil de sa mise en scène, une liberté et un esprit de rébellion qui, tandis qu’on les imagine inoffensifs, vont rapidement nous faire changer d’avis. Le clip de la musicienne américaine s’enracine dans les sonorités pop rock anglaises et s’amuse à les déformer, les capturer et les caresser pour mieux les inciter à amplifier les effets des images que nous explorons à ses côtés. Rompant avec les interdictions et lois en tous genres, sans pour autant se lancer dans une révolte sociale qui ne conviendrait absolument pas à son propos, elle préfère se perdre dans des lieux abandonnés, dans les reliques d’époques révolues où elle trouve alors la scène idéale pour accomplir ses acrobaties et chorégraphies. Les teintes nostalgiques de l’image renforcent d’autant plus le bouillonnant torrent d’impertinence et d’indépendance qu’est « Slow dancin' ». Devenant impossible à positionner dans l’espace et le temps, il regroupe toutes les générations autour de l’artiste, celles qui ont un jour cédé à l’appel de l’illicite et de l’inaccessible. Entêtant et sincère, cet extrait magique du tout aussi excellent album « no roof no floor » risque fort de vous poursuivre sans que vous vous y attendiez. Et, pourquoi pas, d’aller explorer, au dehors, les friches industrielles dans lesquelles vous n’aviez jamais été tentés de fureter, histoire de voir ce qui peut bien s’y dissimuler et faire éclore en vous une sensation de plaisir dans la prohibition ambiante.


[Clip] Structures – Nothing Ever Lasts

Dès les premiers instants de « Nothing Ever Lasts », tout transpire le pétage de câble en bonne et due forme. Les plans réalistes du court-métrage de Théo Gosselin, illustré de main de maître par la musique fulgurante de Structures, se parent d’éclairages naturels et d’une vérité saisissante, accablante. Frémissements d’un road movie au bord de l’éclatement, ces secondes précieuses et originelles vont rapidement tourner court et nous immerger dans une folie rare qui, en imprégnant nos corps et en suant sur nos épidermes, nous tétanise autant qu’elle nous fascine. « Nothing Ever Lasts » est un cauchemar du quotidien que rien ni personne ne peut anticiper. Juste subir, sans dire un mot. On devine quelques indices, amplifiés par les regards réguliers d’Agathe Rousselle (dont le jeu est toujours aussi bouleversant et juste, et fait d’elle l’une des icônes incontestables du cinéma hexagonal actuel) dans le rétroviseur. Une pause, quelques larmes, puis à nouveau le bitume. Pourtant, quelque chose a changé, et transparaît dans les quelques phrases que l’héroïne chantera en parallèle de la bande son. Dès lors, tout fait sens. Chaque interprétation que les spectateurs voudront offrir à ce tétanisant « Nothing Ever Lasts » aura sa place, son sens. L’histoire se prolonge au-delà de l’action, autour, en nous comme à l’extérieur du cadre. Le temps perdu, gâché, gaspillé, déploie ses ailes noires sur nos consciences. Le traumatisme, quel qu’il soit, demeure intact dans l’écrin de son secret si bien gardé. Il y aura un avant et un après « Nothing Ever Lasts ». Pour sa figure principale et son état physique et mental. Et pour nous, par un foudroyant effet de ricochet.


[Clip] Oslo Tropique – Nuits verticales

Les aspérités d’un mur nu, dont les briques viennent quasiment nous râper la peau. La ligne géométrique d’un cadre bien défini, trop bien même. L’insomnie guette, elle attend son heure. Puis pulse dans nos tempes, nous transperce. « Nuits verticales » d’Oslo Tropique dessine ses héros de l’ordinaire et leurs troubles nocturnes avec une radicalité qui fait autant plaisir que peur, reflets de ce que nous sommes quand la dépression s’invite à la fête. Les paroles, cinglantes et brutales, se frottent à une instrumentation sur le fil du rasoir, nous saignant aux quatre veines. Du trader flippé au gamer camé aux pixels, du rocker anonyme à la femme-enfant rapidement métamorphosée en TV addict, les portraits se succèdent et se ressemblent tous dans leur effroyable solitude. Définition contemporaine d’un no future punk qu’on avait trop rapidement oublié, « Nuits verticales » hérisse le poil et nous dope aux amphétamines autant qu’aux anxiolytiques, terrasse nos ultimes barrières psychiques et nous plonge de l’autre côté du miroir, là où nous sommes vraiment. Chaque source de dépendance à la nuit et à ses fantômes est une décharge électrique traversant nos muscles et nos veines. Un électrochoc radical certes, mais ne nous demandant pas cependant de prise de conscience par une exagération des clichés et des abus. C’est là toute la subtilité de ce clip diabolique : l’étouffement est volontaire, quelles que soient les excuses que nous pourrions chercher après coup. La réalisation brute de décoffrage d’Arnaud Touyarou achève de transformer une performance déjà exceptionnelle en une version moderne et énergique du Dogme95 cher à Lars von Trier et Thomas Vinterberg : peu d’artifices, une unité spatiale et temporelle unique, et n’importe quoi peut nous jaillir en pleine figure, dans une charge visuelle et mentale accrocheuse et viscérale.

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Raphaël Duprez

En quête constante de découvertes, de surprises et d'artistes passionnés et passionnants.