[Interview] Cascadeur

Rencontre avec Alexandre Longo, l’homme derrière le(s) masque(s) de Cascadeur, avant son concert à la Cigale pour la Nuit du FAIR dans le cadre du MaMA. Il nous raconte, à travers l’histoire de son deuxième album « Ghost Surfer » et ses multiples collaborations, son évolution musicale et nous dévoile quelques unes de ses prochaines aventures.

Cascadeur

  • Ton 1er album, « The Human Octopus », sorti en 2011, était très mélancolique et intimiste alors que le second, « Ghost Surfer », est plus solaire. Tu t’es également entouré d’artistes d’horizons très différents. Est-ce que Cascadeur a changé ?

Avec cet album, j’avais le désir de sortir de ce que j’avais pu côtoyer et faire sur le premier album, qui était la résultante de mes trois premiers albums autoproduits. C’est vrai qu’il y avait sur le premier une ambiance un peu chargée, mais je crois qu’elle est toujours un peu là, car c’est inhérent à ce que je fais. Je voulais sortir un peu de ce cadre-là. Sur le premier album, j’avais déjà des invités, mais ils étaient un peu moins cités. Je travaille toujours avec les mêmes amis, j’ai besoin de ça, c’est important. Pour ce deuxième album, il y a eu de nouvelles rencontres et aussi une envie de rejoindre des musiques qui étaient présentes dans mon parcours musical. Elles étaient peut-être moins visibles avec le premier. On ne se doute pas que j’ai pu écouter certaines musiques comme le jazz. J’ai voulu effectivement repasser par ces différents points, comme des relais étapes, des camps de base. Il y a la musique lyrique, la musique classique, le jazz, la pop, la musique électronique, la musique un peu plus expérimentale, voire contemporaine. Je voulais avec ce projet synthétiser toutes ces musiques, ne pas m’enfermer dans un style. Cascadeur, c’est un peu leur lieu de rencontres. À l’avenir, j’aimerais l’ouvrir à d’autres musiques que je n’ai jamais jouées. Je pense que c’est important.

  • Est-ce qu’on peut décrire cet album comme une invitation au voyage à travers des paysages musicaux différents ? Comme tu le disais, on y trouve des influences jazz, lyrique, de la pop, du trip-hop.

Il y a effectivement cette idée de pérégrination, de déambulation dans ce que je fais. « Walker » a été le premier morceau un peu emblématique. C’est un thème qui génère beaucoup de choses, il y avait l’idée du marcheur notamment et aussi l’idée du mouvement, de l’errance, de la perte de repères. C’est ce qui me plaisait.

Dans le deuxième album, je me suis efforcé à perdre mes repères, j’ai donc changé d’instrument. J’avais envie de me perdre un peu pour peut-être mieux me retrouver. La suite, je crois que ce sera également ça.

  • Tu es pianiste de formation. Est-ce que tu composes toutes tes chansons au piano ?

En général oui, sauf pour cet album où j’ai composé la moitié à la guitare. C’était, je pense, une catastrophe pour les oreilles de mon entourage, car à la guitare, j’ai un son digne des plus mauvais guitaristes du monde. Mais cela m’a fait du bien de sortir de territoires que je visite depuis que je suis enfant. Cela ne veut pas dire que je maitrise parfaitement le piano et que je sais tout faire. C’était une façon pour moi de dévier de mon apprentissage, de mon histoire et d’aller ailleurs. Et avec la guitare, je suis allé ailleurs ! (rire). Avec la guitare, j’ai dû redécouvrir la musique. C’était plus rythmique, je travaillais plus à l’oreille. Avec le piano, c’est différent, j’ai mes positions, mes renversements. Et c’est difficile de se renouveler, de ne pas retomber sur ses pieds, même pour un cascadeur !

  • À propos de collaborations, et il y en a beaucoup, il y a celle d’Eric Pulido et Tim Smith de Midlake.

Oui, et qui étaient présents sur le premier album et que je retrouve en fait.

  • Ils participent à quatre titres de l’album. Peux-tu nous parler de cette rencontre et comment vous avez travaillé ensemble ?

On s’est connus en 2010. À l’époque, nous avions le même tourneur. Quand j’ai commencé, c’était la première fois que je travaillais avec un tourneur, j’avais toujours trouvé mes concerts tout seul et Dieu sait que c’était difficile ! Je savais qu’on me proposerait des premières parties. Quand on m’a demandé avec quels artistes j’aimerais tourner, j’ai regardé le catalogue et j’ai de suite cité Midlake. À l’époque, j’écoutais leur album qui venait de sortir en France. Je me rappelle très précisément de ce moment. J’étais dans un ascenseur quand j’ai reçu cet appel téléphonique qui m’annonçait que j’allais faire la première partie de la tournée française de Midlake. D’un coup, l’ascenseur m’a paru aller beaucoup plus vite ! C’était incroyable et aussi un peu bizarre de savoir que, voilà, on va rencontrer des gens qu’on écoute. J’ai trouvé cela très chouette et en même temps j’ai commencé à baliser un peu. On s’est rencontrés à Rennes. Je me rappellerais toute ma vie de ce premier soir. On commence l’installation. J’étais seul sur scène avec Yann qui s’occupait du son. Je commence les balances et du coin de l’œil, je vois un Midlake puis un deuxième. Ils étaient côte à côte à m’écouter. Quand j’ai fini mes balances, on a discuté. Je les ai trouvés très humains, très simples. On s’est vite bien entendus. On a partagé six dates en France. C’était la naissance d’une amitié, certes un peu distendue parce qu’on se voit assez rarement. Mais on est toujours restés en contact. Mes deux interlocuteurs sont Eric Pulido qui est devenu le chanteur principal de Midlake, – avant il était le deuxième chanteur, il faisait toutes les harmonies vocales en voix haute -, et Tim Smith est le fondateur de Midlake, mais il a quitté le groupe. Quand on a enregistré ensemble sur le deuxième album, ils étaient déjà séparés, mais je ne le savais pas encore. Ils m’ont fait l’amitié de chanter ensemble alors qu’ils ne travaillaient plus ensemble. Je l’ai su bien après, quand j’ai revu Eric à Paris. Pour moi, c’est une sorte de fantasme réalisé de travailler avec des Anglo-saxons, de savoir qu’ils apprécient mes morceaux. On garde cette relation, on s’écrit, et quand je peux, je vais les voir. Cette collaboration s’est faite à distance. Je leur ai envoyé les maquettes avec les textes, mes voix, mes modèles. J’ai deux façons de travailler : soit je les laisse très libres sur les harmonisations des voix, soit je leur soumets des idées. Mais connaissant leurs possibilités, je les ai laissés libres. J’étais en attente de choses sans les formuler et ils y ont répondu. Ils ont enregistré en studio au Texas et ils m’ont envoyé les voix.

  • Quand tu as composé les chansons, tu as de suite pensé à eux ?

Non, mais j’aime bien la fidélité. J’aime beaucoup travailler dans le temps avec mes amis. Je le fais avec des amis bien plus anciens. Là, ce sont de nouvelles amitiés. À l’époque, pour me taquiner, ils chantaient « Into the wild » avant de monter sur scène. Je ne sais pas s’ils seront sur le troisième. Je veux éviter la redite, je n’ai pas envie que cela devienne une formule. Mais en tout cas, ils sont là, j’y pense.

  • Pour continuer dans les collaborations, il y a « Collector », chanté par Christophe. C’est une chanson écrite à tes débuts.

Oui, parce qu’avant Cascadeur, j’écrivais des chansons en français.

  • Elle est en français justement. Cela veut dire que tu as commencé par écrire en français puis tu as préféré l’anglais.

J’ai toujours mêlé les deux. C’est vrai qu’au début, dans l’anonymat le plus complet, je faisais des morceaux comme « Collector » qui ont été écrits il y a plus de 10 ans.

  • Est-ce que tu envisages d’écrire d’autres chansons en français ?

Oui, j’en ai déjà dans mon petit stock. En ce moment, je travaille sur le troisième album. À mes débuts, je ne voulais pas chanter en français pour ne pas révéler trop de choses. Sur le deuxième album, je voulais du français, mais je ne voulais pas le chanter, donc j’ai voulu être « doublé ». Avec Cascadeur, il y a aussi cette réflexion autour de la doublure. J’ai proposé Christophe parce qu’autour de moi, on me parlait souvent de Christophe. Dans sa façon de chanter, je ne sais pas. Avec Christophe, j’ai rejoint une figure, moi qui suis sans visage…

  • Tu identifies la voix de Christophe à la tienne ? Parce que vous ne chantez pas vraiment de la même manière…

C’est vrai, mais je comprends les filiations, peut-être dans la vibration, le tremblement. Ce qui me plait aussi chez lui, c’est sa façon d’appréhender la musique et le texte. C’est une personne qui n’a pas peur d’expérimenter, de tenter des choses. Il est aventureux. Et pour moi, Cascadeur porte aussi cette idée d’expérimentation même si ça ne se voit pas forcément. J’aime tenter avec le risque de me planter, de tomber. Je suis très heureux que mon premier morceau officiel en français soit chanté par Christophe.

  • Il te connaissait avant ?

Oui, il connaissait Cascadeur. On s’est rencontrés sur un festival, on a gardé contact et je lui ai parlé de cette idée de chanson. Je lui ai envoyé la maquette. Il a été hyper réactif. On a beaucoup échangé par SMS. Il m’a envoyé pas mal de trucs. Moi, ça m’allait. Mais comme il est perfectionniste, il a voulu refaire certaines choses. Donc on a fait une séance studio qui n’était pas prévue au départ. Il a refait une partie de la chanson. C’est aussi une façon de montrer son engagement dans le projet.

  • Parmi tes choix d’artistes, certains viennent du jazz, comme Médéric Collignon et Tigran Hamasyan, et d’autres du classique, comme la soprano Anne-Catherine Gillet. Tu as fait un concert jazz à la Cité de la Musique en septembre dernier. Est-ce qu’on peut s’attendre un jour à un set symphonique-opéra de Cascadeur ?

Je pense que ce disque a un souffle orchestral. Avec ce genre, il faut faire attention et faire en sorte que ça ne devienne pas indigeste. J’ai essayé de ne pas tomber dans ce panneau même si j’aime beaucoup ce qui est arrangé, orchestré. Je ne devais pas oublier l’importance du silence, des zones très minimales. Mon travail, et c’est aussi le rôle du cascadeur, c’est de jauger l’espace, la place qu’il peut y avoir lors du saut, de ne pas présumer de ses forces. C’est aussi avoir une certaine forme de lucidité par rapport au temps du saut. Un disque, c’est comme une multiplication de sauts. Il fallait que je sois vigilant à ça parce que ça devient vite très grisant. Je suis allé loin, j’avais beaucoup de pistes à la fin. Alors, quelque part, cet album est un opéra, un opéra en creux.

  • Et un set live ?

Pourquoi pas, ça me plairait beaucoup, mais c’est un assez truc ! Il ne faut pas devenir mégalomane non plus, du style je ne veux que 120 musiciens ! (rire)

  • Beaucoup de tes titres font référence au cinéma. Il semblerait que le cinéma ait une place importante dans ton travail d’écriture et de composition. As-tu envisagé de te lancer dans la composition d’une BO de film ?

C’est en train de se réaliser. C’est vrai que ma musique est assez cinématographique et le cinéma a une place importante dans mon existence. Quand on a fait appel à mes services, j’étais très heureux. Cela me permet de sortir d’une sorte de routine : tu composes, enregistres, mixes, puis tu parles de ton album, tu fais des tournées. C’est super ! Je n’en suis qu’au début. Mais c’est intéressant de rompre avec ça. Depuis quelques semaines, je travaille de manière intense sur ce nouveau projet. En parallèle, il y a la tournée, le nouvel album. Mes journées sont plutôt bien remplies !

  • En dehors de la musique, tu t’intéresses à tout ce qui a trait aux arts plastiques. Tu peins. Pourquoi ne pas avoir créé tes pochettes d’album ?

Sur le premier album, j’avais fait une grande partie du livret. J’avais peint un petit tableau pour chacune de mes chansons. Mais même si je délègue, je reste proche de l’aspect visuel de mes albums. Réaliser une pochette de disque, c’est un métier. Mais j’y réfléchis aussi, je me dis qu’il serait peut-être temps que mes peintures réapparaissent, car physiquement elles ont disparu, elles sont dans ma cave.

  • Donc là, tu prépares un troisième album…

Oui. On tourne jusqu’à fin novembre. Après, j’aimerais bien faire une pause pour travailler sur la BO du film. Je pense enregistrer mon prochain album à la fin de l’année.

  • Peux-tu nous nous parler de ton rapport à la scène, toi qui es maintenant entouré de musiciens.

C’est une volonté que j’ai eue à mi-parcours de ma première tournée. J’avais beaucoup joué seul. C’était intéressant aussi, car cela servait le propos que j’avais sur le premier album, celui d’une créature solitaire qui s’exprimait. Mais ce travail de groupe me manquait. J’ai construit, je pense, le deuxième album en fonction. Je savais qu’il fallait changer de formule, d’échelle. Quant à la scène, c’est compliqué physiquement. J’imagine qu’on ne se rend pas bien compte, mais c’est éprouvant. Il faut être affuté physiquement. C’est presque un sport de porter le casque. Mais ça fait partie du projet. Je me considère presque comme un pilote d’avion de chasse qui encaisse les accélérations. D’ailleurs, les réglages avant spectacle sont comme les réglages dans un cockpit avant le décollage. Tout est travaillé avec précision.

  • Du coup, ça ne laisse pas beaucoup de place à l’improvisation ?

Si, il y a toujours des improvisations. Certes, il y a le cadre, mais après chacun est libre. C’est une approche presque de jazz. Il y a beaucoup de choses écrites, mais il y a aussi une part d’invention.

  • Du coup, les chansons live sont un peu différentes des versions disques ?

Oui, je pense. Notamment, il y en a une qui est très différente, c’est « Scarface ». Les autres sont plus ou moins fidèles. D’un soir sur l’autre, même si les bases sont là, on ne joue jamais de la même façon.

  • Un mot sur le MAMA ?

L’atmosphère au MaMA est particulière, car il y a beaucoup de professionnels. Ce soir, je joue à la soirée du FAIR, qui m’a aidé en 2011 et qui me suit depuis. Il y a un devoir de mémoire, on est tributaire et redevable à la fois. Je n’ai jamais été seul finalement. Je l’ai été à un moment de ma vie, mais après j’ai eu plein de partenaires. Et je ne l’oublie pas. J’ai eu cette chance de trouver des personnes qui avaient envie que Cascadeur sorte de la pénombre. Pour moi, c’est important de se souvenir d’où l’on vient.


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Sylvie Durand

Curieuse, passionnée par les voyages, la musique, la danse. Par tout ce qui aiguise les sens.