Énigmatique, si ce n’est mythique, l’adolescence est le bruit et le silence à la fois. Elle est la vitesse et la pétrification. L’explosion et la frustration. Elle hante les contes contemporains, aux détours des images d’un Larry Clark ou d’un Gus Van Sant. Hypnose et névrose de nos sociétés et de nos pertes. Car Seat Headrest en a fait un des fantômes de sa musique : « Teens Of Denial ».
Car Seat Headrest a vu le jour dans une Amérique rêvée, puis gagnée par les cauchemars et les fracas du XXIe siècle. Berceau d’une musique grunge amoureusement jeune, l’insoumise Seattle a accueilli ce qui pourrait ressembler à des oiseaux tombés du nid. Car Seat Headrest est cette ambivalence : le torse imberbe et la fureur fiévreuse. L’incandescence et le Do It Yourself. Sur Bandcamp, leur talent foisonne à travers près de douze projets produits en à peine 5 ans. En 2015, Matador Records venait en quelque sorte sacraliser son incendie rock déjà bien mûrie. « Teens Of Denial », sorti au printemps 2016, apparaît comme son premier album bonifié dans des studios traditionnels.
Car Seat Headrest est quatre. Car Seat Headrest est jeune. Car Seat Headrest a l’odeur des couloirs de lycée, des baskets usées et des outsiders. Il y a chez ce groupe ce quelque chose de la douce insolence et de la fierté gauche. Du « je-m’en-foutisme » et des élèves modèles. « Teens Of Denial » offre alors douze titres où se conjuguent l’intuition créative et le travail acharné. Son rock est subtil dans le fait qu’il regorge de nuances et d’essais. Sa grandeur est sûrement celle-ci : Car Seat Headrest, aux détours de ces morceaux, semble profondément prendre le temps de créer quelque chose de nouveau, de piquant ou d’écorché. Surprenant d’une audacieuse simplicité. Quitte à se rater. Quitte à donner voir la faille. Car Seat Headrest joue avec les dangers, avec les convictions et révèle nos plus banales craintes, nos plus étranges pas de cotés. Terrifiant et naturel.
Le chant est celui de l’insolence, de l’écorchure, de la voix enfantine qui a un jour foutu le camp. Il navigue, sombre sous une vague trop grande et puis resurgit ébouriffé, éraillé et à contre-courant. Témoin des douches froides et des genoux abîmés. La musique a la même saveur : elle s’énerve, s’entremêle et parfois s’apaise. Faussement. Les guitares se jouent impétueuses. La batterie est conquérante. La basse est nerveuse. Le tout est électrisant. Entêtant. « Teens Of Denial », ou quand un bande fougueuse et adepte du DIY rencontre Steve Fisk, producteur notamment de Nirvana et Soundgarden. Sa musique a la couleur du cinéma américain, de celui qu’on pourrait voir à Sundance, de celui dont les personnages sont boiteux, mais qui regorgent d’un vif, si ce n’est tendre regard sur la vie et ses coups bas.
Will Toledo, tête de proue du navire défiant les eaux sous les augures d’un pavillon éclairé, a les mots pour parler des choses, magnifier de légèreté la réalité cruelle. Les détails deviennent alors des situations qui méritent réflexions ou du moins arrêt sur image. Radiographie d’une génération perdue, mais défiante. D’une génération flottant entre l’audace et la loose. Will Toledo chante l’absurdité incongrue de notre époque tel ce portrait de Van Gogh à la page Wikipédia de la Dépression psychiatrique. Révélateur de toute la saveur moite de nos environnements, Car Seat Headrest est un doigt en l’air provoquant la chute dans une course de vélo. « The Ballad of the Costa Concordia » peut alors être l’hymne d’une jeunesse qui tend les bras à l’abandon et ne peut que se demander : « Comment étais-je supposé savoir ? ». « How was I supposed to know how to hold a job ? How was I supposed to remember to grab my backpack after I set it down to play basketball ? How was I supposed to know how steer this ship ? ». Pourtant, quelquefois, le verbe rappelle celle des premiers morceaux de Soko. Celle d’une jeunesse ayant perdu son innocence, mais qui brille car plus rien d’autre ne peut lui échapper. Alors tout le génie de « Teens Of Denial » est de briller par sa tendre et maladroite irrévérence. De briller même si certains jours sentiront le souffre.
« Teens Of Denial » de Car Seat Headrest est disponible depuis le 20 mai 2016 chez Matador Records.
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