[Interview] Blutch

À l’affiche de la 7e édition du Crossroads Festival, le producteur electronica morlaisien Blutch, soutenu depuis ses débuts par Astropolis et les Trans Musicales, se produit mardi soir à la Condition Publique de Roubaix dans le cadre du festival. L’occasion de revenir en sa compagnie sur l’évolution de ses compositions et arrangements, mais également de décortiquer le processus intimiste et créatif de son premier album « Terre promise », grandement inspiré par les paysages et les villes bretonnes qu’il a sillonnés ces dernières années.

crédit : Evan Lunven
  • Avant d’aborder plus en détail ta foisonnante production musicale, peux-tu nous parler de ton parcours artistique et de ce qui, dans ta vie, t’a amené à expérimenter ton processus créatif et à prendre la décision de te lancer dans la musique ?

J’ai commencé modestement en regardant des vidéos de beatmaking, et je me suis que ce n’était peut-être pas si impossible que je puisse faire de la musique. C’était déjà une grande passion à ce moment-là, vers les années 2010. Après des débuts laborieux, j’ai fini par faire des morceaux écoutables. En parallèle, je poursuivais des études en graphisme, où j’ai appris à développer le processus créatif et l’expérimentation.  Techniques qui sont tout à fait applicables au son. Jusqu’au jour où j’ai été sélectionné au festival Astropolis à Brest, via le tremplin qu’ils organisent. Je finissais mes études, ça a agi comme un déclic, c’était le moment d’essayer de s’y lancer à fond ou jamais.

  • Ta carrière commence de manière fulgurante en 2014, avec l’aide d’Astropolis Records et des Trans Musicales de Rennes. Comment as-tu vécu ces débuts, et y avait-il chez toi une appréhension face à un tel défi ?

C’est arrivé très vite ! C’était mes premières grandes scènes. J’étais alors livreur de Pizza à Morlaix à l’époque. Alors de passer de compositeur de chambre à jouer ma musique pour des festivals qui représentaient tant pour moi, ça m’a beaucoup marqué. Et oui forcément une grosse appréhension, ces deux festivals étaient de lointains rêves quelques semaines avant d’y jouer.

  • Tu évolues dans une multitude de genres différents ; pourtant, à chaque fois, tu parviens à inoculer ta propre marque, ta vision de ce que les styles représentent et de la façon dont tu peux les faire évoluer. Comment pourrais-tu nous expliquer ce besoin constant d’expérimentations et de découvertes ?

Je n’y avais pas tant réfléchi jusqu’ici. Tout part sûrement de ma grande curiosité. Je présume aussi que, de base, je n’ai pas de formation, donc tout s’est fait dans la débrouille. Analyser les sons, essayer de refaire des sonorités, apprendre des autres. Élargir sa boîte à outils à chaque fois en quelque sorte.  La musique électronique est un milieu infini et si riche, avec tant de possibilités, d’esthétique, qu’il y a toujours des exemples pour nous pousser à aller plus loin.

  • « La Cité des Étoiles » est un disque incroyablement lumineux, sur lequel les beats se conjuguent à des mélodies douces et fusionnelles. Quel a été ton processus créatif lorsque tu t’es lancé dans sa composition, et que souhaitais-tu réaliser et faire vivre grâce à lui ?

Tout d’abord, c’est un hommage au festival et à l’équipe d’Astropolis. Qui m’accompagne depuis maintenant 8 ans dans ma vie musicale. C’est aussi grâce à eux que je vis de la musique. La première fois que j’ai été payé à composer, c’est la période à laquelle j’ai commencé cet EP. J’entreprenais un virage artistique, à savoir faire moins de sampling et aller vers de la composition et le travail du son de manière globale. Expérimenter plus loin, faire ça de manière plus poussée. Avec une émotion plus personnelle.

  • Sur la version Bandcamp du disque, on trouve un remix de la piste éponyme par Michael Mayer. Comment est né ce remix et peux-tu nous le définir à ta manière, par rapport à ta composition originelle ?

Kompakt, le label de Michael Mayer, était le distributeur des disques chez Astropolis. On a donc tenté la demande avec l’équipe. Par chance, il était réceptif au projet, donc il a accepté ! C’est un grand honneur déjà d’être écouté par quelqu’un d’aussi important dans le milieu, alors quand j’ai su qu’il était partant pour le remix, j’étais rempli de joie. Il a fait une version plus techno et plus hypnotique que l’originale, ça lui a rajouté du caractère.

  • D’ailleurs, les remixes de tes titres apparaissent régulièrement et permettent d’approfondir ce que tu crées. Pour toi, que représente l’art du remix, et que doit-il apporter à la source dont il se nourrit ?

Quelque chose que j’aime beaucoup. Il s’agit pour la personne qui fera le remix de s’approprier un autre univers et de le fusionner avec le sien. Ce qui peut donner lieu à de merveilleux échanges, et donc de merveilleux morceaux. Ça peut aussi amener à de belles découvertes d’artistes si on écoute l’original et le remix.

  • Début 2022, ton premier album, « Terre promise », a vu le jour. Lorsqu’on écoute cette œuvre, on y trouve une incroyable progression, tant dans l’utilisation des samples qu’à travers les mélodies et ambiances que tu crées. Comment as-tu appréhendé le passage au format long, et de quelle façon s’est déroulée sa composition ?

J’ai toujours aimé les formats longs, je crois. Depuis le début, sans trop me poser de questions j’ai fait des huit titres, sans pour autant les considérer comme des albums. Même si avec du recul ça y ressemble plutôt. Le mot album représente beaucoup pour moi, il est synonyme d’un vrai univers par-delà la musique. Je l’ai donc appréhendé comme tel. J’ai cherché quelque chose à développer sur plusieurs esthétiques, qui ressort ce que j’ai profond en moi et qui amène dans un univers particulier.
La composition s’est déroulée en parallèle du live, avec Romain Navier, qui a réalisé des vidéos en filmant dans la baie de Morlaix dont je suis originaire, et créé des images numériques.
La période de composition a duré environ quatre ans depuis le premier morceau. Il a donc été longuement façonné avec mon évolution personnelle et artistique durant ces années.

  • Ce disque est un hommage à ta Bretagne, à l’inspiration que tu y trouves et que tu projettes sur l’auditeur par le biais de ta musique. Comment ses paysages, ses habitants et ses villes t’influencent-ils lorsque tu crées ?

Ça peut paraître assez bateau, mais c’est simplement en y vivant que ça m’influence. D’une façon très inconsciente sûrement. Mais il y a tellement de caractères dans ces paysages et les gens qui la composent que ça me touche beaucoup… J’y trouve beaucoup de beauté et de magie.

  • Maxime Dangles t’a apporté son aide précieuse dans la conception du disque, et apparaît sur le titre « Remparts », qui se démarque de l’ensemble de l’œuvre par son incroyable énergie. Peux-tu nous parler de votre collaboration et de ta perception de son travail et de sa présence à tes côtés ?

Il faut d’abord savoir que Maxime est très grand artisan dans la façon de fabriquer le son. Que je respecte donc beaucoup. Dans les prémices de la composition de l’album, on a passé une semaine ensemble en studio, à La Carène, à Brest. Il y avait ramené son synthétiseur modulaire. On a donc beaucoup bossé des textures, qui sont souvent en fond sur les morceaux, mais qui en font leurs âmes. On a aussi bossé quelques morceaux ensemble, dont « Remparts », fait aux pieds des remparts Vauban qui protègent le bas de la ville.

  • Le clip qui l’accompagne est un kaléidoscope fulgurant de paysages vus du ciel et qui, grâce à la réalisation de Romain Navier, devient des peintures et des palettes de couleurs stroboscopiques accompagnant la titre à la perfection. Quel était le défi de passer de la musique au format visuel ?

Pour le coup, ça, c’est à Romain qu’il faudrait le demander ! Après sur ce clip, le projet était de mettre en image l’impact que l’homme a sur la planète. La musique est assez frénétique et forte, il fallait donc le retranscrire visuellement et Romain a très bien fait ça.

  • La complexité de tes compositions, ses arrangements multiples et foisonnants nous forcent à te poser une question évidente : comment anticipes-tu et réfléchis-tu à tes performances scéniques, et en quoi l’expérience du live est-elle, pour toi, différente du travail en studio ?

Ce live-là, on l’a commencé il y quatre ans donc les évolutions se sont grandement faites lorsqu’on se retrouvait en résidence, pour mettre en rapport ce que nous avions fait chacun de notre côté. Et on s’aidait mutuellement pour que tout soit le plus cohérent et chouette possible. Vu qu’il y a un travail sur le visuel, avec des images projetées, une scénographie immersive, ma musique passe en plusieurs dimensions, ce qui lui donne vie en quelque sorte.

  • Quels sont tes objectifs lorsque tu es face au public, et que souhaites-tu transmettre avant tout, ce qui sera d’ailleurs le cas le 8 novembre prochain à la Condition Publique, dans le cadre du Crossroads Festival ?

Je souhaite réussir à emmener les gens dans mon univers, et les faire voyager, rêver.

  • Sur quoi travailles-tu actuellement, et quels sont tes projets pour les mois à venir ?

Je sors un EP « À l’ancienne » avec de vieux sons, entre house et hip-hop sur le label barbecue.

Un morceau entre house et transe sur le super label Ritmo Fatale aussi bientôt. Et je suis en train de boucler un EP de musiques dansantes, avec des morceaux du live, qui sortira sur le label Astropolis Records début de l’année prochaine. Je suis assez content du résultat, j’ai hâte qu’il sorte.


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Raphaël Duprez

En quête constante de découvertes, de surprises et d'artistes passionnés et passionnants.