[Clip] [Exclusivité] Bleu Russe – L’orage gronde

L’artisanat est foncièrement une vertu inséparable de l’univers de la musique indépendante, où créer devient le meilleur moyen – et, peut-être, le dernier – de résister. Le rap de Bleu Russe est indéniablement mué par ce besoin irrépressible d’exprimer le trop-plein d’une profonde révolte intérieure, de même que par la volonté de mettre en mots les contours de la colère sourde et latente de l’ère post-moderne. En découle des brûlots urgents et instables, comme ce clip dérangeant de « L’orage gronde », premier extrait de la mixtape électrique et vitale de Bleu Russe, « Missives d’amour », sorti il y a quelques semaines sur Petrol Chips.

Un malaise s’installe dès les premières secondes de ce patchwork d’images capturées dans l’instant et de vidéos volées sur la toile. Malmenés par un zapping aléatoire de caméras de surveillances de la vie, le présent se fond dans les images d’archives, le passé se noie dans les effets de saturations. Pris dans l’étau d’une alternance de ralentis et d’accélérations, l’espace-temps vrille : tout est fait pour nous faire perdre nos repères ou, à contrario, nous extraire de la réalité. Comme l’annonce froidement Monsieur Connard (au moins, il pose le décor), Bleu Russe l’a invité comme on inviterait un pote à venir boire une bière. Sauf que là, c’est du sérieux : le poète déverse, sans demander s’il dérange, une lente litanie neurasthénique et rageuse, sur le minimalisme d’une guitare qui tourne en boucle. Pas vraiment slam, mais pourtant foncièrement rap, le flow installe son tempo nonchalant et son propos implacable, quelque part entre Odezenne et Arm.

Ainsi, lorsque Bleu Russe se pointe, l’alchimie opère. La machination littéraire de nos deux complices devient irrémédiable, imposante dans la richesse d’une écriture libre et surréaliste. Elle nous met sous l’emprise d’une mise en abyme vicieuse et viscérale, qui impose des allers-retours troublants entre réel et fiction. « Que c’est beau chez nous, que c’est beau chez vous », répète Monsieur Connard à l’envi, la voix remplie de cynisme et de lucidité froide. Partant de rien et donnant leur chance aux moindres détails du quotidien et de la vie des simples, il raconte, sans détour, la modernité dans sa plus implacable vérité. Il fallait bien tout le talent et l’ingéniosité de l’artiste vidéo expérimentale Myriam Ribon, alias Thirdeye, pour sortir ce clip de l’exercice promotionnel et lui donner cette nature insaisissable et brute, à contre-courant des canons du genre actuel. Ce clip n’est certainement pas destiné à faire des millions de vues dans les jours qui viennent, mais a l’immense qualité de démontrer, comme une obsession créative, que la culture, ou du moins ce qu’il en reste, n’est pas qu’une simple usine à fabriquer des clones standardisés, prêts à la consommation de masse.


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Laurent Thore

Laurent Thore

La musique comme le moteur de son imaginaire, qu'elle soit maladroite ou parfaite mais surtout libre et indépendante.