Il nous aura fallu du temps pour chroniquer ce disque, mais ce décalage nous aura permis de dépasser nos premières impressions, en nous débarrassant d’éléments d’informations perturbateurs et, surtout, de réflexes stylistiques finalement insipides. Ainsi, nous avons accompli la délicate mission de rendre hommage à ce premier disque ambitieux et magnifique, et par là-même à ce groupe attachant qu’est Big Wool, parfaite illustration de la liberté de faire qui habite l’indépendance contemporaine. Animé par une complicité presque fusionnelle entre musiciens, ces huit titres transpirent de toutes parts un amour immodéré pour la musique, à l’image de la soif de découverte et de la curiosité permanente du leader, Maxime Dobosz.
Derrière une pochette volontairement réduite à un artwork minimaliste, nous ne pourrions voir, derrière ce LP, qu’une saisissante collection de titres couvrant avec gourmandise le spectre de la pop indé, depuis la « Twee Pop » du mythique label de Bristol Sarah Records jusqu’à nos jours, célébrant le retour triomphal de Slowdive. Pourtant, si chaque morceau imprime un état d’esprit singulier, il se dégage, sur la longueur de ce long format, un sentiment de plénitude et de cohérence tout à fait impressionnant. Sans sombrer dans des délires monomaniaques, un soin tout particulier a été porté à la question des équilibres sonores et à la place de chacun dans les développements harmoniques et rythmiques qui façonnent l’identité de Big Wool.
« Always go wrong », bien que placé en deuxième position, agit comme un véritable révélateur. Il porte en lui l’essence d’un morceau de pop parfaite et, par là-même, symbolise les étonnantes qualités de Big Wool. S’ouvrant sur une basse/batterie réduite à sa plus simple expression, mais jouée dans une forme d’élégance d’une étonnante sobriété, il peut laisser libre court au chant et aux guitares. Pas si loin du tube en puissance, voilà un titre qui se moque de la virtuosité et recherche avant tout l’émotion dans la moindre note, dans le moindre effet, dans la moindre respiration. Nous pourrions nous attendre, après cette montée en puissance, à une baisse attendue de régime ; pourtant, l’album redouble de suite de vigueur avec le très shoegaze « Vanishing Point ». Même « Home », morceau introductif plus discret et plus timide dans sa matière musicale, retrouve des couleurs écoute après écoute et installe son charme évanescent que vient sublimer cette puissante montée de violon de Baptistine.
L’air de rien, cet album fourmille de petits détails, et même de quelques aspérités qui lui confèrent une vitalité décisive. Quintet largement porté sur les cordes autour d’une basse, de deux guitares et d’un violon que vient soutenir une indispensable batterie, Guillaume, Nicolas, Maxime, Baptistine et Vincent vivent leur musique dans un plaisir partagé et à travers des intentions sensibles peu communes. Et ce qui aurait pu nous perdre, au contraire nous emporte, nous enivre, nous chavire. Après tout, cette histoire en huit chapitres se sublime au-delà de toute logique par la précision de sa concrétisation collective, nous laissant énormément de place pour divaguer et créer nos propres scénarios. Un morceau comme « She » est un appel au lâcher-prise, par sa capacité troublante à nous transporter vers un ailleurs lointain et hors du monde. Loin d’être bavarde, cette œuvre fuit les dérives de l’opportunisme stylistique pour créer une musique intemporelle, qui inscrit le chiffre 2017 sur sa pochette, comme il aurait pu dévoiler celui de 1980, l’année de sortie du « Seventeen Seconds » de The Cure, ou 1994, année de sortie de « Worst Case Scenario » de dEUS.
Pour terminer, nous pourrions nous arrêter sur le cas troublant du chant de Maxime, leader assumé de Big Wool, que les fans de musiques indépendantes auront déjà repéré derrière San Carol. Nous découvrons presque une nouvelle voix, tant ce nouveau projet lui suggère de pistes inédites pour explorer des possibles que nous ne lui connaissions pas et que nous ne soupçonnions pas, d’ailleurs. Notre homme nous surprend décidément par l’étendue de son potentiel créatif et sa capacité à mettre en jeu ses limites personnelles pour mieux les transcender. A n’en point douter, il fait partie de ces activistes de la pop indépendante française, qui placent l’exigence artistique au-dessus de toute autre considération marketing ou carriériste, permettant ainsi la genèse d’un album aussi atypique que ce premier disque de Big Wool.
« Big Wool » de Big Wool est disponible depuis le 2 juin 2017 chez Kütu Records.