Quelques mois après la sortie d’un premier EP, « Gemmes », le compositeur de musique électronique Benjamin Gibert revient avec « Taihua », un court album original inspiré d’un voyage en Nouvelle-Zélande. Une belle prouesse technique où les sons de la nature, souvent retravaillés, fournissent la matière première sonore nécessaire à ces beats organiques.
« Tout est musique » : voilà qui pourrait à merveille résumer la philosophie et l’inspiration créatrice du jeune musicien. À la faveur d’un voyage et d’une résidence artistique dans le nord-ouest de la Nouvelle-Zélande, Benjamin Gibert et son compagnon Thomas (que l’on entend « jouer » à quelques reprises sur le disque) enregistrent des sons dans les différents lieux qu’ils traversent, visitent ou investissent. Cette pratique, nommée field recording et relevant d’une démarche qui peut-être tout autant ethnographique que documentaire, est à la base même du travail de composition du musicien. En effet, tous les sons – bruts ou programmés – de l’album « Taihua » proviennent de ces enregistrements très home made, qu’il a parfois ensuite bricolés, modifiant ou isolant certains fréquences ou textures jusqu’à obtenir l’effet désiré, jouant ensuite au clavier MIDI ces « notes » minutieusement recomposées pour créer des mélodies tantôt cristallines, tantôt tubulaires et parfois minérales.
Programmée, la musique de ce bref album l’est certainement ; programmatique aussi. « Barefoot », comme son nom l’indique, provient des sessions d’enregistrement d’une randonnée sylvestre pieds nus, et les bruits de pas sur la mousse et l’humus ou dans les feuilles se retrouvent aussi bien à peine retouchés dans les crissements du morceau que complètement réorganisés pour les différents beats électroniques que l’on y entend. Sur la suite « Low Tide Cavern », en trois parties éparpillées tout au long de l’album, les sonorités marines prédominent et l’acoustique particulière de réverbération et de résonance d’une grotte découverte à marée basse est utilisée pour obtenir cette qualité spatiale de léger écho. « Taihua » définit d’ailleurs en maori l’espace et la distance comprise entre la ligne de marée basse et la ligne de marée haute. Sur « Shells », ce sont des coquillages ramassés dans cet espace éphémère mais sans cesse renouvelé qui ont été ensuite triés par taille en fonction des notes qu’ils produisaient si l’on soufflait dedans, et qui ont fourni les différents éléments nécessaires à la composition de la piste, comme une sorte de flûte électronique et naturelle. Nature qui est bien évidemment omniprésente sur l’album et au cœur même de la démarche de Benjamin Gibert. Profitant de l’écosystème unique et préservé de l’archipel néo-zélandais, il enregistre aussi le chant de plusieurs espèces d’oiseaux endémiques, tels le piwakawaka (ou rhipidure à collier) et le tūi (ou méliphage tui), espèce connue pour sa capacité à imiter à peu près n’importe quel son. Ces gazouillis sont encore une fois alternativement samplés tels quels, bouclés ou reprogrammés via MIDI en jouant sur les hauteurs de fréquence et longueur d’onde obtenues. Cela donne le plus rythmé « Tūis garden », où l’ambient et la folktronica se transmutent peu à peu en une transe IDM du plus bel effet. Sur ce morceau, dont les sons ont tous été enregistrés entre le jardin et le porche de la maison où résidait l’artiste, on entend également des sons « joués » sur des instruments improvisés, par exemple un carillon suspendu sous le toit de la terrasse. Ailleurs, ce sont des pas sur le sol en bois de la bâtisse, comme des claquettes, ou encore une table d’orientation détournée en percussion qui rappellent de loin en loin et discrètement la présence humaine, diluée au milieu d’une nature souveraine et majestueuse, mais néanmoins nécessaire pour l’élaboration même de la musique.
Ce travail de stratification d’une même matière sonore en fonction du degré de modification subie s’inscrit également dans une réflexion quasi écologique, puisque l’enregistrement et la réalisation de cet opus demandent alors un matériel relativement simple et restreint, qui permet également une grande mobilité à son compositeur. Plages, forêts (« Native forests »), mais aussi glaciers ont donc été arpentés pour recueillir tous les sons nécessaires à l’élaboration de ce disque, comme en témoigne explicitement « Franz Joseph Glacier », où la discrète musique d’une rivière de glace qui fond et se déplace inlassablement devient une ode tellurique et minérale à la préservation des espaces naturels et à la lutte contre le réchauffement climatique. Ce rapport organique et privilégié à la beauté de la nature et à ses formidables forces n’est pas sans rappeler le travail de Björk (tant dans son engagement politique que dans sa manière d’approcher la matière sonore et visuelle), dont Benjamin Gibert est un admirateur ; mais la pratique du field recording retravaillé via protocole MIDI le rapproche plus de la démarche artistique d’un Yosi Horikawa, dont il cite volontiers l’influence.
Avec « Taihua », Benjamin Gibert conjugue donc IDM, field recording et folktronica, signant ainsi une oeuvre belle et exigeante, qui met une belle inventivité technique au service d’un enracinement profond et sincère dans la nature.
« Taihua » de Benjamin Gibert, disponible depuis le 4 novembre 2019.
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