[LP] Ben Lukas Boysen – Gravity

Musicalement, défier la gravité est le rôle principal du style ambient, ce « nouveau » genre qui paraît plus simpliste qui n’en a l’air. Les guillemets sont là pour rendre moins perceptible cette nouveauté car ce genre est résultat de nombreuses déclinaisons musicales. Autrement dit, le modern classical est celle qui s’en approche le plus, avec son intelligibilité arty qui fait de ces musiques celles des plus prisées des bobos mélomanes et des courants alternatifs naissant chaque jour en Europe et ailleurs. Plus sérieusement, pour le respect et le gout exquis que nous puissions y apporter, ces genres tapis dans l’ombre connaissent indéniablement leur heure de gloire. « Gravity » est la bulle astronomique, mais aussi métaphysique, de Ben Lukas Boysen et de tous ceux qui auront l’envie de s’y enfermer. La beauté peut être un lieu incertain, noir et mélancolique. Ce disque en est l’éblouissante et impressionnante représentation.

Ben Lukas Boysen - Gravity

Ce « Gravity » là, sorti sur l’aimant artistique Erased Tapes Records, est une réédition d’un « Gravity » sorti il y a deux ans chez Ad Noiseam. Comme il l’avait fait pour le « Float » de Peter Broderick, le label londonien célèbre sa dernière signature en ressortant le premier album de Ben Lukas Boysen comme on le ferait pour un classique ou un disque incontournable à posséder sans hésitation dans ses étagères musicales. C’est clairement le cas. Du moins, il faudrait être sacrément sourd pour ne point y retrouver l’immense acuité d’un génie allemand (encore un). Ami et membre du même label, l’artiste Nils Frahm a remixé et remasterisé l’album, comme il l’a fait pour quelques étalons de l’écurie Erased Tapes. D’après lui, Boysen n’est pas un maître du piano mais ses collages de son et la méticulosité du design l’ont impressionné. Nils déclare : « À partir de maintenant, si quelqu’un demande – ceci est du vrai piano ».

L’ambiance de l’album se mesure dans les collages des instruments analogiques et des pièces de piano jouées et enregistrées en live. Cette temporalité permet alors de capturer toutes les imperfections quasi-incontrôlables de l’improvisation. De « Only In The Dark » au deux mouvements de « Nocturne » accompagné par les percussions de Achim Färber et les synthétiseurs additionnels de Nils Frahm, ou encore le morceau cérémonial « The Behenian Gospel » et la délicate « Aos » qui emprunte son nom à un système d’imagerie médicale, « Gravity » est une exploration de hauteurs, de falaises sonores et de vertiges sensoriels qui répondent en tous points aux significations de son nom, résultat de l’énergie de Hecq (l’ancien pseudo et projet de Boysen) et la poésie personnelle de l’artiste.

À l’écoute, la grandeur de ce chef-d’œuvre ne se résume à rien, si ce n’est dans le fond qu’elle déploie intensément, de cette lumière noire et secrète qui doit sa splendeur par le son qu’elle fait. Ce microcosme crépite incrédule, serein et satisfait d’être le seul dieu dans son espace-temps. Si la gravité est son modèle, il fait de l’apesanteur le nôtre.

crédit : Claudia Gödke
crédit : Claudia Gödke

« Gravity » de Ben Lukas Boysen est disponible depuis le 10 juin 2016 chez Erased Tapes Records.


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Julien Catala

chroniqueur mélomane, amoureux des échanges créés autour de la musique indépendante