[LP] Behaving – Behaving

Sous une dénomination inquiétante, Keaton Henson façonne l’électro à sa sauce romantique et désespérée. « Behaving » est la bande- son d’un conte macabre où l’on se complait de se perdre.

Behaving - Behaving

Sans prévenir ni même annoncer la moindre lueur de projet que l’on sait passionnée, cet homme a pris l’habitude de surprendre là où on ne l’attend pas. Il doit lui-même se surprendre. Keaton Henson avait déjà étonné la critique avec son deuxième album, « Birthdays », magnifique effluve tourmenté, fragile et pourtant si imposant. Deux ans plus tard, en procédant à la même opération surprise, l’homme a délivré « Romantic Works », disque fumé et intimiste de modern classical produit avec un quartet mené par le violoncelliste Ren Ford. Un tournant déchirant sur sa route musicale jusqu’ici sans faille, galvanisée à chaque fois par une émotion rare et transie. Nous le trouvons aujourd’hui sur un autre bord, méticuleux et déprimé comme à son habitude, en révisant l’électro à sa manière sous l’inquiétant nom de scène Behaving. Accompagné de son étrange pochette, main squelettique et fantasmagorique qui pend comme la mort (et rappelle également l’univers de ses illustrations et ses poèmes, qui n’a de cesse de balancer entre l’aversion et l’innocence), Keaton Henson livre un album éponyme composé de huit pistes sublimement troublées et asservies.

Depuis « Romantic Works », il est de moins en moins évident d’éprouver la véritable émotion de sa musique. Elle est de plus en plus refoulée, cachée, pudique. Le fort impact affectif de « Dear… » et « Birthdays » s’ébruite maintenant dans quelque chose de plus flou, voire hermétique, comme pour se protéger d’une forte tristesse. De ce fait, l’art de Keaton prend une dimension thérapeutique et psychologiquement plus introvertie, elle qui se voulait auparavant plus automatique et simplement plaintive. Au nom de quoi ? D’une musique volontairement brouillée par des anomalies synthétiques et des bruits externes faisant partie de l’environnement. Son aptitude à capturer ces sons et à les moduler à sa guise prend une tournure inquiétante quand il s’agit de les entendre : une porte qui grince, une série de pas sourds, un cri d’agonie, et ce bourdonnement constant qui nous désarme de toute quiétude. En somme, ce champ lexical sonore, purement ancré dans le fantastique et le conte macabre, s’accompagne d’une électro fantôme déglinguée et romantique qui parsème, ici et là, des élans classiques que le piano et les cordes subliment.

Il sera donc dur de s’approprier « Behaving » et de l’apprécier dès la première écoute. Il nous faudra du temps et beaucoup de compréhension. Si l’on prend cette musique au sens premier de sa servitude, c’est-à-dire divertir, on pourra certainement l’écouter pour assouvir notre curiosité et le mettre doucement de côté. Mais entendons bien que l’effort et la détermination de chacun permettront à Keaton de se délivrer et de trouver un sens à son innocente déprime – que l’on sait bien travaillée. Et, comme pour un enfant qui ne connaît pas l’origine de ses larmes, on se doit de l’écouter et de le rassurer, coûte que coûte.

Keaton Henson

« Behaving » de Behaving est disponible depuis le 7 octobre 2015 chez Oak Ten Records.


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Julien Catala

chroniqueur mélomane, amoureux des échanges créés autour de la musique indépendante