[EP] Bad Pilöt – Swimming With Sharks

Retrouver Bad Pilöt revient à faire un grand saut dans l’inconnu, sans savoir si l’on va s’écraser sur les rochers ou, au contraire, prendre notre envol et nous laisser porter par un vent puissant et tempétueux. Et, à l’écoute de ce formidable « Swimming With Sharks », le doute demeure toujours, pour notre plus grand plaisir ; car l’expérience n’en est que plus attirante et intense, le projet ayant rarement rendu son œuvre aussi proche du vide que de la délivrance.

Alex de Selve, alias Bad Pilöt, aime le risque, comme le montre la pochette de ce nouvel EP, « Swimming With Sharks ». Nager au milieu des requins, aussi bien concrètement que métaphoriquement, n’a pourtant jamais été un problème pour elle, allant d’album en album avec une liberté de choix et de ton révélateurs de son envie première de ne pas ressentir, sur ses épaules, de carcan pesant et réducteur. Ainsi, cet opus inattendu et tout simplement parfait dépasse l’électro-pop pour lui donner une image plus sombre et tourmentée, entre boucles synthétiques obsédantes et voix fantomatiques et hantées. De l’art dans la noirceur, de la lumière dans le trouble et le doute ; tant de questions auxquelles les réponses, pourtant si évidentes, nous sautent aux yeux à l’écoute de ces nouvelles chansons.

Notre première rencontre nocturne se fait avec la mystérieuse « Arlette », personnage fictif mais qui nous semble pourtant si familier, prête à nous guider dans les rues sombres et abandonnées de la capitale, là où tout se joue, entre danse et transe. Le contraste entre ces rythmiques obsessionnelles et le timbre rassurant d’Alex est saisissant et contribue à nous égarer un peu plus, permettant à la musicienne de faire ensuite ce qu’elle veut de nous. « Arctica » est d’autant plus séducteur et apeuré, comme s’il fallait que l’union fasse la force pour éviter les dangers qui se cachent dans les recoins les plus menaçants d’allées désertes, mais contre lesquels on peut lutter en se serrant les uns contre les autres, dans une passion à la fois salvatrice et charnelle. « Robot » éteint les lumières du dancefloor, hymne stroboscopique de la perte d’identité où le chant en français se murmure à notre oreille tandis que les substances hallucinogènes que nous avons avalées font effet et nous désincarnent entièrement. La pop de « The Queen Ann’s Revenge » achève de rendre les limites de l’art de Bad Pilöt toujours plus indescriptibles et invisibles, les chants de cétacés se transformant en esprits vengeurs, au moment où le sublime « La colère des anges » nous fait remonter à la surface, écartant tout danger tandis que l’on sent encore la caresse mortelle du prédateur qui, quelques secondes auparavant, aurait pu nous tirer vers les profondeurs, sans échappatoire possible.

Décidément, le talent de Bad Pilöt ne cesse de nous étonner et de nous posséder à chaque nouvelle rencontre. À son timbre fragile et transcendant se mêlent des histoires de passions destructrices, de contacts physiques contraignants et, parfois, apportant un soulagement de courte durée mais pourtant bénéfique. « Swimming With Sharks » se mue, en moins de trente minutes, en l’une des plus attirantes prises de risque de ces derniers mois. Alex n’a pas peur de ses obsessions ; au contraire, elle les laisse vivre et éclater, musicalement et verbalement, afin de mieux les exorciser. Une tentative entre désespoir et extase, qui nous laisse sans voix et exsangues, mais que l’on accepte de revivre dès qu’elle nous ouvrira à nouveau les portes de ses névroses. Implacable.

« Swimming With Sharks » de Bad Pilöt est disponible depuis le 28 novembre 2016 chez Robot Production.


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Raphaël Duprez

En quête constante de découvertes, de surprises et d'artistes passionnés et passionnants.