Rencontre avec Audrey Jungle

Après avoir reçu un accueil chaleureux de la part du public et des médias argentins lors de leur tournée sud-américaine, Audrey Jungle, quatuor franco-argentin, est de retour en France. Son leader au féminin vivant à 200 à l’heure, Audrey me fait l’immense plaisir de répondre à mes questions qui vous donneront assurément envie de découvrir ce projet rock pimenté singulier et terriblement énergique, sur disque autant que sur scène.

  • Salut Audrey. Pour situer ton groupe, il s’agit d’un projet rock franco-argentin dont tu es la seule représentante francophone, et la seule membre féminine du groupe…

Oui, être « la seule fille à bord » est en fait souvent le cas dans les groupes de rock : à part pour les groupes entièrement féminins, on trouve souvent une seule fille qui ajoute une touche de sensualité souvent dans l’ambiance très masculine du rock. Je pense notamment à Ladylike dragons, où Cindy est bassiste, et à Dyonisos où Babeth est violoniste. Notre groupe est bicéphale en soit : Heber, à la guitare, est Argentin et je suis Française. Au cours des diverses formations du groupe, nous avons toujours cherché à garder une forte composante hispanophone : toute l’année 2011, notre batteur et notre bassiste étaient Colombiens et le violoniste était Allemand ! Cette année nous avons intégré Federico Frumento, Argentin aussi, comme bassiste stable du groupe. L’énergie latine et les influences argentines comptent beaucoup pour nous ! La culture rock est très présente en Argentine, et le rock argentin appelé « rock nacional » semble très original en France.

  • Le rock pimenté, c’est votre credo, ça se traduit comment sur disque et surtout en concert ?

Le but est de se démarquer de tout ce qui se fait actuellement dans le rock en France, à savoir un rock très anglo-saxon dans ses mélodies, ses riffs, et chanté en anglais, avec des paroles qui, pour être honnête, supporteraient mal une traduction en français ! Le rock pimenté c’est tout l’inverse : une énergie à toute épreuve, des textes en français et en espagnol et un je-ne-sais-quoi de piment, ça arrache, mais on aime ça ! Sur le spectre du rock, le rock pimenté est à l’opposé de l’insipide en fait. Sur scène, c’est donc une grosse décharge d’énergie rock, mais sans jamais surjouer : on ne feint pas. La sensualité, la séduction, font aussi partie de cet aspect « pimenté » du show. C’est très interactif aussi. On a envie qu’après le concert les gens ressentent une claque et se posent aussi des questions. Ça ne sert à rien de jouer aux rockeurs si on n’a rien à dire !

  • On te sait Audrey particulièrement engagée contre la corrida et contre toutes les expérimentations animales ? Cet engagement est-il défendu également dans les textes de ton groupe ?

Merci d’en parler ! Effectivement je milite autant que possible contre toute forme de cruauté envers les animaux, parce que ça me révolte depuis enfant. C’est très épidermique. C’est une cause difficile à défendre en plus, car on nous renvoie immédiatement le faux argument que d’autres causes sont prioritaires. Ceux qui disent ça ne font d’ailleurs souvent rien ! Il m’est donc arrivé de porter des tee-shirts anti-corrida en concert (au Scop’club à Paris) ou de faire un speech contre la vivisection (au Festival Nuits du loup), car c’est la désinformation qui permet à ces horreurs de continuer. Mais on a dans les tiroirs une chanson spécifiquement contre la vivisection, et on prévoit de projeter des images-chocs sur écran juste avant, en concert. Une fois qu’on sait, on réfléchit avant d’acheter certaines marques !

  • En parlant de tes textes, quelles sont tes sources d’inspirations et quels sont les sujets qui t’invitent à l’écriture ?

Je suis de nature très mélancolique et très sensible, tout me touche facilement et beaucoup de choses me mettent hors de moi. Ça sonne très ado de dire ça (rire), mais je préfère faire partie des contestataires que des désabusés ! C’est pourquoi des chansons comme « Serait-ce les averses », « What’s wrong » ou « Intrepidamente descarrada » invitent soit à se poser les bonnes questions, à oser, ou du moins à ne pas se contenter de son petit confort. C’est le fil rouge du concert. Après, d’autres thématiques comme la mort (sur « Le point virgule »), l’insouciance (« 24 ans »), la vie de Rimbaud (« poète ou marchand d’armes »), l’errance (« les pieds sales ») ou l’orgasme (« je cherche le sol ») permettent d’aborder des thématiques inhabituelles. On ne fait pas de chansons d’amour ni de rupture, ça, c’est clair !

  • Quel sens revêt pour toi ton nom de scène, Audrey Jungle ?

La jungle, c’est l’hostilité et le sauvage. C’est deux dimensions qui sont omniprésentes dans la musique et encore plus dans le rock. Personne ne t’attend, et tous les coups sont permis. La jungle c’est aussi, de manière plus générale, notre société de consommation actuelle. Ce modèle de société ne fonctionne que pour ceux qui travaillent, qui rentrent bien dans les cases, et pour les lobbies, pas pour les marginaux ou les personnes âgées, dont on ne s’occupe plus et qui sont une charge. C’est être du côté de tous ceux à qui on ne donne pas forcément la parole, les animaux de laboratoire inclus ! Nous, on a un peu l’impression de militer contre tout ça en faisant du rock, comme si on était seuls en pleine jungle.

  • Tu as fait une tournée en Argentine avec ton groupe tout récemment. Comment avez-vous programmé ce voyage ? Quels sont vos meilleurs souvenirs de cette tournée ?

Incroyable ! C’est le pays d’Heber et c’est important pour nous de maintenir un public là-bas, et le voyage était prévu depuis décembre dernier, mais on ne s’attendait pas à un tel accueil ! Les journaux, les radios, et même la télé, nous ont accueilli les bras ouverts, et on a vendu tous nos CD au premier concert ! Je crois que le meilleur souvenir a été notre concert à l’Auditorio A. Calle à Mendoza, qui est une salle prestigieuse. À notre dernière chanson, qui était le rappel, toute la salle s’est levée et a chanté avec nous tout le refrain « es el timbre de mi voz » en frappant des mains ! J’en avais la chair de poule et j’ai failli me mettre à pleurer d’émotions. On n’avait jamais vécu ça ! À la fin du concert, on était dans les loges et on entendait même des spectateurs chantonner ça dans les escaliers ! C’était dingue.

  • Au sujet de ce voyage en Argentine, comment ta musique a-t-elle été accueillie par les Argentins, sachant qu’une majorité de tes paroles sont écrites en français ?

Justement, le charme français opère complètement ! L’Argentine a gardé un rapport très nostalgique avec l’Europe, et la plupart des Argentins ont des grands-parents italiens, espagnols, français ou allemands. Chanter en français c’est presque d’emblée avoir du chien et entrer dans un rapport de séduction ! C’est à la fois exotique et sensuel, je crois. J’explique le sens des textes souvent avant la chanson, mais la langue est plus un avantage qu’un inconvénient. En plus, le public argentin est beaucoup plus rock qu’en France. Après notre deuxième concert là-bas, tout s’est emballé : des radios ont parlé du groupe spontanément et on a déjà booké une date à Buenos Aires le 1er mars 2013 !

  • Vous venez de sortir votre premier clip avec votre titre « Je cherche le sol ». Il a été tourné à l’occasion de votre tournée en Argentine. Une présentation du titre et du clip par son auteur s’impose ?

Ahahaha ! C’est Luis Guiñazú Fader qui a réalisé le clip sur une chanson extraite de notre premier EP, « Versus », qui a beaucoup plu en Argentine justement ! Atypique dans sa composition, car c’est un titre qui n’a ni couplet ni refrain, mais se développe et se conclut comme une boucle. C’est très hypnotique et il fallait au moins ça pour parler de l’orgasme ! La note « sol » est notée G en musique, d’où le titre ! Le texte est très implicite, donc on peut passer complètement à côté de la signification réelle si on l’ignore, comme tous les textes qui ont deux niveaux de lecture, à la manière du titre de Gainsbourg « Les sucettes », sauf que pour le sol c’est encore plus subtil !

  • J’ai cru comprendre qu’un EP acoustique allait voir le jour très prochainement, peux-tu m’en dire davantage ?

Oui, au mois de juin sortira notre nouvel EP, dont je vais d’ailleurs te dire le titre  (c’est un scoop !) : « Même pas peur ». Même pas peur de la crise du disque, même pas peur de faire du rock en 2012, même pas peur de manifester, même pas peur de la vie, de la mort, de souffrir, de vivre ! C’est l’idée.
Il contiendra 5 titres : 3 titres en formation électrique avec basse, batterie, guitare, voix et violon, et 2 titres en acoustique avec guitare sèche, harmonica, voix, bombo legüero et percussions. Le bombo legüero est un tambour traditionnel argentin, et on a la chance d’enregistrer avec Vanesa Garcia (www.vanebata.com) qui est une excellente percussionniste argentine résidant à Paris. Les titres acoustiques ont donc une texture très chaude, très bois, et plutôt mélancolique, qui contrastent avec la fureur et la folie de l’électrique. Cet EP est donc bipolaire ! Et, pour continuer sur ce concept, il sortira en édition physique avec CD et vinyle dans une même pochette.

  • Où peut-on retrouver Audrey Jungle sur scène au cours des prochaines semaines ?

On jouera ce samedi 5 mai au Fleurus, 10 boulevard Jourdan à Paris, à côté de la Cité internationale, ainsi que le vendredi 11 mai au Cavern Club, dans le 6e, et ces concerts seront gratuits. En juin, on part à Clermont-Ferrand, et des dates dans la région sont en cours de confirmation. Et le meilleur pour la fin : en juillet on va jouer à Amsterdam !

  • Merci pour tout et à très bientôt Audrey !

facebook.com/audreyjungle
myspace.com/audreyjungle

Fred Lombard

Fred Lombard

rédacteur en chef curieux et passionné par les musiques actuelles et éclectiques