[Live] Archive à Stereolux

Des vrombissements se font entendre depuis les haut-parleurs pendant que les spectateurs attendent patiemment l’arrivée des musiciens venus célébrer 25 ans d’un groupe parmi les plus atypiques et libres venus d’Angleterre. Un silence religieux s’installe et l’on devine que la salle est pleine de ces fans fidèles au groupe depuis « Londinium » (1996) et pressés de vivre une rétrospective live.

Crédit : Fred Lombard

« Your love is like no other… » Ces mots tirés de « You Make Me Feel », titre publié en 1999, introduisent le concert. On suppose que cette déclaration est directement adressée aux spectateurs présents ce soir-là et plus largement au public fidèle au groupe depuis ses débuts.

Il est vrai que cette longévité surprend si l’on jette un coup d’œil sur le parcours du groupe fondé par Darius Keeler et Danny Griffiths. L’évolution musicale a été abrupte avec le passage du trip-hop alors en vogue vers le rock progressif teinté d’électro moins engageant. Ajoutez à cela un line-up constamment en mouvement et vous avez de quoi perdre la fanbase la plus solide. Et pourtant, Stereolux affiche complet ce soir, à l’instar des autres salles accueillant cette tournée-anniversaire dont la Seine Musicale où une captation sera réalisée en vue de la publication d’un DVD live à l’automne 2019.

À l’issue du premier morceau chanté par Maria Q et Holly Martin, c’est une ovation digne d’une fin de show qui emplit l’espace sonore saturé de vibrations lourdes. À gauche de la scène, Keeler dirige les musiciens tel un chef d’orchestre exubérant quand à droite, Griffiths se fait plus discret et égrène l’harmonie faussement légère de « Fuck U ».  Si ce n’était les paroles pleines de rage, on croirait, durant les premières mesures, entendre une berceuse. Au chant, Dave Pen se fait subtil et sa conviction fait mouche au-devant d’un groupe puissant. Derrière les fûts, Steve Barnard n’est pas en reste et impose une rythmique lourde et syncopée dans laquelle déboulent des roulements fracassants.

L’intensité est impressionnante. La scène, plongée dans le noir, est déchirée par des lumières fulgurantes et les morceaux se succèdent comme autant de classiques d’un répertoire unique. Les transitions sont parfaitement maîtrisées et ajoutent au caractère exceptionnel de la soirée. Pollard Berrier est, à son tour, mis en avant et interprète « Bullets » avec la classe qui le caractérise. Il forme ensuite avec Dave Pen à la guitare folk un duo sombre sur « Noise ». Leurs voix se mêlent à la perfection et le climat redevient électrique à grand renfort d’accords saturés. L’électro rouge sang contamine la scène sur « Kid Corner » qui voit le retour de Holly Martin. Les beats sont frénétiques à l’instar du jeu de lumière absolument grandiose. Sans perdre une once de cohésion, le spectacle retrouve l’énergie rock voire punk sur « System » et sa guitare rageuse.

Au long de ce quart de siècle, Archive aura su prouver son talent non pas à travers un genre musical, mais principalement à travers la création d’ambiances. Celles-ci ont, certes, toujours été sombres, mais le public fidèle s’est retrouvé dans ces morceaux reflétant l’absurdité de notre monde qui peine à trouver un équilibre entre progrès et chaos. La vingtaine de morceaux joués ce soir rendent compte de cette cohésion et de l’osmose entre les musiciens.

Sans qu’on puisse assurer qu’elle se calme, la musique se pare d’atours synthétiques et ralentit le tempo sur de longs titres à l’audace encore bluffante. « Wiped Out », « Shiver », Collapse / Collide » surprennent toujours et sont suivis de « Remains of Nothing ». Seul inédit présent dans un best of massif tout juste publié, ce titre est le fruit d’une collaboration avec Band Of Skulls. À nouveau, Archive étonne. La voix soudain aigüe de Dave Pen s’accroche à une guitare fiévreuse et l’ensemble évoque un road trip nocturne dans un territoire vaste et sec. Pollard Berrier et Holly Martin rejoignent le convoi avec des flows percutants rappelant les premières productions du collectif. Le voyage se poursuit avec Holly sur « End of Our Days », ballade sublime à peine égratignée par l’irruption de déflagrations électroniques. Dave prend le relais sur « The Empty Bottle » et sur « Dangervisit » qui clôt cette première partie de soirée dans un final explosif qui n’épargne ni les tympans ni les rétines.

Le somptueux « Lights » recueille sans mal l’attention du public après l’entracte. Avec ce morceau ample et cristallin s’ouvre la phase la plus calme du concert. Alors que les lasers inondent la salle, l’émotion est palpable et continue de se répandre dans les rangs pendant « Nothing Else » et « Erase ». Le groupe montre à nouveau les dents lorsque démarre la rythmique jungle de « Finding It So Hard ». Dave Pen s’avère tout particulièrement habité et les accords dissonants du clavier ajoutent au plaisir malsain que l’on éprouve à voir le chanteur se courber et gesticuler comme en proie à ses démons intérieurs. La pulsation s’affole à l’instar des lumières et l’on se croit un instant dans le final de « 2001, l’Odyssée de l’Espace » en plein space trip psychédélique. C’est ensuite au tour de Holly Martin de nous envoûter avec l’intime et non moins glaçant « The Hell Scared Out of Me ». Dans la pénombre après la débauche de lumières passée, sa voix semble perdue dans un espace aux contours et aux dimensions inconnus. Des coups sourds et violents sur les touches du piano ajoutent à l’effroi sans briser ce morceau obscur et pourtant délicat. « Controlling Crowds » revoit le retour du groupe qui est justement acclamé quand surgissent les premières notes de « Again », le morceau-phare issu de « You All Look the Same to Me » (2002). La montée lancinante et épique de ce titre connu de tous les spectateurs est aussi impressionnante qu’à la première écoute. Joué dans son intégralité, « Again » est un bouquet final grandiose d’un concert déjà ahurissant de maîtrise. Nul doute qu’à l’issue de ces trois heures, chaque spectateur a l’impression d’avoir assisté au concert des plus généreux et puissants qu’il lui a été donné de vivre.


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Olivier Roussel

Olivier Roussel

Accro à toutes les musiques. Son credo : s’autoriser toutes les contradictions en la matière.