[LP] ANOHNI – Hopelessness

Ses Johnsons se sont-ils fait la malle, ou peut-être a-t-elle simplement voulu les mettre de côté un petit moment ? Qu’importe. La chanteuse Antony Hegarty nous revient cette année sous une nouvelle identité au patronyme mystérieux, qu’un enfant de deux ans pourrait prononcer sans effort. En collaborant avec deux grands noms de la scène électronique, Hudson Mohawke et Oneohtrix Never Point, ANOHNI s’avance, avec « Hopelessness », sur des plates-bandes franches et engagées, nimbées de cette même voix luxurieuse que nous lui reconnaissons d’emblée. Puissant, épique, acéré et parfois même brutal, Antony nous secoue violemment avec cet album électrifiant de désir et de soul.

ANOHNI - Hopelessness

Avec son précédent album, « Turning », qui comportait un disque live ainsi qu’un magnifique film-concept réalisé par Charles Atlas (connu pour ses mises en scène édifiantes en ayant développé son procédé de media-dance), Anthony y avait souligné toutes les incarnations de sa vie, en désignant ce pour quoi elle se levait chaque jour : l’identité des genres et l’autonomisation des femmes. Passant de il à elle, Hegarty a toujours pris soin de retranscrire dans son art, de la façon la plus digne et respectueuse qu’il soit, son besoin vital de changer de sexe, mais aussi le fait de considérer sérieusement les transgenres comme des parts intégrantes à notre société, et non comme des marginaux ou des délurés émotionnels.

Avec ANOHNI, l’innocence d’Antony and the Johnsons en prend un coup. À travers « Hopelessness », Hegarty se fait moins poétique et mélancolique, en défendant avec virulence les causes qui lui sont chères. Politiquement et écologiquement engagé, Hegarty dénonce, avec des textes-choc, une multitude de choses : la surveillance de masse avec « Watch Me », l’utilisation des drones de guerre avec « Drone Bomb Me », le réchauffement climatique avec « 4 Degrees » et l’effondrement de la biodiversité, entre autres. Sa responsabilité et son assurance sont telles qu’on a l’impression qu’elle s’élève en porte-parole des causes du monde, en orateur exalté et vivifiant, sans forcément se faire donneur de leçon. Elle fait simplement vibrer notre libre arbitre. « J’ai toujours eu une conscience des choses à mesure que je les perçois. Je ne suis experte dans rien. Quand nous lisons un journal, que l’on reste éveillé et vivant dans le monde, nous voyons ce qui se passe à un certain niveau. J’ai décidé d’essayer de l’intégrer un peu plus à ma musique, bien que je parle de l’environnement dans ce que je fais depuis un certain temps », confie-t-elle à Vice. Avec un ton plus appuyé, elle déclare à Pitchfork : « La virulence est profondément ancrée en nous. Nous avons pris des décisions et nous payons pour elles. Nous tous participons à ce processus de décisions. C’est notre conscience collective. Les drones, par exemple, sont juste nos messagers. Ce n’est pas la torpeur du drone qui me préoccupe, mais son image : il est la mort spirituelle de notre espèce. Il représente l’incapacité de notre espèce à évaluer ce gouffre géant de déni qu’il y a entre ce que nous pensons que nous sommes et ce que nous sommes réellement. Ce gouffre est le début de notre anéantissement. »

Musicalement, nous ne trouverons pas de résonances parmi ses pairs. Sa singularité écarte toutes similitudes et provient principalement de sa voix, qui possède un vibrato inédit et angélique, mais qui se fait désormais plus assurée et puissante. Chose évidente quand nous découvrons les compositions qui l’accompagnent : une déflagration électronique qui s’accorde proprement avec les propos dénoncés et qui enrôle un univers hybride propice à la musique dance ou au downtempo, voire même à l’expérimental. Nous aurons, plus ou moins, l’impression que tout ceci est extrait d’un esprit extra-terrestre et surdimensionné, que nous vivrons intensément ou non, mais qui aura le mérite d’apporter une résonance importante dans le monde qui s’effrite autour de nous. La désespérance d’ANOHNI nous ouvre les yeux. Arrêtons de faire l’autruche.

crédit : Alice O'Malley
crédit : Alice O’Malley

« Hopelessness » d’ANOHNI est disponible depuis le 6 mai 2016 chez Rough Trade.


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Julien Catala

chroniqueur mélomane, amoureux des échanges créés autour de la musique indépendante