Ça vous tombe dessus sans crier gare. Au cœur de la Toile, alors que l’on ne s’attend à rien de précis et que l’on erre dans les méandres musicaux de sites condamnés à nous faire rencontrer la beauté la plus pure comme autant d’autres objets auditifs non identifiés, lors de moments solitaires et sans but avoué, la pureté et le choc se présentent sous nos yeux et dans notre âme. Quelques notes fugaces mais merveilleuses, qui nous compriment les synapses pour mieux les détendre. Anne Garner signe ici l’un des meilleurs disques de 2015 pour l’auteur de ces lignes. Qui ne se remet toujours pas de ce fabuleux témoignage d’une vie entièrement dédiée à la beauté.
La vie s’écoule, long fleuve tranquille parsemé de débris, d’arbres morts et de vestiges humains laissés à l’abandon. L’eau demeure la seule force vitale, qu’elle soit délicate ou qu’elle charrie des torrents d’émotion brute. Dans le courant, parfois, on voit poindre un objet qui attire l’œil et vers lequel on aimerait se précipiter pour le tenir entre ses mains et le choyer, le garder précieusement pour en apprécier tous les contours. La jeune compositrice anglaise Anne Garner, avec « Be Life », a confectionné un disque lisse et tendre, bercé de douces mélopées mélancoliques et sensuelles dont les multiples éclats éblouissent et rassurent. Un testament rare et précieux, que l’on aime caresser et sentir sous la pulpe des doigts. Un phénomène intime qui révèle toute sa force au fil des écoutes. Un cadeau du ciel.
Be Life est une suite épurée et sensible de mouvements lascifs et lentement chorégraphiés ; un écrin dans lequel les corps et les esprits s’entremêlent, se superposent dans une confidence aussi profonde qu’émotionnellement transcendante. Introduite par les douces notes de piano de « Your Name », elle devient sinueuse et inattendue (All That’s Left) ou se permet encore des incursions vocales presque blues sur des nappes éthérées et magiques (All That’s Left). La dame se dévoile lentement, accueillant l’électronique dans des gestes passionnels et discrets (Wednesday’s Child) avant de libérer les vagues sublimes de courants aériens apothéotiques (Leave Your Bed, Be Life). Un éclat chaud et confortable berce délicatement « Come In », instant de gloire discrète avant de plonger à nouveau dans les abysses palpitants d’un album tout simplement tendre et confidentiel et dans lequel l’artiste révèle sa vie, ses tourments et ses charmes.
Moment phare de ce LP hors du commun, « Soft Eyes » résume à lui seul la démarche créatrice de l’artiste : quatre accords répétés à l’infini et ornés d’une litanie vocale hypnotique et magnifique. Anne Garner regarde le temps couler devant ses yeux et dessine sur un journal musical intime les contours, les ombres et les clair-obscur de ses pensées les plus enfouies. Elle trouve dans ses chansons la palette essentielle à sa survie, le souffle lent et bénéfique qui lui permet de partager autant que de reprendre pied, de se regarder face à un miroir d’abord sans tain, puis révélant au fur et à mesure des notes sa véritable personnalité.
Être la vie, c’est l’accepter au détour de chaque chemin, de chaque rue déserte de la capitale anglaise, alors que la nuit tombe et que la marche solitaire se fait oppressante autant que nécessaire, vitale et incontournable, semant au fil du vent le trouble autant que le réconfort de ces moments privilégiés et incomparables. Le chemin est encore long, certes ; mais Be Life restera pour toujours la flamme d’une bougie inépuisable qui nous suit et nous réchauffe dans les moments de doute et de tristesse, ne nous laissant plus jamais orphelins.
Be Life est un moment de grâce qu’il faut absolument découvrir ; en acceptant, sans résistance aucune, de se laisser porter par ce qui est tout simplement l’un des disques indispensables de cette année.
« Be Life » d’Anne Garner est disponible depuis le 19 juin 2015 chez Slowcraft et Unpercieved Records.
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