[Interview] Ãnanda Safo, réalisatrice de « Red Dolman »

Ãnanda Safo est une réalisatrice très rock’n’roll de films et de clips. Baignant dans la musique depuis le plus jeune âge, elle exprime sa passion notamment sur pellicule au travers de films et vidéoclips.
Entourée artistiquement de belles têtes pensantes
et souvent pansantes, elle conjugue images et notes et dénote dans la cour du septième art avec des courts qui en disent long.
Les 18, 19 et 20 décembre a lieu partout en France la fête du court-métrage intitulée « 
Le Jour le plus court » (correspondant également à la période de l’année où la nuit se fait la plus longue).
Ãnanda Safo est invitée le 20 décembre à 17h au Joker’s Pub à Angers pour présenter son film et revenir sur le tournage effectué dans la région.
Une belle rencontre avec un court-métrage empli de délicatesse et de sensibilité et une réalisatrice perfectionniste jusqu’au bout des ongles.

Ananda Safo

  • Bonjour Ãnanda, bienvenue sur indiemusic. Peux-tu tout d’abord te présenter à nous ?

Bonjour. Je suis réalisatrice. Ãnanda est mon vrai prénom (on me le demande souvent). C’est du sanskrit. Sa signification traduit un état de joie et de félicité. C’est un prénom très chargé spirituellement. L’un des principaux disciples de Bouddha s’appelait Ãnanda. Il m’a fallu 35 années avant d’avoir le droit de porter officiellement ce prénom que mes parents avaient choisi pour moi. Et ce n’est pas anodin dans une vie.
Safo, par contre, je l’ai choisi moi-même, suite à une soirée bien arrosée avec des amies. Je cherchais un nom d’artiste pour l’associer à mon prénom, et elles m’ont fait la blague du nom d’actrice porno (lié au film « Quand j’étais chanteur » de Xavier Giannoli). Vous connaissez ? Il faut associer son deuxième prénom et le nom de son premier animal de compagnie. Mon premier chien s’appelait Janus. Mais Ãnanda Janus ne sonnait pas terrible. Du coup, j’ai pris le nom du second. Et ça sonnait tellement bien que je l’ai gardé. (C’est une exclue, vous la gardez si vous voulez… Je ne raconte que très rarement cette histoire ! (rires)).

  • Quelle est ta formation ? Ton parcours ?

Après un parcours assez éclectique (travail autour du costume, la peinture, la photographie, l’illustration), une formation aux Beaux-Arts, où j’ai pratiqué l’art vidéo, puis quelques années d’enseignement, je suis aujourd’hui réalisatrice. C’est pour moi un aboutissement, car je n’arrivais pas à exprimer tous ces univers qui s’imposaient à moi avec des images fixes. La réalisation de fictions est donc venue à moi comme une évidence après des années de recherches personnelles. Le septième art était pour moi l’art ultime. Je l’estimais inaccessible. J’ai fini par m’écouter et me l’autoriser.

  • Tu as sorti en 2014 un très beau court métrage appelé « Red Dolman », avec Nicolas Ly (ex-Applause). Peux-tu nous en raconter la genèse ?

La genèse du film est forcément multiple. Le milieu musical m’a toujours intéressée. J’ai beaucoup travaillé avec des musiciens, pour des photos et l’illustration de pochettes d’album, par exemple. J’ai plusieurs amis très chers, musiciens aussi. Et lorsque j’ai exposé le projet de créer une fiction dans ce milieu du rock indé, à Martin du Peuty, mon coscénariste, il m’a immédiatement fait les gros yeux. Il a interviewé de nombreux grands artistes en radio comme Bashung. Lorsqu’il bossait dans la pub, il a notamment dirigé Mathieu Chedid en studio avant qu’il ne devienne M.
Martin a une grande culture musicale et ça le passionne. Et il m’a dit immédiatement « Ces mecs ont vécu quinze vies en une. Leurs existences en elles-mêmes sont des scénarios énormes. Ça va être compliqué… ». Mais nous avons relevé le défi. Nous nous sommes nourris de lectures de biographies et nous avons regardé beaucoup de docus : les Stones, Foo Fighters, Lemmy de Motörhead, Dig! et j’en passe…

Après, « Red Dolman » reste un court métrage, et je n’ai pas le temps de tout raconter en 17 minutes. Il a fallu faire de nombreux choix. Mais je voulais que ce soit véridique et actuel. Et ce qui m’intéressait avant tout, c’était de parler de l’origine de la création artistique. Liée au vécu, aux fissures.
Et puis tout cela a nourri les films à venir aussi. C’est une certitude.

  • Comment s’est opéré le choix du premier rôle et des autres acteurs ?

Lorsque je cherchais LE comédien pour interpréter le rôle principal, qui nécessitait d’être vraiment chanteur, d’avoir une expérience en tant que comédien et d’être bilingue, j’ai rapidement pensé à Nicolas Ly, rencontré à l’issue d’un concert il y a quelques années. Je suivais discrètement l’avancée d’Applause. Il m’en avait raconté ses débuts à l’anniversaire d’une amie que nous avons en commun. Je cherchais une personne qui portait beaucoup de choses sans avoir besoin de dire quoi que ce soit. Et je me souvenais de son aura, de son allure rock, mais aussi de son physique et de sa voix androgyne. Les trois ingrédients parfaits pour interpréter John (NDLR : le rôle principal). Il a reçu le scénario, et nous en avons un peu discuté. Notamment parce qu’un détail du film (que je ne dévoilerai pas ici) était trop proche d’une publicité pour Diesel qu’il venait de tourner. Il a fallu revoir ce point. Nico a été rapidement très enthousiaste et moteur dans ce projet. En sortant de séance où je lui avais fait passer les tests, j’ai pris le métro et les affiches de la pub Diesel étaient placardées sur les murs. J’y ai vu un signe très clair.

Pour les autres rôles, j’ai fait un casting plus classique. Pour le rôle de John, enfant, j’ai eu du mal à le trouver. J’ai écumé environ 200 candidatures. Pas une ne correspondait. Et puis, juste à la fin du casting, j’ai reçu le mail d’une maman avec des photos de son fils. Elle me racontait avoir subi une petite pression familiale pour envoyer le mail en question. J’ai ouvert les photos et j’ai su que c’était lui. Par chance, son caractère et sa maturité ont fait qu’il était parfait pour jouer ce rôle, et dans un film.

Les musiciens ont été, pour leur part, choisis par Vincent David (guitariste sur les tournées de Déportivo, Miossec, Pony Pony Run Run, et en remplacement aussi sur la dernière tournée de Joseph d’Anvers), le principal compositeur de la B.O. Les musiciens choisis étaient tous rennais, ils se connaissaient bien. Il les a choisis pour leur look, leurs instruments et la teinte musicale qu’il souhaitait donner au morceau. Vincent a fait un travail formidable sur ce projet.

  • Pourquoi tourner en région angevine et au Chabada d’Angers ?

La société de production, Kryzalid Films, qui m’a accompagnée sur ce projet, est basée à Angers et à Paris. Nous avons obtenu des subventions de la Région Pays de la Loire et il nous paraissait évident qu’il fallait tourner en région, avec une équipe majoritairement choisie sur place. Je cherchais un lieu qui pouvait accueillir plusieurs scènes du film. J’ai visité le VIP de Saint Nazaire, tenu par de vrais cinéphiles. Mais la distance était complexe à gérer avec les autres décors. Et puis j’ai visité le Chabada. Je suis tombée amoureuse des fauteuils rouges dans les loges. L’accueil a été chaleureux et très enthousiaste. Il s’en est suivi un vrai partenariat.
Parce que je suis complètement folle dans mes projets, et que les producteurs étaient assez fous pour me suivre, nous avons tourné un vrai concert, avec 200 figurants. Je ne cache pas qu’il y a eu de la logistique… et qu’il a été passionnant (et parfois difficile) de faire se côtoyer les mondes de la musique et celui du cinéma, qui ne se connaissent pas.

  • Combien de temps s’est-il déroulé entre l’écriture du scénario et la livraison du film ? Quelle étape t’a semblé la plus difficile ?

Il y a eu trois années entre les prémices d’écriture et la première diffusion du film. Pour 17 minutes, ça calme un peu. Le plus complexe a été l’aboutissement du premier montage qui n’était pas à la hauteur de mes espérances. Parce qu’un film est une succession de paramètres maîtrisés et non maîtrisables, il me manquait des éléments. Après un test sur une dizaine de personnes, l’univers s’annonçait réussi, mais l’histoire trop bancale. Il y a eu l’acceptation de ma part qu’une fois encore, ce film ne serait pas totalement fidèle à ce que j’avais en tête.
Je me suis immédiatement dit que l’expérience avait été belle, et qu’il fallait en créer un autre, pour aller plus loin, et être plus juste. Et puis, à ma plus grande surprise, mes producteurs m’ont proposé de tourner une séquence supplémentaire pour contrebalancer cette faille. J’ai immédiatement appelé Nico. Il m’a dit « Je suis là. Je te suis. Mais je me suis coupé les cheveux… » J’ai immédiatement appelé Martin. Il m’a dit « On s’y remet ! ». Nous sommes repartis en écriture, puis en tournage, puis en montage. Tout le film était devenu bancal. Il a fallu reprendre tout le montage. J’ai dû m’accrocher beaucoup, faire des choix complexes. Mais je ne regrette rien. L’énergie était neuve. Et j’avais gagné en expérience entre les deux tournages. Je connaissais mon équipe, mes comédiens. Cela a été une expérience fascinante.

Red Dolman tournage

  • Si c’était à refaire ?

Je ne changerais rien, mis à part deux courts passages. L’un où je me bouche les oreilles et l’autre où je tourne les yeux. Mais tout le reste, ça va. En général, j’ai du mal à apprécier mes films une fois réalisés, c’est pour dire. Ce court métrage a une belle vie. La diffusion d’un court métrage n’est pas simple et je suis ravie.

  • Quelle importance occupe la musique dans ta vie personnelle ? Dans ta carrière de cinéaste ?

La musique dans ma vie est primordiale. Totalement vitale. Elle me nourrit constamment et parfois (souvent) de manière obsessionnelle. Comme un môme qui regarde 150 fois le même film, je peux écouter 50 fois le même album. Comme pour l’apprivoiser, en saisir toutes ses subtilités. Puis, je passe à un autre. Et les anciens restent en moi. Je n’imagine pas créer un film sans une Bande Originale. Je n’imagine pas un de mes films sans musique. L’ambiance musicale s’écrit en même temps que les images et les histoires qui naissent dans mon esprit. Évidemment, elle est mouvante, et prend véritablement naissance lors de sa composition. Les compositeurs, je les choisis très en amont, en fonction de la tonalité que je souhaite donner à ma séquence. J’ai pas mal travaillé avec Sylvain Texier aussi (chanteur de The Last Morning Soundtrack et musicien de Fragments). J’adore ses univers musicaux. Il a d’ailleurs composé toute la B.O. de mon premier court métrage « Some Girls » et un morceau sur « Red Dolman ».

  • Affectionnes-tu en particulier les films et les clips musicaux ?  En as-tu des préférés ?

Gamine, j’ai été bercée par « Fame » (dois-je avoir honte ?). J’adorais « West Side Story », « Grease », « Les Demoiselles de Rochefort », « Peau d’âne », « Le magicien d’Oz » et d’autres films totalement inavouables comme « Cry Baby ». Mais aujourd’hui, il ne me viendrait pas à l’idée de créer un film de ce type-là. Je ne crois pas.
Par contre, j’adore le vidéoclip. C’est un format formidable que je souhaite vraiment développer et explorer. Je citerai ici le clip de Skrillex & Damian Marley, « Make it Bun Dem » que j’adore. Les clips de Sigur Rós, notamment tout le projet « Valtari » que j’avais trouvé démentiel. Plus particulièrement « Leaning towards Solace (Dauðalogn & Varúð) » créé pour Sigur Rós et réalisé par Floria Sigismondi. J’ai adoré l’introduction de John Malkovitch sur « Blouson Noir » d’Aaron aussi et leur clip « Onassis », avec une grande valeur spirituelle.

  • Quelle est ton actu ?

Mon court métrage « Red Dolman » continue sa route. Il sera notamment diffusé le 20 décembre au Joker’s Pub à Angers à l’occasion du Jour le plus court, week-end en France consacré aux courts-métrages.
Je viens de sortir le clip de 9 minutes « Tropic Ending » pour le groupe Joy Squander. Sans budget, nous avons mis un peu les mains dans le cambouis, et j’avais une toute petite équipe, mais ce projet était une vraie bouffée d’oxygène. Puis, je prépare la suite… deux courts métrages en écriture. Et un premier long, bercé dans l’univers de l’art underground et du rock. Évidemment !


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« Red Dolman » sera exceptionnellement diffusé le dimanche 20 décembre à 17h au Joker’s Pub à Angers, en présence de la réalisatrice dans le cadre du « Jour le plus court ».

Le Jour le plus Court 2015

Réservation obligatoire (nombre de places limité) sur le site du Joker’s Pub

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Nicolas Nithart

grand voyageur au cœur de la musique depuis plus de 20 ans