[Interview] Antoine Bourgougnon, patron d’Acouphonic

Acouphonic, c’est le nom donné par Antoine Bourgougnon, jeune Nantais de 27 ans, à son entreprise de réparation et de révisions d’appareils électroniques à lampes, destinée avant tout aux musiciens passionnés, sinon aux férus de musique électrique. Depuis trois ans, Acouphonic n’a eu de cesse de se diversifier, réalisant des pédales d’effets et des appareils de studio. Fasciné par les outillages datant des glorieuses années 60, passionné de bricolages et de montages électroniques, Antoine nous ouvre les portes de sa boutique afin de nous raconter l’histoire d’Acouphonic : de la naissance de sa passion à sa concrétisation.

  • Salut Antoine ! Peux-tu me présenter Acouphonic ? Quand as-tu créé cette activité et pourquoi ?

Salut Fred ! Le nom Acouphonic existe depuis presque dix ans. C’est devenu une entreprise et mon métier, par la même occasion, il y a un peu plus de trois ans. Tout a débuté alors que j’étais encore lycéen. J’ai commencé à jouer de la guitare, comme la plupart de mes amis, mais j’ai vite compris que ce qui me plaisait dans la musique, c’était plutôt sa mise en œuvre technique. J’ai eu la chance d’avoir un papa ingénieur en électronique, à qui j’ai pu poser toutes les questions, et même réaliser mon premier ampli à lampes sous ses directives. C’était une vieille radio Thomson-Ducretet, on avait bricolé deux-trois trucs pour pouvoir y brancher une guitare et un haut-parleur un peu plus conséquent que celui de la radio. C’est pas compliqué ; la mayonnaise a pris directement ! J’ai écumé les brocantes pendant plusieurs mois pour récupérer des vieux bouquins sur la réparation des radios à lampes. C’est étrange à dire, mais il y a à peine dix ans, il n’y avait pas grand-chose comme info sur Internet en ce qui concerne ce qu’est l’électronique à lampes. Bref, j’ai donc bouquiné comme un fou, tout en faisant des bricolages dans ma chambre. À l’époque, je faisais plus sauter le compteur chez mes parents que réparer ou construire des amplis…  A suivi une période où j’ai tout fait sauf de l’électronique. Mais tout a démarré il y a trois-quatre ans, en arrivant à Nantes, quand j’ai découvert qu’il y avait vraiment de la demande pour la réparation et la révision d’amplis. En dehors de réparer le matériel des copains, le bouche-à-oreille a fait le reste.

  • Pour quelles raisons as-tu choisi d’appeler ton atelier « Acouphonic » ?

C’est une bonne question. Ce nom m’est venu quand j’ai fabriqué le tout premier baffle pour ampli avec un ami à moi, dans l’atelier de mon père. J’ai eu envie de lui donner une « marque ». Je pourrais te dire que « acou » vient du grec ancien ἀκούω et veut dire « entendre », ou un tas de trucs comme ça ; mais, au final, je ne crois pas m’être creusé la tête pendant des heures, en tout cas pour le trouver. Reste que ça sonnait bien et que c’est toujours le cas, non ?

Ampli Hi-fi © Acouphonic
  • Je suis bien de cet avis ! As-tu suivi une formation avant d’exercer cette activité, ou es-tu autodidacte en la matière ? Pour le dire autrement, comment es-tu devenu spécialiste de l’assemblage de composants électroniques, destinés à la musique ?

Je n’ai suivi aucune formation, pour la simple et bonne raison que l’enseignement de l’électronique à lampes n’existe plus depuis la fin des années soixante. J’ai donc épluché des tas de bouquins pendant pas mal de temps avant de me sentir un peu plus à l’aise. Et j’ai eu la chance de rencontrer deux anciens radio-techniciens, qui avaient baigné dans la technologie des lampes, et qui ont pu m’aiguiller sur des ouvrages de référence. Ensuite, tout est question de pratique et de passion, je crois.

  • Travailles-tu seul au sein d’Acouphonic, ou es-tu assisté par des collègues ?

Je suis tout seul derrière l’établi, mais grâce à Internet, j’ai un collègue au bout du fil. Maxime, qui est à Poitiers, bosse souvent à la correction et à l’amélioration de mes schémas ; il a bien plus de connaissances sur la théorie électronique, de par ses formations et son métier actuel. Moi, je suis plus dans la pratique et la fabrication ; pour les derniers réglages, je fais appel à lui. D’ailleurs souvent, c’est marrant, je mets la touche finale à mes réalisations avec Maxime sur Messenger, à qui je communique des mesures, des photos… pour tout régler au poil !

Appareils de mesure
Appareils de mesure © Acouphonic
  • On peut lire sur ton site la phrase suivante : « Acouphonic est né avec l’ambition de respecter et de perpétuer le savoir-faire des constructeurs et « serviceman » d’autrefois. » L’artisanat, la passion du fait main, est au cœur de ton projet entrepreneurial. Tu défends également le « fabriqué en France », la longévité et la robustesse des produits. Au-delà d’être un gage de qualité et de confiance, qu’est-ce qui peut te démarquer des produits qu’un musicien peut trouver dans un magasin de musiques ?

Je pense que ce qui peut parler à un musicien, c’est ma démarche. Elle est vraiment différente ; je cherche à faire du bon et beau boulot, sans que ça coûte un bras, car j’ai moi aussi été un « musicien » sans le sou, à rêver devant des amplis et des pédales de folie. Du coup, je sais ce que c’est. Je pense aussi que l’image d’Acouphonic plaît vraiment. Franchement, dans le milieu du matos de musique, tu as des trucs qui n’ont pas de gueule, pas d’identité, ou alors des trucs un peu craignos… Bon, après, les goûts et les couleurs, ça ne se discute pas ; mais il y a vraiment des choses qui ne donnent pas envie. Je pense qu’en plus du son, un musicien veut quelque chose qui lui plaît. C’est ce que j’essaie de proposer. Je développe mes produits en pensant autant à l’esthétique qu’à l’électronique.

  • L’atelier Acouphonic est installé à Nantes ; ta clientèle est en partie locale, mais pas seulement. Es-tu à même de dresser un portrait du client type ? À quels usages et à quel public tes produits répondent-ils d’abord ?

Mon client type, ça va du lycéen qui débute avec sa première guitare au musicien professionnel qui est tout le temps en tournée au bout du monde, en passant par la petite mamie qui veut refaire fonctionner le poste sur lequel elle écoutait Radio Londres en 1943 avec ses parents. Une histoire vraie !

  • Acouphonic a plusieurs domaines de compétences : la réparation et la révision (amplificateurs à lampes…) et la fabrication (amplificateurs, pédales d’effets, appareils de studio…). Tu proposes même de la réalisation de produits sur mesure. Le « sur mesure », ça représente quelle part de tes demandes ?

C’est vraiment un truc qui plaît aux gens : pouvoir se faire faire du matériel, à son image, ou qu’on ne trouve nulle par ailleurs. Ça ne représente pas la majorité de mon travail ; ça reste cher. C’est comme se faire fabriquer une guitare par un luthier : il y a une partie développement et conception qui prend du temps avant de passer à la fabrication, donc pas mal d’heures à facturer ! Mais bon, j’adore répondre à ce genre de demande ; c’est un travail qui exige beaucoup d’échanges et qui, au final, donne toujours un résultat unique.

Circuit © Acouphonic
Circuit © Acouphonic
  • Sur ton site, j’ai également pu lire : « Nous mettons tout en œuvre pour respecter les normes militaires dédiées aux appareils électroniques des années 40 aux années 60 ». On devine assez facilement une admiration chez toi des produits d’époque ou vintage. Il y a des machines qui te font rêver ou, mieux, que tu possèdes ?

Il y a un peu plus de deux ans, je suis tombé dans la marmite. J’avais besoin d’acheter du matériel de mesure, et j’en avais marre d’avoir des chinoiseries qui tombaient en panne. J’ai donc commencé à acheter des appareils de mesure anciens, des générateurs de signaux, des oscilloscopes, des voltmètres, etc. Bref, c’est même devenu mon loisir à part ; fouiner sur Internet pour trouver d’anciens appareils, les restaurer et les utiliser dans mon travail. J’ai même mes marques fétiches : Metrix, Tektronix, Ferisol… des noms qui fleurent bon la gloire industrielle des années 60. J’ai fini par accumuler tout ce qui se fait dans mon domaine d’utilisation (le domaine B.F., ou basse fréquence) de chez Metrix, une marque française qui existe toujours à Annecy. Et, pour l’anecdote, j’ai tellement de matos ancien de chez eux que l’un de leurs employés m’a contacté pour me dire que les anciens, à l’usine, étaient comme des fous devant mes photos et très fiers de voir quelqu’un travailler avec leurs réalisations. Je peux te dire que ça fait chaud au cœur, ce genre de message ! Du coup, ça devient un musée dans un coin de l’atelier ; un musée vivant, par contre, car je tiens à tout maintenir en état de fonctionnement. La machine dont je rêve ? Un oscilloscope Tektronix 555 avec tous ses tiroirs de plug-ins ! Mais, j’ai déjà un 585, c’est déjà pas mal et je ne suis pas sûr que ma copine soit bouillante pour installer l’engin dans le salon, car c’est une sacrée bestiole ; l’oscilloscope, hein. (rires)

Lampemètre Metrix U61C © Acouphonic
Lampemètre Metrix U61C © Acouphonic
  • Sur YouTube, après avoir regardé ta vidéo de présentation, très didactique, qui présente deux de tes pédales d’effets, j’ai pu lire un commentaire très flatteur du groupe blues garage nancéien Hoboken Division qui parle de la Sable, une pédale d’overdrive, comme la meilleure de sa catégorie. Qu’est-ce qui, selon toi, participe à l’excellente renommée de tes produits ? La qualité des composants, l’originalité des rendus… ?

Je ne cherche pas à réinventer des effets qui sont des légendes. Au contraire, j’essaie de revenir à l’origine au maximum, tout en actualisant les composants devenus vraiment obsolètes. Je fais dans le classique, mais peut être plus tranchant et plus fiable que les autres, ; en tout cas, je l’espère. Pour la Fuzz d’Arthur de J.C Satàn, il m’a dit : « Je veux un truc violent et tranchant sans réglage. » Au final, on a quand même ajouté un volume pour éviter de faire sauter son ampli, mais je suis resté sur un schéma de fuzz très classique, mais réglé à ses limites, avec les composants adéquats.

Sable et Mercure - Étienne Motais de Narbonne pour Acouphonic
Sable et Mercure © Étienne Motais de Narbonne pour Acouphonic
  • Parmi les groupes qui utilisent tes produits : on trouve donc les Bordelais de J.C.Satàn, pour qui tu as créé la Satàn Fuzz, mais également les Nantais de Blondi’s Salvation ou encore Christian Bland des Black Angels. Peut-on dire que les groupes, et plus particulièrement les groupes liés au mouvement psychédélique, sont tes meilleurs ambassadeurs ?

C’est évident. Tout a commencé grâce aux Blondi’s Salvation. D’ailleurs, j’ai habité en collocation plusieurs années avec eux : ce sont mes testeurs attitrés, pas mal de mes réalisations viennent de leurs demandes. On a passé des nuits entières avec Julien et Manuel à parler de « matos », comme on aime dire, et à imaginer des effets, des amplis et surtout du matériel pour Julien, qui tourne d’ailleurs maintenant dans leur studio Kastelandro ouvert cet hiver à Nantes. Après, c’est une suite logique : les musiciens que je connaissais, j’ai pu leur proposer du matériel, pour leur plaisir et pour me faire une vitrine, bien sûr. Arthur de Satàn, je lui répare ses amplis quand il passe à Nantes contre des tatouages et pour la réalisation de la Satàn Fuzz ; c’est donc venu naturellement. Et enfin, oui, je suis hyper fier que des mecs comme Christian Bland, ou Danny des Night Beats, jouent avec des pédales Acouphonic ! D’ailleurs, je devais bosser sur une pédale Night Beats, ils avaient pu passer à l’atelier et on avait bien discuté autour de quelques bières, un été. Mais le départ du bassiste a un peu noyé le projet.

  • Acouphonic est également très présent sur les réseaux sociaux : Facebook, Twitter et surtout Instagram, sur lequel tu réunis près de 3000 abonnés. Comment utilises-tu les médias sociaux pour faire connaître ton métier ? Arrives-tu à consacrer du temps à cette activité numérique ?

J’utilise les réseaux sociaux à fond ; c’est vraiment important d’avoir une grosse portée maintenant, surtout pour un petit artisan français. C’est donc une priorité pour Acouphonic, d’être bien présent en ligne : c’est une sorte de bouche à oreille numérique. Je pense que le boulot que je fais est assez esthétique et reste très manuel et artisanal ; et, du coup, ça marche bien au niveau photos. Au bout d’un moment, un circuit électronique ancien, c’est un peu comme une œuvre d’art. Il suffit d’aller lire les commentaires sur Instagram : on verse facilement dans la pornographie devant un voltmètre !

Établi © Acouphonic
Établi © Acouphonic
  • Peux-tu me rendre un petit service ? J’aimerais bien que tu me fasses une petite mise à niveau sur les termes techniques liés aux pédales d’effets. Le fuzz, l’overdrive, le delay, c’est quoi ?

On pourrait mettre l’overdrive et la fuzz un peu dans le même panier : c’est un principe d’altération du signal. En gros, dans l’overdrive, tu viens le faire saturer, comme quand tu pousses un ampli bien fort, c’est quelque chose d’agréable, de plutôt chaud ; on essaye de garder un aspect naturel dans le son d’un overdrive. Pour la fuzz, on va encore au-delà pour obtenir un son particulier. Celui de la fuzz, si tu branches un oscilloscope dessus, tu verras ton signal qui est devenu clairement carré. Mais il faut entendre ce son pour le comprendre ; file donc écouter du Hendrix pour savoir ce que c’est qu’une fuzz ! Le delay, c’est différent, on vient créer un écho factice. En gros, tu viens enregistrer le son pour le lire ensuite à l’infini, à une vitesse que tu peux définir, et avec un taux de répétition variable. Avant, on obtenait le delay grâce à des bandes magnétiques qui tournaient en boucle, par exemple. Maintenant, c’est un petit composant qui fait le boulot. Cet effet est d’ailleurs très ancien puisque déjà utilisé dans la musique concrète par des gens comme Pierre Schaeffer dans « Étude noire », par exemple, en 1948.

  • Enfin, si Acouphonic était un slogan, ça serait plutôt « Ad vitam aeternam » ou « A brand new vintage touch » ?

Ad vitam aeternam, bien sûr !


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Fred Lombard

Fred Lombard

rédacteur en chef curieux et passionné par les musiques actuelles et éclectiques