[Flash #22] You Said Strange, Louise Roam, Aloha Orchestra, Hyphen Hyphen et Grand Yellow

Focus sur les cinq sorties qui ne nous ont pas échappé ces dernières semaines avec une sélection 100% made in France entre psychédélisme vaillant, electronica stellaire et électro pop polymorphe.

You Said Strange – Salvation Prayer

8 juin 2018 (Fuzz Club)

Au royaume du rock psychédélique, You Said Strange ne fait pas pâle figure face aux ténors américains et anglo-saxons. Depuis 2012, le quatuor de Giverny façonne avec application son identité mystique, tendant naturellement vers un psychédélisme incantatoire sinon divinatoire. Transcendé par des chants hypnotiques et collégiaux, des guitares fuzz aux inspirations orientales et des rythmiques habitées, il livre aujourd’hui sa première croisade avec « Salvation Prayer ». Si l’on peut aujourd’hui considérer You Said Strange comme le jeune héritier français du Brian Jonestown Massacre (et on soutient la comparaison), c’est pourtant chez ses frères ennemis, dans les studios de Peter Holmström des Dandy Warhols à Portland, que nos rockeurs normands sont partis enregistrer ce premier album fera date. Cet album à la production léchée et intemporelle évoque ainsi pêle-mêle le shoegaze biblique de Spacemen 3, la flower pop sixties des Black Market Karma et le rock alternatif suintant de BRMC. You Said Strange prêche onze titres avec une ferveur totale, à mi-chemin entre le culte et la libération des âmes. Et s’il s’interdit de chanter en latin, nul doute que les connaisseurs avertis seront nombreux à succomber au charme universel de cette divine production psychédélique.


Louise Roam – Stargaze

25 mai 2018 (autoproduction)

Nous avions quitté Louise Roam fin 2015 avec « Avaton », un second EP pop electronica personnel et introspectif. Quelques longs mois plus tard, nous la retrouvions sur scène au Divan du Monde, le cœur moins lourd, dans le cadre du MaMA. Elle nous y dévoilait de nouvelles compositions percées de lumière, dans la veine solaire de son complice SayCet, et plus inédit encore, quelques raretés, pour la première fois, entonnées en français. D’abord attendu pour 2017, c’est finalement en 2018 qu’Aurélie Mestres revient avec sa nouvelle promesse d’une rare élégance, qui caresse les étoiles et ses rêves. « Stargaze » est cet EP attendu, majestueux de fragilité et de féminité, incarné d’abord avec son titre d’ouverture et éponyme. Une immersion stellaire et filante, une odyssée magnifique défiant le temps : quatre minutes trente qui nous en paraissent deux fois moins. Avec « Stargaze », on fait l’expérience du beau, du grand, du temps qui se fige et se déforme, du surnaturel. En pleine possession d’un univers vaste et tendre, propice aux voyages et aux échanges d’expérience, Louise Roam insuffle de la tendresse, de la passion, de la poésie et de la grâce dans ce nouveau chapitre méritoire. Œuvre de la réconciliation et de la réparation, le paradis diffus de « Vera Rubin’s Journey », l’exil volontaire de « The March » et la contemplation de « Ciel d’Ouest » sont ces chapitres passionnants qui nous mènent à la « Mer noire », implacable démonstration de son aisance à transposer ses émotions partagées dans sa langue maternelle. En conclusion surprise – car cachée -, Aurélie reprend alors en piano-voix son titre phare, « Stargaze », désarmant de puissance et de fragilité. On nous pouvait espérer plus belle fin à ce renouveau.


Aloha Orchestra – Leaving

20 avril 2018 (HRCLS Records)

Cinq ans après ses débuts, mûri au contact de la scène et des expériences studio, Aloha Orchestra dévoile un premier album ambitieux, élégant et très moderne, qui flirte avec passion avec un revival eighties. Le premier contact avec « Leaving » passe par sa fascinante pochette, oeuvre de la talentueuse Léa Chassagne présentant un néo Adam & Ève dans un monde cubique rappelant l’œuvre multidimensionnelle du regretté Storm Thorgerson. Une œuvre synthétique d’abord lumineuse et conquérante, à l’instar de l’entêtant et sans complexe « Alright », de l’énergique « I Sway », de l’entraînant « Come On » ou du presque paisible « Aeroplane ». Mais parfois, empreinte d’une saisissante noirceur sur l’envoûtant et enveloppant « On The Floor » ou sur l’errance électro pop de « Alone ». Produit par LES MAN aka Florent Livet et Pavle Kovacevic, déjà à l’œuvre aux côtés de nos favoris Yalta Club et SiAu, le premier album d’Aloha Orchestra dépasse les frontières simples de la pop pour s’engouffrer, s’immiscer et se donner à corps perdu dans le chaos des musiques électroniques. Une réussite surprenante.


Hyphen Hyphen – HH

25 mai 2018 (Parlophone)

En affirmant pleinement son identité pop sur son premier album « Times » et son tube « Just Need Your Love », Hyphen Hyphen se faisait en 2015 une place au soleil niçois auprès du grand public français. Porté par ce succès retentissant et sa fougue communicative sur scène, le trio aujourd’hui parisien débarquait, remonté, sur les plateaux TV en début d’année avec un premier single fort « Like Boys », où la furie Santa s’insurgeait contre le harcèlement fait aux femmes. Entièrement produite par leurs mains jusqu’à la pochette, leur seconde salve « HH », pop et électronique, présente un Hyphen Hyphen urbain et dans l’air du temps. Un disque moderne donc, nourri d’influences outre-Atlantique (l’influence des productions de The Weeknd sur l’enflammé « Mama Sorry » ou le groovy « Last Call » n’échappera à personne), toujours dynamisé par le chant conquérant et emblématique de sa frontwoman. Ouvrant son répertoire aux vapeurs d’une pop hybride sur « KND » comme à la house sur le sensationnel « Be High With Me », la seconde percée du clan Hyphen Hyphen s’impose finalement sur l’emblématique acte d’unisson de « Young Leaders ». On fera, par contre, l’impasse sur le RnB très dispensable de « Kiss You », étrange cri d’amour pour les Destiny Child.


Grand Yellow – La Piscine

25 mai 2018 (Dify Records)

Un an plus tôt, le duo nantais Grand Yellow dévoilait « On My Way », EP et surtout un titre pop électronique sensitif et vertigineux, accompagné d’un clip fabuleux façonné par le collectif créatif Akatre. Après le court format, Clémence Pied et Nicolas Berrivin posent les serviettes en bordure du grand bassin de « La Piscine », quatorze plongées sans tuba ni longueur, en eaux claires et effervescentes. Indécis entre le français et l’anglais, le couple chorégraphie sa nage, parfois à contre-courant, entre les deux langues déliées. Quatorze titres, c’est presque l’embarrassas du choix sur ce disque au goût du risque mélodique et aphonique. Les frissons de « L’oubli », les vertiges de « York », la perdition de « La nuit », le désir de « If You (Really) Want It » ; chaque titre devient une des pièces du mystère Grand Yellow. Un puzzle qui, une fois reconstitué, nous évoque l’univers d’une certaine Émilie Simon, incarnation d’une vision électronique française qui rêve du grand large. Mention spéciale à « Sophrologie », collaboration perchée et audacieuse entre la narration nonchalante de Nicolas Rey et l’électronique hypnotique du duo nantais.

Fred Lombard

Fred Lombard

rédacteur en chef curieux et passionné par les musiques actuelles et éclectiques