[Interview] Yellow

Alors que le nouveau clip vous sera présenté en exclusivité demain midi ici même, voici la meilleure façon de (re)découvrir Yellow, projet aussi attachant qu’ouvert d’esprit et sincère, grâce à cet entretien réalisé il y a quelque temps maintenant, mais qui nous a permis de faire deux rencontres que nous ne sommes pas prêts d’oublier : Ben et Véro, artistes qui se sont trouvés de manière rare et complémentaire, afin de faire grandir ce que l’on peut considérer comme un duo inévitable et nécessaire dans notre quotidien. Discuter avec eux, de même que lire leurs échanges, est une expérience exceptionnelle et enrichissante ; sans plus attendre, découvrez Yellow, ses origines, son évolution, ses passions… et son engagement à la fois exemplaire et communicatif.

  • Depuis quand existe le projet Yellow ?

Ben : Mes premières petites chansons, que j’ai écrites dans mon salon, datent de 2008. Mais le projet a vraiment changé de cap depuis l’arrivée de Miss Véro, en 2013. Il y a de grosses étapes à peu près tous les deux ans, et c’est d’ailleurs, en termes de tournées, la seconde bonne année que l’on fait.

  • Ton premier EP est sorti en 2010, puis le second, « Ma petite vie », il y a deux ans. Donc toi, Véro, tu n’étais pas encore arrivée en 2010 ?

Véro : Non, mais c’est grâce à ce projet que j’ai remarqué ce que Ben faisait dans une émission télé musicale locale qu’il a faite. Et comme, à l’époque, je travaillais avec des mecs qui s’occupaient du montage de cette émission, je l’ai rencontré et dit que j’appréciais beaucoup ce qu’il faisait et, de fil en aiguille, je lui ai proposé une scène en commun, assez rapidement.

  • C’est donc vraiment à ce moment-là que le projet à deux est né ?

Véro : Oui, la rencontre s’est faite fin 2012. Après, notre première scène ensemble a eu lieu très exactement le 13 mai 2013 !

  • Et comment se fait-il que tu te souviennes très exactement de cette date ?

Ben : Parce que c’est une femme ! (rires)

Véro : Mais oui ! (rires) Tout simplement parce qu’il y a eu des événements dans ma vie à cette période-là et à ce moment précis, et que le 13 mai est une date qui est déjà marquée en moi. C’est toujours plus facile quand il s’agit d’une date importante et qui a déjà sa place en toi. Il s’est passé pas mal de choses pour moi, dans ma vie, en 2013 ; c’est donc pour ça que je m’en souviens.

  • Et où a eu lieu ce concert ? J’ai pu voir sur le Net que vous aviez joué dans des lieux assez atypiques : des salles normales, des églises, mais également des Lavomatic !

Ben : Pour le Lavomatic, c’était avant ma rencontre avec Véro.

Véro : Oui, mais pour tout te dire, l’idée me plaisait beaucoup, donc je suis allée vers lui en espérant qu’il m’emmènerait dans un Lavomatic !

  • Et il ne l’a pas fait ? Mais c’est scandaleux !

Véro : Oui, mais il m’a emmenée dans plein d’autres endroits !

Ben : C’est surtout qu’avec mon petit sac à dos et mes CDs gravés, bien avant l’EP, c’était vraiment les prémisses de l’aventure. Je me baladais dans Toulouse en démarchant les bars. Je pense que le top départ vient de là. C’était un peu chiant, parce que soit on ne te répondait pas tout de suite, soit on ne te répondait pas du tout. Et, un jour, je passe devant une laverie automatique assez grande, Place de la Bourse à Toulouse. Mes yeux s’arrêtent dessus et je me dis « Putain, c’est quand même grand, pour une laverie ! Ce serait pas mal, un petit concert là-dedans ! » Je voyais trois ou quatre gars qui se faisaient chier en attendant que leur lessive soit finie. Je rentre donc à la maison, le soir, et j’en parle à ma compagne, qui ne me prend pas trop au sérieux. Puis, j’en parle aussi à un de mes meilleurs potes, qui est photographe, et qui me dit « Mais ouais, je suis super partant, donc on le fait ! » L’idée était de commencer à faire un peu de bruit à Toulouse ; avec un peu de maladresse, peut-être, mais ça a marché. Les médias ont suivi et on s’est un peu laissés débordés par les événements, ça a cartonné. Il y a eu ensuite trois autres éditions, L’idée était d’amener la musique là où on ne l’attend pas ; il y avait un petit côté militant, mais surtout un autre super fun. Et ça ne demandait pas beaucoup d’organisation : il suffisait de se pointer, c’est tout. Et la laverie automatique, c’est le prolongement du trottoir ; c’est un peu de la rue. Quand on a commencé, il y avait douze personnes en tout, et à la fin, environ cent cinquante, avec plus de gens dehors que dedans !

  • C’est comme ça que, si tu me permets d’utiliser cette expression, Yellow a commencé à faire le « buzz » ?

Ben : Tout à fait ! Et, pour moi aussi, c’est le moment où je me suis dit « Putain, ça me plaît, c’est ce que je veux faire, c’est vraiment intéressant. » Ça donne la possibilité de proposer quelque chose aux gens, de leur permettre de s’arrêter de leur quotidien pendant une petite heure, de leur train-train, de leurs problèmes. Tu vois, tout s’est fait dans un bonne esprit, dans une ambiance bon enfant ; et c’était une coupure également, dans leurs têtes. Sans oublier que beaucoup de curieux venaient voir ce qui se passait, et éveiller la curiosité des gens est une sacrée chance.

  • Tu as donc vécu une période pendant laquelle tu t’es cherché, artistiquement parlant, puis tu as rencontré Véro et l’EP, « Ma petite vie », qui arrive au bout d’un bilan d’environ sept ou huit ans ; c’est bien ça ?

Ben : Je dirais plutôt cinq ans, en fait.

  • Et penses-tu qu’il puisse s’agir, sans que cela sonne comme un cliché, d’un disque-bilan, du fait de tout ce que tu as traversé ?

Ben : Non, je ne crois pas. Je ne le vis pas de cette manière-là. Je le vis comme une seconde étape, une seconde marche. Avant l’arrivée de cet EP, et juste après celle de Miss Véro, il y a quand même eu le bookeur et l’éditeur qui sont, eux aussi, entrés dans la démarche. Toute une équipe à commencé à se créer autour de moi. Je considère que je suis trop jeune pour parler de bilan, surtout que je prépare actuellement d’autres choses.

  • C’est un instantané, peut-être ?

Ben : C’est un moment. Il a été fait par instinct, au cœur d’une période de vie, de rencontres, et de travail, pendant laquelle les choses ont évolué et ont gagné en maturité, et continuent toujours à le faire aujourd’hui. Mais, personnellement, je ne me considère pas mature du tout.

  • Pourquoi ?

Ben : Je pense que ta musique et ton art sont comme une vie humaine : ça grandit et ça change avec le temps. C’est peut-être ce qui est un peu compliqué. Mais, pour revenir à ta question, c’est une étape en plus, tout simplement.

  • Dans la chanson « Ma petite vie », tu utilises des termes anglais pour la définir ; pourquoi ce choix ?

Véro et Ben : Bonne question !

Ben : Et tout le sens de la chanson est dans cette question ! En 2013, j’ai rencontré un éditeur qui bossait chez Universal Music Publishing, qui avait entendu parler de moi et qui voulait me rencontrer. On s’était déjà vus plusieurs fois et c’est une rencontre qui m’a beaucoup aidé, même s’il ne s’est finalement jamais rien passé. Je chantais beaucoup en anglais, à l’époque, et il m’a dit « Tu as un pur univers, une pure image, mais en anglais ; et ce qui m’intéresse chez toi, c’est en français ! » Or, c’était la grande époque de Cocoon, qui chantait en anglais, de même que d’autres projets qui venaient d’être signés. On a donc beaucoup discuté autour de la question de la langue. De ce fait, « Ma petite vie » est une réponse à toutes ces questions : je voulais faire un titre en français, mais avec des mots anglais qui soient compréhensibles, même pour les personnes qui ne parlent pas anglais. C’est vraiment une réponse à cette discussion. Je trouvais ça rigolo, puis j’ai découvert que Léo Ferré l’avait fait plusieurs années auparavant, et encore plus finement sur tous ces anglicismes.

  • Tant que nous parlons de « Ma petite vie », je suis allé réviser mes fiches Wikipedia, et voici ce que j’ai découvert : « La Triumph TR6 a été construite à 95 000 exemplaires entre 1969 et 1976. » D’où ma question suivante : comment as-tu réussi à trouver, pour le clip, cette voiture, et en plus en état de marche ?

Ben : L’idée vient de mon pote Renaud, qui a fait tout le graphisme de Yellow, le logo, etc., et qui continue à travailler avec moi. C’est vraiment lui qui donne le ton de l’image, aujourd’hui : il est réalisateur, il a une boîte de production qui s’appelle One Liners. Il a un réseau assez important, et un de ses amis, un boulanger qui habite à Lille, venait juste de s’acheter cette voiture. On cherchait justement une vieille voiture, et c’est un vrai coup de bol de l’avoir trouvée de cette façon. En plus, le mec a été cool parce qu’il nous l’a prêtée pour toute la journée ! Après, sur l’autoroute, il ne faut pas compter aller plus vite que 90 km/h…

  • C’est pour ça que vous êtes restés sur des routes de campagne, si j’ai bien suivi ?

Ben : Oui, pour être un peu plus peinards ! Après, le truc, c’est que je n’y connais absolument rien en bagnoles ; mais le mec nous l’a prêtée très gentiment et gracieusement,. On est partis tourner en Belgique et on est revenus le soir même.

  • Toujours à propos de « Ma petite vie », et comme l’intéressée est parmi nous, pouvez-vous m’expliquer cette histoires des « shortys de Miss Véro ? Sachant que, si j’ai bien remarqué, le shorty est aussi sur la pochette du disque…

Ben : Putain, tu es le premier qui se fait autant chier à regarder les détails de la pochette !!! (rires) Pour t’expliquer l’histoire derrière tout ça, c’est que, lorsque j’étais en train d’écrire le titre, je suis entré dans la phase pendant laquelle je finalise le texte, je la maquette à la maison au banjo et avec mes petits arrangements faits maison, puis je soumets le résultat à Véro, même si elle connaissait déjà la chanson ; mais elle m’avait demandé de lui envoyer le texte, puisqu’elle chante avec moi dessus. Et, pour déconner, j’ai changé une partie du texte pour lui faire une petite blague ; à la place de ces deux vers, j’avais écrit quelque chose avec « Johnny » dedans, et c’est devenu « Miss Véro et ses shortys ». J’ai alors glissé ça dans le texte pour la faire rigoler, et on a fini par garder l’idée, tout simplement parce que c’est un petit clin d’œil discret et qui permet de la mettre en avant sur scène. C’est une connivence entre nous, mais qui a son importance quand on joue ensemble.

  • Et est-ce que ces shortys ont une histoire ?

Véro : C’est vrai que ça m’arrive souvent d’être en short sur scène. Dès qu’il commence à faire beau, c’est une tenue que j’aime bien, et c’est assez vrai que j’en ai plein de différentes couleurs !

  • Et c’est l’un des tiens qu’on voit sur la pochette du disque ?

Véro : Malheureusement, non ! J’en avais passé un à Ben qui était tout noir, mais dont on ne voyait pas les détails. Mais j’en ai un identique et c’est tout-à-fait mon style !

Ben : De plus, comme Véro n’est pas sur la jaquette, il fallait qu’il y ait ce clin d’œil, comme pour la chanson ; qu’elle soit là sans être là, mais que ça pose question. C’est Renaud qui en a eu l’idée, et quand on était à Toulouse, on a tout préparé et on lui a envoyé les photos. On voulait que les gens s’arrêtent dessus, qu’ils regardent le bazar qu’elle présentait. Et, forcément, elle contient plein de petites choses de mon histoire et, comme Véro en fait partie, je trouvais normal que ce soit intégré dans le montage visuel. L’EP s’appelant « Ma petite vie », il y a bien évidemment cette référence à tout, et à elle, bien sûr.

  • Justement, en parlant de la jaquette, pourrais-tu la considérer comme un kit « Montez votre Yellow chez vous, avec ses accessoires ! » ?

Ben : C’est un peu la même idée que celle de toutes ces petites figurines que tu achètes dans le commerce, genre Star Wars, avec le personnage seul et, à côté, le fusil, l’épée et les accessoires. On a voulu faire exactement la même chose, sachant que ce qui apparaissait sur la photo, à l’époque, se retrouvait sur scène. Si ce n’était pas sur scène, ça m’accompagnait pendant mes voyages, et sinon, ce sont des objets qui sont liés à mon histoire musicale. Par exemple, il y a un petit quatre pistes à cassettes, sur lequel j’ai commencé à faire mes maquettes il y a longtemps maintenant. Mais tout ce qui sur la photo est sur scène. C’est le kit Yellow.

  • Une chanson qui vous concerne tous les deux : « De la tendresse ». Vous la chantez ensemble et toi, Véro, tu apparais également dans le clip.

Ben : Oui, et c’est une chanson qu’on a co-écrite ensemble.

  • Pour moi, cette chanson représente une espèce de bras d’honneur à la bienséance, à l’image que l’on veut faire de chacun mais qu’il est possible d’exister par soi-même, malgré ça. Comment l’avez-vous écrite et envisagée, musicalement, au niveau du texte et lorsqu’il a fallu monter les images, notamment politiques, du clip ?

Ben : Le point de départ de cette chanson, c’était dans mon ancien appartement, sous la douche !

Véro : Je tiens à préciser que je n’y étais pas ; que ce soit clair ! (rires)

Ben : L’inspiration est venue en regardant les infos, ce dont je parle un peu, notamment BFMTV, et plus précisément une interview de Jean-François Copé, que je n’aime pas du tout, comme personnage. Après avoir vu ces infos avec lui dedans, j’ai eu le sentiment qu’il était quand même fou qu’on puisse se foutre autant de notre gueule, au grand jour, en l’exprimant clairement. Alors que seconde lecture de leur discours est clairement très évidente, souvent. C’est ce que raconte le texte : « J’en peux plus, de vos conneries ! Arrêtez de vous foutre de notre gueule ! » Après, c’était un peu risqué en termes de fond, car ça posait la question de la place de l’artiste dans la politique : faut-il vraiment en parler ? Faut-il se prononcer ? Faut-il prendre parti ? Mais, dans mon cas, il s’agissait plus d’une atmosphère ambiante, d’une sensation. Après, avec le gouvernement Hollande et les élections présidentielles qu’il y a eues, j’avais besoin d’un coup de gueule qui signifiait « Arrêtez de nous prendre pour des blaireaux ! On arrive encore à réfléchir par nous-mêmes ! » Je n’en peux plus, de tout ça ; même si je sais que tous ces gens-là, on est quand même obligés de se les taper. J’ai donc proposé l’idée à Véro, puis on a commencé à composer à la guitare, à poser des idées dessus. Chacun apportait une idée au niveau du texte, on avait un truc pour la mélodie. Puis, on a pris les instruments chez moi et on a fait tourner la chanson jusqu’à arriver à ce résultat. À la base, la chanson était au banjo ; mais, sur scène, on l’interprète à la guitare, pour avoir plus de puissance. Je voulais rester très folk dans l’esthétique, et Véro était, elle aussi, très sensible à cet aspect. Dans l’idéal, on aurait aimé l’enregistrer avec une fanfare, genre Nouvelle-Orléans, avec un filtre très léger, très populaire.

  • D’où les kazoos pour remplacer la fanfare ?

Ben : Oui, c’est la raison pour laquelle on les a utilisés. Il avait aussi ce petit côté idéaliste de faire un hymne, un gimmick que tu puisses entendre dans des manifs. Ça aurait été un bon titre pour ce genre d’événements, au milieu de la CGT et de toute le monde…

Véro : C’est vrai aussi que le texte, quand on l’a écrit, était aussi une manière de faire un pied de nez à ce qu’on entend souvent, à savoir, que le Français est râleur ; ce qui n’est pas faux, bien sûr. Mais c’est clair qu’on y a mis tout ce qui pouvait nous énerver, ou nous faire réagir : quand on a posé les sirènes, il en passait plein à ce moment-là. On était à fond dans la musique et il y avait des flics et des sirènes qui passaient à fond, et ça nous a gavés ! Pour le refrain, « De la tendresse, si on en veux, pourquoi se taire si on en veut ? », ça signifie qu’on râle, mais que c’est simplement parce qu’on veut de l’amour, de la tendresse et une vie peinarde ; et que les gens arrêtent de nous mettre des bâtons dans les roues. C’est comme ça que ça s’est passé pendant le processus d’écriture. Après, on l’a faite pendant des mois, voire des années, sur scène, et elle a quand même un côté festif. De ce fait, elle faisait du bien aux gens. Dans ce dernier clip, d’un seul coup, ça remettait en place la valeur des mots qu’on avait utilisés au départ pour parler de la violence politique et du message qu’on avait envie de donner. C’est peut-être un élément qu’on avait oublié, et auquel on a redonné son importance.

  • Ça reprenait une dimension politique par rapport aux circonstances actuelles, c’est bien ça ?

Véro : Je sais que, quand le clip a été et quand je l’ai vu pour la première fois, je me suis dit « On retrouve le texte comme il était pensé et écrit au départ. »

Ben : En plus, dans le clip, en termes de militantisme, on ne peut pas dire qu’il y en ait tant que ça, parce que tout le monde y passe ! À part qu’il a été réalisé à un moment où Macron n’avait pas encore explosé, mais sinon, sur les images, ils y sont tous. Les têtes d’affiches politiques y apparaissent, et c’est quelque chose que j’ai bien précisé au réalisateur : « Je les veux tous, et qu’ils soient au même niveau. » Mais bizarrement, et de manière très personnelle, aujourd’hui, elle ne résonne plus de la même façon, pour moi.

  • Et de quelle manière résonne-t-elle pour toi, maintenant ?

Ben : Pour moi, les dernières élections m’ont fait prendre conscience que ça y était, que ça avait été dit et qu’il fallait passer à autre chose. Elle n’a plu la même saveur que pendant la période Hollande ; par exemple, « Les jours de pluie, je n’en veux plus », ça fait bien référence à toutes les saucées qu’il a pu se prendre !

Véro : De mon côté, elle fait partie de ces chansons qui, comme celles de Léo Ferré ou d’artistes comme lui, sont malheureusement intemporelles. Tout ce qui y est dit marchera toujours pendant des années et des années.

  • Mais c’est une bonne chose de revendiquer de telles idées d’une telle manière ; c’est un patrimoine, mais qu’on ne s’attend pas, de nos jours, à retrouver dans des chansons françaises, à textes. C’est donc une belle manière de prendre le relais.

Ben : Justement, elle est quand même inscrite dans la culture folk, ce que je revendique : un peu dans le même esprit que les protest songs des années 70, quand Joan Baez voit son mari finir en taule et dit à son public « Ne vous en faites pas, il va bien et il vous remercie d’être venus. » Ce sont des mecs qui se sont positionnés. De même que Dylan, même si ce qui s’est passé s’est un peu fait malgré lui par rapport au Vietnam. Il ne pensait pas que sa chanson résonnerait avec une telle force dans la tête des gens. Mais on reste dans un désir de rester dans cette culture de la protest song folk, de la manière dont elle est née, comment elle s’est propagée… Le folk, ça ne se résumé pas à des petites ballades ; c’est aussi, et avant tout, raconter des histoires. De même, dans les années 1930, la radio n’était pas ce qu’elle est aujourd’hui, ni ce qu’elle est devenue dans les années 1950. Les mecs de Los Angeles arrivaient à savoir ce qui se passait à Chicago parce qu’un folkeux racontait l’histoire d’une baston dans la rue, à Chicago, et sa chanson allait de main en main, jusqu’à ce que les gars, à L.A., entendent un fait divers s’étant déroulé dans une autre ville grâce à une chanson. L’histoire de cette musique me plaît, me parle, comme si les choses pouvaient se remettre à évoluer. « De la tendresse » est donc une protest song très légère, ce qu’on voulait.

  • « Je t’aime plus », pour moi, signifie que les sentiments ne sont plus là, mais qu’il y a encore moyen d’assouvir ses pulsions physiques ensemble.

Véro : Parce que c’est souvent comme ça.

  • Donc, est-ce que cette chanson est un constat ?

Ben : C’est mon frère aîné qui a écrit cette chanson de A à Z. Il me l’a proposée et je l’ai reprise à ma sauce. Ce qui m’a plu, dans les échanges qu’on a eus tous les deux, c’est cette histoire de l’ex, en fait : cette période un peu transitoire pendant laquelle on se sépare un moins ou deux, puis on se retrouve, on pleure et on baise. Il y a également un côté très sexy, très nonchalant dans la version finale, et le texte est drôle. Le regard que mon frère pose est vraiment intéressant. À la fin de certain concert, on m’a dit « Ta chanson, elle est sexiste ! », ce à quoi j’ai répondu « C’est parce que t’as rien compris et que t’as pas envie d’avouer que tu ne la veux plus ; si tu râles, c’est que t’as un petit problème à régler ! » La phrase « Ton cœur, je m’en fous quand ton corps se dévoue », elle est géniale ! Et ce qui m’a plus dans cette chanson, c’est que c’est une situation que tout le monde a vécue ; ce qui ne veut pas dire que tout le monde a fini au pieu avec son ex. Mais il y a eu des caresses, un bisou… « Je t’aime plus, mais j’aime ton cul. »

  • Il y a une autre chanson que je n’ai pas pu m’empêcher de mettre en parallèle avec celle-ci, c’est « Mon ombre ».

(Ben et Véro se regardent et sourient, NDLR)

Ben : Tu vas comprendre, mais finis ta question !

  • Je trouve qu’il peut y avoir trois interprétations différentes pour « Mon ombre » : soit une âme sœur, soit une muse, soit l’ombre que l’on projette, en tant que telle. Est-ce l’une de ces trois-là ? Les trois ensemble ? Ou aucune des trois ?

Ben : Eh bien, je ne te donnerai pas la réponse, pour la simple et bonne raison que c’est un titre que mon frère a lui aussi écrit ! (rires) Donc, c’est vraiment marrant que tu les aies mis en parallèle. Sur « Mon ombre », j’ai refusé de lui poser des questions d’interprétation. Je me suis posé les mêmes questions que toi, même si j’en ai également une autre vision que je trouve assez amusante : l’ombre, c’est peut-être la bouteille, ou une forme d’addiction. Ce que j’aime, dans son écriture, c’est justement qu’elle laisse beaucoup de place à l’interprétation, et c’est en interprétant les choses que la chanson devient la propriété des gens, ce qu’elle représente pour eux. Je n’ai pas voulu fouiller avec lui et, aujourd’hui encore, je me retiens de lui poser des questions par rapport à ça, parce que je trouvais que sa chanson était très mystérieuse et révélait beaucoup de poésie. Et, parfois, je vais l’interpréter en pensant à ma copine, ou d’autres fois en pensant au pétard ou à la petite bouteille de trop. C’est ce qui fait qu’il y a un autre rapport à la chanson, de même qu’il y a des secrets qu’il ne faut peut-être pas dévoiler, parce que ça ferait beaucoup. Donc, je ne sais pas ce qu’il a voulu dire, et je ne veux pas le savoir.

Véro : C’est bien que chacun y trouve son ombre à soi.

  • Véro, c’est aussi ce que tu as ressenti quand tu as découvert « Je t’aime plus » et « Mon Ombre » ?

Véro : Pour « Je t’aime plus », le texte pas beaucoup amusée, dans un premier temps, parce que je trouve que ce sont des situations qui arrivent très souvent. D’un point de vue personnel, au moment de découvrir la chanson, je venais juste de vivre une séparation, donc c’était assez drôle. J’ai beaucoup aimé le texte, mais plus dans sa légèreté que sur le fond du texte. Par contre, « Mon ombre » m’a beaucoup touchée d’entrée, mais à l’inverse, sur le fond du texte. Pour moi, l’ombre est la personne idéale, cette image de la personne rêvée, et pas simplement de l’âme sœur, même si ça peut également la représenter.

Ben : En même temps, on m’a fait la réflexion à un concert pendant lequel je l’ai chantée, et quelqu’un m’a dit « Elle est dure, car c’est dur d’être l’ombre de l’autre. »

Véro : Oui, aussi, c’est vrai.

Ben : La même personne m’a demandé si ma compagne le vivait bien, même si ce n’est pas moi qui l’ait écrite. Mais j’ai trouvé ça assez juste, cette idée de la difficulté d’être dans l’ombre de l’autre.

Véro : C’est justement ça qui est bien : c’est que chacun y trouve sa vision de l’ombre. Autant laisser le suspense planer.

Ben : Et l’imaginaire travailler, aussi. C’est justement ça qui est beau, dans les histoires racontées. Pour moi, j’adore quand je sens que mon imagination travaille. Mais c’est vraiment drôle que tu aies réuni les deux, parce que c’est la même personne qui les a écrites. Pour le coup, je lui dirai !

  • Il y a deux chansons en anglais sur l’EP : « Revelations » et « Walking Along ». Pourquoi ?

Ben : « Walking Along » est un titre qui m’a permis de rencontrer Véro. C’est une chanson que j’avais écrite, mais que je n’avais jamais diffusée. Je l’avais d’abord fait suite à une commande que Renaud avait reçu de la marque Kiabi, et j’ai juste posé le gimmick dessus, au départ. Mais au final, elle me plaisait bien : je voulais de la légèreté et toujours un peu d’espérance dans le message de la chanson.

  • D’ailleurs, dans l’intention, elle m’a fait penser à certains éléments que l’on pourrait retrouver dans le reggae.

Ben : Oui ! Putain, mec, je te trouve très, très bon !

Véro : Oui, carrément, très bon !

Ben : En fait, j’ai été batteur de reggae pendant dix ans dans un groupe où mon frère, qui a écrit « Je t’aime plus » et « Mon ombre », était chanteur. Comme tu vois, avec mon frère, on a toujours beaucoup travaillé ensemble dans la musique. Ça fait dix ans maintenant, et comme c’est mon frangin, on a habité sous le même toit pendant des années, on a grandi et fait des tournées ensemble. Je viens donc du reggae, mais je voulais vraiment faire autre chose. Pour moi, c’est vraiment Ben Harper qui a bercé mon adolescence. Mais en fait, le folk et le reggae sont très proches, quand on y réfléchit. C’est pour ça que tu pourrais faire une version reggae de tous les titres, si tu le voulais ! Par contre, le remix de « Yellowdie » est très dance, très radiophonique. J’ai laissé faire. L’éditeur avait des plans, il a testé avec son réseau et il l’a fait faire par Charles Schillings, qui est quand même un pro de l’électro, même si je ne le connaissais pas, et qui a un putain de CV. Il a écouté plusieurs choses et il a dit que c’était « Yellowdie » qu’il voulait. Je ne suis pas intervenu dans le processus, sauf à un moment pour corriger un truc en terme de justesse. Mais c’est un autre artiste qui travaille une chanson, ce n’est pas moi ; je suis donc très détaché par rapport à ça. J’étais content qu’un mec s’approprie quelque chose, mais il a complètement transformé la chanson : il a tout dégagé, sauf ma voix. J’étais aussi amusé que circonspect, parce que c’est une musique que je n’écoute pas, je me suis donc retrouvé sans véritable avis. Renaud a fait un très beau clip dessus, qui marche bien et qui sert bien le propos. Cela étant, c’est vraiment autre chose, quelqu’un qui a fait sa sauce en partant de ma musique ; ce qui, au final, est plutôt amusant.

  • Comment partagez-vous, tous les deux, vos rôles respectifs sur scène ? y a-t-il des interactions, des échanges, une mise en scène particulière, de l’improvisation ?

Véro : Non, il n’y a pas de mise en scène. Yellow, c’est surtout Ben, et je suis surtout là pour l’accompagner du mieux possible. Après, c’est vrai qu’il y a plus ou moins d’interactions selon les concerts. On a quelques petites recettes qu’on ressert assez souvent ; mais en général, quand on monte sur scène, on se dit tout le temps qu’on est là pour se faire plaisir. On est très liés pendant les performances, je crois.

Ben : Véro est vraiment une doublure pour moi. Je suis très statique sur scène, tout simplement parce que j’ai une grosse caisse à mon pied, donc je ne peux pas beaucoup bouger. Véro a la liberté d’occuper l’espace, et c’est ce qu’elle fait : par exemple, c’est elle qui va faire taper les gens dans les mains. Mais il m’arrive par moments d’arriver à m’éloigner du micro et aller chercher les gens, mais il n’y a effectivement pas de mise en scène. C’est un autre travail qu’on n’a pas pu trop se permettre, pour l’instant, vu qu’on court derrière les dates. Mais il y a une énergie de plus en plus rock sur scène maintenant, je trouve. Et, en se faisant plaisir, on fait plaisir aux gens. C’est d’ailleurs, peut-être, ce qui est le plus difficile, suivant les conditions des lieux. Ensuite, il faut habiter l’espace avec nos chansons, nos histoires à raconter. Je parle beaucoup entre les chansons, notamment celles en anglais, pour les présenter au gens qui ne comprennent pas l’anglais, afin qu’il puisse connaître et cerner le propos, et après, on se lance. On est deux, on doit occuper le lieu à deux. Je me souviens d’un concert où il faisait très froid : je ne sentais pas ma main, j’ai eu des problèmes techniques, sur scène, qui m’ont saoûlé et perturbé, donc j’ai un peu baissé les bras. Mais Véro a pris le relais et a porté le set sur ses épaules. On sait qu’on peut compter l’un sur l’autre. Et c’est rare qu’on ne soit pas bien tous les deux, au même moment. Il y a une locomotive, moi ou elle.

Véro : Et des fois, les deux.

Ben : Oui. Et c’est parfait parce qu’à chaque fois, le train avance. On est très bloqués sur scène, je suis assez statique mais il y a beaucoup de choses et d’instruments sur scène, de la guitare, de la grosse caisse, du tambourin… Mais en vivant les choses à fond, il n’y a pas besoin d’en faire des tonnes. Si tu es dedans, ça va fonctionner. C’est notre formule, et elle a fait ses preuves.

  • Quels sont vos futurs projets ?

Ben : On travaille sur un nouveau disque, qui sera une troisième étape dans le cheminement du projet.

  • Toujours tous les deux ?

Ben : Oui, toujours tous les deux, mais avec une nouvelle configuration scénique. Pour l’instant, à deux mais, à terme, j’aimerais bien qu’on soit trois et je kifferais qu’on soit quatre ou cinq. Normalement, il va y avoir une grosse évolution, avec de la guitare électrique et quelque chose de plus blues, plus soul, mais toujours en français ; tout simplement parce que j’ai envie d’être compris. Le français me plaît et je trouve qu’il y a de belles choses à faire en priorité, notamment dans le propos, qui est très important. Que la forme soit belle et que le fond soit entendu.

Véro : Je trouve aussi que Ben a pris une belle identité d’écriture et de pensée. Il a vraiment acquis une rythmique créative et une plume très personnelle. On commence vraiment à le reconnaître, rien qu’en lisant le texte. Et ce serait dommage de s’en priver. C’est une bonne évolution.

Ben : Oui, tu grandis, et avec ta musique. Le bilan, je le ferai quand j’aurai 70 ans. Quand on sera tout vieux, toi et moi, sur une terrasse avec du Ricard, on en rediscutera ! (rires)


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Raphaël Duprez

En quête constante de découvertes, de surprises et d'artistes passionnés et passionnants.