[Interview] Cabadzi x Blier

Pour Cabadzi, revenir au duo originel, formé par Lulu – Olivier Garnier (chant) et Vikto – Victorien Bitaudeau (beatbox, percussions et machines), s’est imposé comme une évidence. Pour ces anciens du cirque, l’art de la cascade, de l’improvisation et du retournement de situation n’est pas une expression galvaudée, bien au contraire. Avec leur quatrième album, à paraître trois ans, jour pour jour, après le piquant « Des angles et des épines », Lulu et Vikto sortent à nouveau des sentiers battus pour se confronter cette fois-ci à l’œuvre cinématographique de Bertrand Blier. Ils nous racontent avec passion la naissance de « Cabadzi x Blier », ce quatrième album, inspiré librement des dialogues des films cultes du réalisateur français (Les Valseuses, Buffet froid, Tenue de soirée…), sur lesquels ils portent un regard moderne, vif et singulier. Entretien-fleuve avec deux authentiques artisans qui n’ont de cesse de réinventer la chanson française en bousculant ses petites habitudes et ses codes vieillissants.

crédit : Frank Loriou
  • Comment est né cet ambitieux projet et quatrième album, « Cabadzi x Blier » ? Pouvez-vous me parler de votre filiation avec l’œuvre cinématographique de Bertrand Blier ? Qu’est-ce qui vous touche de manière personnelle, singulière, intime dans le cinéma de Blier ?

On avait déjà l’envie, avec Vikto, de revenir au duo originel, avec l’idée de faire une musique qui nous collait plus, à la fois simple, binaire, mais aussi dure, crade et indus. Je pense que pour oser se mettre à la réalisation uniquement à deux de ce disque, on avait besoin d’un prétexte, en l’occurrence Blier, dont l’œuvre nous parle beaucoup par son côté anticonformiste, trivial et poétique. Et ce prétexte s’est transformé en passion, le fait de l’avoir rencontré régulièrement a joué beaucoup aussi. Et un film comme « Tenue de Soirée », quand on l’a revu en 2015 alors que la Manif pour Tous défilait encore, nous a vraiment décidé à aller au bout de ce projet : la modernité du propos de Blier sur la sexualité, la place des femmes, nous a vraiment « choqués » au regard de ce qui se passait dans la rue à cette époque.

  • Par rapport à vos précédents albums, vous êtes dans l’adaptation, dans une forme de mise en scène textuelle et musicale d’une œuvre existante. Comment avez-vous approché cette nouvelle forme de création ?

Pas mal de choses ont changé : déjà, nous avons maintenant notre propre studio, ce qui offre, en termes de créations, beaucoup plus de libertés. On a beaucoup expérimenté, on souhaitait pouvoir tout faire uniquement à deux, sans musiciens additionnels et sans avoir recours à des samples. Tous les gimmicks de voix, comme dans « UnDeuxTrois », « Bouche » ou « Jamais » sont par exemple réalisés par nous, et c’est le temps passé dessus ainsi que le nombre de couches qui donnent ce grain.

  • Comment pioche-t-on, choisit-on des extraits, quelques phrases fortes, des mots marquants pour en faire un disque, un recueil de chansons ?

Alors d’abord, y a eu une phase pas très drôle, une sorte de boulot universitaire, qui consistait à taper tous les dialogues de tous ses films. C’était rébarbatif, mais ça a permis de bien se mettre dedans. Ensuite, c’est vraiment un travail de compilation et aussi beaucoup de réécriture (changement de temps, de pronoms, réécriture pure, etc.) qui permet de rendre cohérent chaque titre même si dans un seul morceau, il y a parfois des phrases tirées de sept ou huit films différents.

  • Vous êtes-vous autorisé quelques libertés à ce sujet ?

Oui, oui, c’était le « deal » avec Bertrand, tout était permis. Certains passages sont entièrement écrits par Lulu, d’autres sont réécrits à l’inverse de ce que le dialogue de base racontait, etc. Mais dans l’idée, chaque texte, c’est du Blier à 80 % sauf pour deux titres : « UnDeuxTrois » et « Dansable » qui ne reprennent aucun dialogue, mais qui font plus référence à certains films.

  • Comment avez-vous lié le parlé à une création sonore entre chanson française, électronique et hip-hop, qui est pleinement vôtre ?

Alors, on n’a pas vraiment de réponse là dessus, c’est dans notre ADN de travailler ça, on ne se l’explique pas vraiment.

  • Les films de Bertrand Blier avaient-ils déjà nourri, d’une certaine manière, votre répertoire avant cet album, de par leur manière crue et authentique de raconter le quotidien des (petites) gens ?

Avant de bosser sur ce projet, on n’y avait jamais réfléchi, mais là, a posteriori, c’est vrai qu’on a beaucoup d’atomes crochus avec lui, sûrement cette passion pour les personnages hors cadre, libertaires, qui disent de vraies choses sur la vie.

  • Comment convainc-t-on un monument du cinéma français, réalisateur et scénariste, d’accepter qu’on revisite ses textes en musique actuelle ? Pouvez-vous me parler de votre première rencontre avec Bertrand Blier ?

Ça partait plutôt mal, Blier ayant toujours refusé qu’on exploite ses textes et puis, on ne sait pas pourquoi, il a accepté de nous rencontrer chez lui en juillet 2015, on a écouté les premières maquettes ensemble, dans son salon, et puis le rituel a suivi : à chaque nouveau morceau qu’on finissait, on partait chez lui pour lui faire écouter et on discutait longtemps, pas vraiment du morceau d’ailleurs, mais de sa carrière, de ses films, de ses acteurs fétiches. Bref une amitié est née : c’est assez inexplicable. C’est qu’on s’intéresse aux mêmes choses et qu’on a des manières de les raconter sûrement un peu proches.

crédit : Charlotte
  • J’ai l’impression que vous êtes dans une certaine forme de fidélité par rapport aux acteurs originaux, Depardieu et Miou-Miou notamment ; dans l’interprétation, dans votre manière de livrer, avec gravité, audace, ivresse et passion ces relations complexes et profondément humaines…

Tout l’enjeu de ce projet était de ne pas être dans l’imitation, mais dans la réinterprétation de ces textes, alors si on retrouve la même émotion, tant mieux !

  • Les Valseuses et Tenue de Soirée sont les deux films centraux qui nourrissent cet album. Pourquoi ceux-là en particulier ? Y a-t-il une volonté, chez vous, de transcrire en musique le côté à la fois polémique et patrimonial de ces deux films à part dans la cinématographie française ?

Ce sont certainement les deux films qui résument le plus son œuvre et son talent : dans toutes ces histoires, ce sont toujours les déséquilibrés, les gens à la marge qui rééquilibrent la vie. Et ce sont deux films qui ont changé la société française sur deux décennies, sur le rapport au genre, à la sexualité, à la marginalité. Ce qui nous parle vraiment chez lui, c’est le talent qu’il a à donner à voir autrement, différemment, sans jamais porter de jugement moral, c’est profondément humaniste quoi !

  • Parlons des visuels de cet album, réalisés par l’illustrateur brésilien Adams Carvalho. Comment l’avez-vous contacté et comment lui avez-vous « vendu » ce projet ? De Blier à Carvalho, ce sont deux époques, deux générations, deux visions artistiques qui se rencontrent, qui entrent en collision ; pourquoi l’avoir choisi, lui ?

On l’a rencontré via Instagram, on a beaucoup bossé avec lui, mais seulement par mail, sans jamais se voir en vrai, car il vit à Sao Paulo, au Brésil. Il a d’abord vraiment adoré les morceaux même s’il ne comprenait pas du tout les paroles et ensuite, ce gars est fan de vélo, donc du Tour de France, donc de France… Bref, il a plongé dans le projet très rapidement. Ensuite, pour nous, c’était primordial d’actualiser Blier, de faire ressortir toute la modernité de son propos, et le style de dessin d’Adams, autant dans son trait que dans ses thématiques, est super actuel, et très féminin dans le propos. Et vu que beaucoup de nos morceaux sont énoncés d’un point de vue féminin, ça collait parfaitement.

crédit : Adams Carvalho
  • Vous avez toujours accordé un soin particulier à la réalisation de vos clips. Avec « Bouche » et de « UnDeuxTrois », deux courts-métrages libres, le premier sur un braquage qui tourne mal, le second, une danse contemporaine époustouflante, vous vous éloignez radicalement de l’œuvre de Blier pour créer quelque chose d’inédit. Est-ce volontaire, ou y a-t-il une complémentarité par rapport au matériau cinématographique d’origine, un hommage personnel à votre muse ?

De la même manière que le travail d’illustration avec Adams, on souhaitait vraiment travailler le détournement, avec des hommages presque invisibles à l’œuvre de Blier. L’idée, c’est de faire de ce disque un vrai disque personnel et non conceptuel. Celui qui ne connaît pas Blier doit pouvoir l’écouter ou le regarder quand même. L’idée, c’est donc de refaire nos propres films comme on l’a fait avec les morceaux, de réinventer une histoire totale sans lien obligé à Blier.

  • Le vidéaste Maxime Bruneel a mis en scène votre performance scénique. Du disque à la scène, comment s’opère la métamorphose ?

Maxime a conçu les animations projetées en live à partir des illustrations créées par Adams, elles-mêmes créées à partir des films de Blier. Bref c’est une sorte de poupée russe qui vise encore une fois à faire nôtre ce projet. De la même manière, toute la scénographie, à base d’écrans qui forment différents tableaux au court du live, vise à immerger le spectateur dans une création propre qui fait référence à Blier, mais sans en être vraiment.

  • Votre album sort le 22 septembre, mais vous l’avez déjà présenté sur scène à plusieurs occasions. Quel accueil et quels retours en avez-vous eus ? Et que peut-on vous souhaiter concernant la tournée qui accompagnera cette sortie d’album ?

On aura fait 22 dates de pré-tournée quand l’album sortira. Au vu de la configuration scénographique un brin compliquée, on en avait vraiment besoin, histoire de rôder techniquement le spectacle. Et ça s’est plutôt très bien passé, on a beaucoup de dates à venir pour 2017/2018. On est fiers du résultat ; on a donc envie de le tourner longtemps !


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Fred Lombard

Fred Lombard

rédacteur en chef curieux et passionné par les musiques actuelles et éclectiques