[Interview] Agar Agar

Depuis le printemps 2016, le duo Agar Agar se fait une place parmi les figures montantes de la musique électronique hexagonale. Leur premier EP, « Cardan », sorti le 28 septembre 2016 chez Cracki Records, incarne une fraîcheur réconfortante déjà introduite par le morceau « Prettiest Virgin ». Avant de se plonger dans les préparatifs d’un concert programmé à la Gaîté Lyrique le 27 septembre prochain, et qui affiche complet depuis quelques semaines déjà, le duo achève une tournée estivale prolifique. On a rencontré Clara Cappagli et Armand Bultheel quelques heures avant leur passage sur la petite scène du festival Cabourg, mon Amour.

crédit : Andrea Mae Perez
  • Tout d’abord, pourriez-vous vous présenter ?

Clara : Alors, nous, c’est Agar Agar et on fait du son !

Armand : On fait de la musique et on fait aussi autre chose, mais j’imagine que l’interview se porte avant tout sur la musique.

  • Non, également sur le visuel, et on a d’ailleurs quelques questions à ce sujet. Comment vous-êtes vous rencontrés autour de vos travaux aux Beaux-Arts ?

Armand : Ce n’est pas forcément le fait qu’on ait été aux Beaux-Arts qui nous amène à nous intéresser au visuel ; ça aurait pu se passer autrement. C’est peut-être plus le fait qu’on s’intéresse au visuel qui fait qu’on a été aux Beaux-Arts.

Clara : En tout cas, notre intérêt pour les arts est certain.

Armand : De toute manière, la musique est un art !

crédit : Caroline Fauvel
  • Pourquoi ce nom, « Agar Agar » ?

Clara : Agar Agar, ça vient de ce DJ de scratch, DJ QBert.

Armand : DJ QBert est un des meilleurs scratchers des années 1990-2000. Il a réalisé un film génial qui s’appelle « Wave Twister », qui était une Bible pour moi quand j’étais gamin. Ce mec-là a un logo : une fourmi. Ce sont des fourmis magnans, des fourmis voraces qui peuvent nous dévorer tous les quatre en entier si elles le veulent. On peut les nourrir d’un mélange qu’un scientifique des années 1950 a trouvé, ça s’appelle le mélange de Bathkar : ce sont des protéines, des œufs, du lait, du miel et du sucre qui sont mélangés dans de l’agar agar. L’agar agar est aussi une algue qui a été découverte au Japon au XIXe siècle il me semble, ainsi qu’un épaississant utilisé dans la nourriture industrielle et un gélifiant végétal.

  • Vous étiez déjà musiciens avant Agar Agar et vos goûts musicaux étaient assez divergents, puisque Clara chante dans le groupe de rock garage Cannery Terror. Comment vous êtes-vous trouvés des points d’entente, des goûts communs ?

Clara : La vie !

Armand : Le hasard. Joachim, un pote à moi, organisait une soirée aux Beaux-Arts de Cergy pour célébrer le départ en retraite de notre bibliothécaire. Il nous a proposé de jouer, et Clara et moi avions chacun un projet. Un jour, je suis allé dans la coloc’ de Clara car je réalisais un site Internet pour Juliette, une amie à elle ; c’est à ce moment-là qu’on s’est rencontrés et qu’on s’est dit « Vas-y, on fait de la musique ensemble ! ». Ça a fonctionné tout de suite. Il y a des musiciens qui se rencontrent par affinités musicales et il y a une sorte de point de départ pensé, il y en a d’autres qui se rencontrent par pur esprit de carrière : « Viens, faisons un featuring ensemble car on est bons tous les deux ! ». Il y a mille façons de se rencontrer.

  • Comment vous êtes-vous retrouvés sur le label Cracki Records ?

Armand : Par des rencontres, par un musicien qui s’appelle Yann, qui est aussi dans notre école.

Clara : Mais pourquoi tu cites tous les noms ? (rires)

Armand : Parce que ce sont des gens importants qui ont joué un rôle, c’est primordial de les citer ! Il bossait pour Cracki Records et il était là à notre premier concert. À la fin du set, il nous a dit qu’il aimait bien ce qu’on faisait Il était à Cergy et il était là pour repérer quelques têtes fraîches. On a été sa cible privilégiée. Ensuite, il a aussi été question de style de musique. Les gens de Cracki ont cru en ça.

Clara : Ils ont cru en Yann.

  • Y a t-il des artistes spécifiques qui vous ont inspirés pour cet EP ?

Clara : C’était il y a longtemps, mais moi, à l’époque, j’écoutais l’album « Pom Pom » d’Ariel Pink.

Armand : Moi, j’écoutais beaucoup Black Devil Disco Club.

  • Comment s’est déroulé l’enregistrement ?

Clara : On l’a fait dans une superbe baraque en Normandie, avec un lac et de très beaux arbres ; c’était très inspirant.

Armand : On n’était pas loin de Caen. C’était cool, car on a vraiment joué les morceaux en live. On a fait des prises et on a réenregistré des voix par dessus, en correctif.

  • Vous avez des idées de collaborations pour la suite ? D’ailleurs, êtes-vous toujours deux sur scène ?

Clara : Oui, on est ouverts à des collaborations. Et sinon, on a un agent de sécurité qui vient parfois avec nous.

Armand : C’est un agent de sécurité assez spécial. Ce qui est génial avec lui, c’est qu’il fait en sorte que le cadre dans lequel on joue soit « insécuritaire » ; ça nous permet de nous faire surprendre par des conneries et de nous donner la pêche.

  • Est-ce que vous avez d’autres projets à venir ?

Clara : Oui, on a un album en préparation ! On est en tournée depuis juin et on y sera jusque début décembre. On fait tout en même temps.

  • Vous vous occupez de tout ce qui tourne autour de votre esthétique ?

Clara : Oui, ou bien on fait appel à des connaissances. Pour le clip de « Prettiest Virgin », Armand en a fait une grande partie en 3D.

Armand : Oui, à partir d’images de synthèse.

Clara : On est aussi très proches de ce milieu-là, on connaît plein de gens. C’est sûr que c’est à nous que reviennent les décisions finales, et on fait aussi des choix importants pour nous, niveau esthétique.

  • C’est toujours impressionnant de voir des musiciens s’adapter à autant de styles différents avec autant d’aisance ; on aurait tendance à croire qu’on a forcément besoin d’une formation musicale pointue pour ça, pourtant vous ne gardez pas de très bons souvenirs de votre passage au conservatoire. Pourquoi ?

Clara : C’est pas vrai !

Armand : Le conservatoire, c’est horrible. C’est une fabrique à merde qui est une des raisons majeures pour lesquelles la musique en France est souvent mauvaise. Le conservatoire, c’est simple : c’est de la merde qui sort du cul de grands pontes de la musique traditionnelle qui sont assis sur leurs sièges en or depuis des décennies.

Clara : Et qui tapent sur les doigts des pianistes débutants avec une règle, comme dans l’ancien temps.

Armand : En soi, le principe n’est pas forcément mauvais, on a besoin de musique classique en France, il faut la conserver, donc effectivement, pourquoi ne pas continuer à la représenter avec de bons instrumentistes ? Le truc, c’est que c’est un monopole. Si tu veux faire une école de musique publique et correcte, tu t’inscris au conservatoire, sauf que c’est faire le choix d’être instrumentiste dans un contexte de musique classique. Après, il y a aussi des formations jazz : j’y étais en solfège jazz et j’ai adoré, c’était le refuge des fumeurs de joints et des tarés, mais j’ai quand même adoré baigner là-dedans. Bref, en tout cas, le conservatoire forme énormément d’instrumentistes d’orchestre car beaucoup de gens qui veulent être musiciens s’y inscrivent et se retrouvent à devoir passer des concours pour rentrer dans des orchestres affreux Il faut le dire, car ces gens-là sont beaucoup trop nombreux. Par rapport à la demande des orchestres classiques, il y a beaucoup trop de musiciens qui auraient pu largement faire autre chose mais qui se retrouvent complètement bloqués là-dedans, à vouloir trouver une place dans un orchestre qui n’existe pas. Les conservatoires font ça pour créer des musiciens d’élite, pour essayer de conserver cette musique particulièrement élitiste sur le dos de gens qui veulent être artistes, en leur disant : « Plus il y en a, plus il y aura de gens qui ne pourront pas accéder à nos rangs, plus il y aura d’écrémage, plus on aura les meilleurs ». Je trouve que c’est une méthode affreuse : ça sclérose l’évolution de la musique et le regard du pays vers de nouvelles choses, c’est terrible.

  • Vous l’avez fréquenté tous les deux de votre côté ?

Clara : Oui !

Armand : Oui, enfin, j’ai eu la chance de « tomber » ; j’ai fait du violon, c’était très strict. J’ai eu la chance d’être inscrit dans un conservatoire à Narbonne avec un prof de percussions qui s’appelle Thierry Gomar. Il est « anti-conservatoire » et il dispense sa propre méthode. Il te donne confiance en l’improvisation, il te redonne ta foi de musicien qui n’est pas qu’interprète. En général, on te fait croire qu’il faut que tu aies quinze ans d’études derrière toi pour composer…


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Elsa Mahi

Habituée des premiers rangs, adepte de dream pop envoûtante et de lignes de basses sémillantes