[LP] Kevin Morby – City Music

Quelles histoires pour ces villes, abris de millions d’êtres, souvent autant d’étrangers les uns pour les autres ? Avec son quatrième album solo, Kevin Morby replace ces lieux de vie au rang de sujets d’art, traduisant leur richesse en douze morceaux comme autant de tentatives de capturer leur essence même. Un joli déplacement de focale après le succès de « Singing Saw », qui voit aussi l’artiste tenter de doucement dépasser ce qui avait fait son succès.

Kevin Morby est en mouvement, à nouveau. Comme il l’a finalement été sur chacun de ses albums, renouvelant son art, contant les histoires d’une Amérique qu’il parcourt de ses havres perdus à ses villes démesurées. Au fil du temps, son folk rock s’était même mis à accompagner nos propres voyages, sur d’interminables routes que sa guitare sublimait, jusqu’à culminer en réussite sur le magnifique et intime « Singing Saw ». Sans pour autant que l’artiste ne paraisse vouloir se complaire indéfiniment dans la veine de l’œuvre qui lui a attiré une critique dithyrambique. Cette fois, les histoires s’écrivent à la lueur des lumières des villes qu’il aime tant. Des voix se font entendre au-delà de la sienne, qu’elles soient celles de proches ou de personnages aux vies assemblées de toutes pièces pour l’occasion. Tout cela réuni dans un même hommage à New-York, à ses héros, et à toutes les villes qu’il a parcourues dans sa vie. Un hommage qui aurait pour nom « City Music ».

« Come To Me Now », le premier extrait qu’il nous avait été offert d’entendre, était des plus prometteurs. Chargé d’ouvrir l’album, il voit Morby s’imaginer tel une femme âgée, Mabel, dont la laideur de la ville est le cadre d’une lente fin de vie. Un portrait à l’opposé de celui de l’artiste, qu’il utilise pour peindre les cités comme lieux où les étrangers ne se rencontrent jamais, et vivent dans une solitude des plus prenantes. Portée par la douceur rêveuse d’un orgue, cette élégie voit l’artiste repenser certains de ses thèmes fétiches sous la forme d’une ballade dépouillée, dont la beauté se passe même de guitare. Un coup de maître d’entrée de jeu, peut-être un peu tôt venu, mais qui confirme toutes les qualités que l’on avait bien pu prêter à l’ancien bassiste de Woods – celles d’un musicien capable de se réinventer là où l’on ne l’attendait pas, sans égarer cette empreinte si distinctive. Mabel, quant à elle, interviendra de nouveau sur « Tin Can » et « Night Time », comme une compagne nouvelle sur ces avenues à explorer.

crédit : Adarsha Benjamin

Alors que « Singing Saw » brillait par sa cohérence musicale, « City Music » prend ses libertés et a le mérite d’aussi bien parler de la ville qu’il en adopte les rythmes toujours changeants. Morby choisit de traiter un concept bien lâche par le prisme de la diversité, comme un clin d’œil à ces villes qui font vivre ensemble des êtres pourtant si différents. Il déploie ainsi, au cours de cet effort, une palette musicale des plus remarquables, passant d’un hommage aux Ramones dans « 1234 » à une étonnante reprise folk de « Caught In My Eye » des Germs, de la jovialité surprenante d’ « Aboard My Train » à la sensibilité exacerbée de « Dry Your Eyes ». Le tout surveillé de loin par un Lou Reed attentif, dont l’ombre plane éternellement sur New-York, et auquel le phrasé particulier de l’artiste de 29 ans doit sans doute quelque chose.

Parce qu’il ose sans une once de timidité, l’album est donc un beau panorama du talent de Kevin Morby, toujours ancré dans ces décennies 1960 et 1970 qu’il affectionne, mais dont l’œuvre gagne en finesse. Parce qu’il ne semble aussi pas s’imposer de limites, « City Music » apparaît, cela dit, plus comme un album de réflexion, de transition peut-être, qu’un travail tout-à-fait achevé. En témoignent sa difficulté à trouver une ligne directrice et sa tendance aux égarements, qui ternissent la qualité de l’ensemble. Il était bien difficile de se proposer à la fois de varier les approches et de ne pas sacrifier au passage cette cohérence qui fait les plus beaux albums. Sans doute fallait-il passer par ici pour mieux grandir, mais toujours en nous laissant entrevoir le meilleur pour la suite. Après tout, il reste encore de nombreux horizons à découvrir.

« City Music » de Kevin Morby est disponible depuis le 16 juin 2017 chez Dead Oceans.


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Cassandre Gouillaud

Étudiante, passion musique. Si jamais un soir vous me cherchez, je suis probablement du côté des salles de concert parisiennes.