[Interview] VOYOV

En sortant son premier EP, « On s’emmène avec toi », le 10 janvier dernier, le compositeur nantais VOYOV n’a eu de cesse de bouleverser le microcosme de la chanson française grâce à des choix artistiques toujours plus osés et pointus, aussi bien musicalement que visuellement. Artiste accompli en quête de perfection, Thibaud Vanhooland – de son vrai nom – part avec une longueur d’avance sur de potentiels concurrents en se dévouant corps et âme à l’œuvre qu’il s’applique à créer, chanson après chanson et vidéo après vidéo. Rencontre avec un créateur à la fois curieux, passionné et généreux, prêt à nous confier tout ce qui entoure le phénomène qu’il s’applique, avec un incroyable soin, à engendrer pour lui donner une existence digne de ses ambitions.

crédit : Tamara Seilman
  • Bonjour et merci de bien vouloir répondre à nos questions ! Tout d’abord, peux-tu te présenter pour ceux qui ne te connaîtraient pas encore ?

Salut, je m’appelle Thibaud, j’ai monté il y a quelques mois le projet VOYOV après avoir été musicien pour d’autres groupes nantais comme Elephanz, Rhum For Pauline ou encore Pégase. Maintenant, je suis seul sur scène avec mes machines, ma trompette et ma guitare.

  • Ton premier EP, « On s’emmène avec toi », est sorti le 10 janvier dernier et il fait preuve d’une maturité assez impressionnante. Comment t’es-tu décidé à franchir le cap pour donner vie à ces trois chansons, les écrire et les mettre en musique ?

Ça fait un moment que je compose de la musique dans mon coin. J’ai eu la chance d’avoir très tôt un ordinateur avec des logiciels de musique à disposition. Du coup, depuis que j’ai 12 ans, j’enregistre des choses, je compose des bouts de morceaux plus ou moins réussis… Tout ça m’a un peu servi de base de données dans laquelle je suis allé piocher pour VOYOV, mais surtout de terrain de jeu pour expérimenter tout ce qui me plaisait. Les trois morceaux de l’EP font partie des rescapés de cette période où je me permettais tout et n’importe quoi tant que je m’amusais. Finalement, ils n’ont que deux ou trois ans et ont, pour certains, beaucoup changé depuis le jour où je les ai écrits pour la première fois ; mais ils sont une sorte de trace de toutes ces années passées à rechercher la musique que j’avais vraiment envie de faire.

  • La chanson « On s’emmène avec toi » parle du destin, de l’importance des êtres en marge et de la manière dont ils sont indispensables dans nos vies, même rejetés. D’où t’est venue l’inspiration pour ce texte ?

Beaucoup de mes textes partent de simples réflexions sur les gens et leurs histoires, de choses dont on discute avec mes amis ou avec des gens croisés au hasard ; ces choses qu’on a l’impression de vivre seul alors qu’on est des centaines à les vivre, dans des endroits ou des contextes différents. Effectivement, « On s’emmène avec toi » raconte ces gens en marge, souvent incompris dans les décors dans lesquels ils évoluent, mais avec l’idée que ce n’est pas non plus une fatalité. Finalement, on n’est marginal que si on est minoritaire là où l’on se trouve, dans notre manière de penser, de s’habiller ou dans nos goûts. Mais on trouvera toujours, quelque part, des gens qui pensent comme nous, ou avec qui penser différemment n’est pas un problème, mais un moteur.

  • La musique qui accompagne le titre est sobre, presque pop, et contraste avec le propos du texte. Comment as-tu réussi à concilier l’optimisme de l’instrumentation avec un sujet si sérieux ?

Je crois que le propos est justement assez grave pour qu’il n’aitc pas besoin d’être alourdi encore plus par la musique. Et puis, le message est tout de même porteur d’espoir ; j’avais envie que la musique le mette en valeur. Il y a cependant une différence assez palpable entre les couplets, qui sont plus durs dans le texte et donc plus à vif dans la musique, et les refrains, plus optimistes et qui deviennent ainsi beaucoup plus joyeux. Dans mon processus d’écriture, pour ce morceau-là, une fois que j’avais trouvé les accords et le chant, j’ai passé énormément de temps sur les arrangements, pour essayer de donner à chaque phrase l’intention que j’avais en l’écrivant ; si elle me donnait le sourire ou au contraire me rendait triste. Un peu comme on met un émoticône à la fin d’un message pour donner le ton (rires) !

  • « Le naufragé » se démarque par son minimalisme, son côté répétitif instrumentalement, mais en progression constante dans les paroles. Le chant dialogue avec une guitare à peine saturée dans une mélancolie à fleur de peau. Peux-tu nous en dire plus ?

À l’inverse de « On s’emmène avec toi », « Le naufragé » est un morceau dont j’avais composé toute la musique et une bonne partie des arrangements avant de savoir ce que j’allais y raconter. J’avais même déjà la mélodie de voix chantée en yaourt. Du coup, j’ai passé énormément de temps à écouter l’instru pour qu’elle me souffle des décors, des atmosphères dans lesquels j’avais envie de placer mon histoire.

  • Qui est ce naufragé, alors que la chanson parle des marins revenus, l’espace de quelques heures, à quai avant de reprendre la mer ?

J’ai écrit ce texte alors que je passais le plus clair de mon temps en tournée avec d’autres groupes. C’est une vie assez étrange, la tournée : on est toujours dans des endroits différents. On voyage, mais sans jamais trop pouvoir découvrir les villes dans lesquelles on se pose, ni leurs habitants. Ça m’a donné envie de placer une histoire d’amour au milieu de ce contexte si particulier, pour voir ce qu’il se passait, et peut-être parce que ça aurait pu m’arriver à cette époque ; c’était alors un moyen d’y faire face. En tout cas, je trouvais que l’univers des marins était plus poétique et beaucoup plus ancré dans l’imaginaire collectif que celui des musiciens en tournée, donc je l’ai emprunté pour mon histoire. Et puis, l’instrumentation m’évoquait beaucoup la mer et les sons qu’on entend, l’hiver, dans les ports. D’une certaine manière, les marins, dans cette histoire, ce sont un peu mes copains musiciens et moi, et le naufragé aurait pu être n’importe lequel d’entre nous.

  • « Les soirées » parle d’êtres désabusés par les abus nocturnes et la répétition d’un cliché pour exister. Là encore, la musique se fait entraînante et directe, mais discrète. Ce paradoxe entre l’instrumentation et les textes est-il quelque chose que tu recherches pour, justement, mettre les parties vocales plus en avant ?

J’essaye de ne pas cérébraliser à ce point quand j’écris un morceau ; je préfère garder au maximum la spontanéité du premier jet, même si, la plupart du temps, je m’en éloigne beaucoup au fur et à mesure qu’avance le morceau. Pour « Les soirées », j’avais une mélodie de chant qui me tournait en tête depuis quelques temps et, un jour, je me suis posé pour l’enregistrer sur mon ordinateur. Il m’a fallu en gros vingt minutes pour faire l’instrumentation et vingt de plus pour écrire le texte et l’enregistrer. Le morceau est quasiment resté le même depuis ce moment-là. Je l’ai écrit à une période durant laquelle je sortais beaucoup ; je voyais que ça pouvait être dangereux, alors j’ai écrit cette chanson comme elle m’est venue, dans l’urgence du moment, un peu comme un message dans une bouteille que je me serais envoyé à moi-même. J’ai voulu garder cette instantanéité, et c’est pour ça que je n’y ai quasiment pas retouché depuis.

  • D’ailleurs, qui est la voix féminine qui t’accompagne sur « Le naufragé » et « Les soirées » ?

Sur « Les soirées », c’est une amie à moi, Roxanne Moreil. Je voulais absolument qu’elle chante sur ce morceau, car il y a quelque chose de très doux et en même temps de très naïf qui se dégage de sa voix, et je trouvais que c’était une bonne manière d’adoucir le propos. Sur « Le naufragé », c’est ma voix que j’enregistre quelques tons en dessous et que je pitche ensuite à la bonne tonalité. Ça permet de déformer un peu la voix et de la rendre plus féminine.

  • Parle-nous de ta collaboration avec Tamara Seilman sur le clip de « On s’emmène avec toi ». Comment vous est venue l’idée de la chorégraphie des enfants, qui valorise encore mieux ton propos ?

Pour tous les clips, je laisse carte blanche à Tamara. C’est elle qui a pensé le clip, qui l’a écrit, réalisé et monté. Tamara a l’habitude de travailler avec des danseurs et, pour « On s’emmène avec toi », elle a fait venir de Bruxelles un danseur chorégraphe, Jonas Chereau, avec lequel elle avait déjà travaillé sur plusieurs films, dont « 306 Manon », par lequel j’ai découvert son travail.

Le rôle de Jonas sur le tournage a été de décomplexer les enfants, de les faire se libérer, mais aussi de les faire bouger dans le décor comme Tamara l’avait imaginé. Elle a ensuite fait appel au dessinateur Cyril Pedrosa et aux danseuses Manju Shree et Emma Saint-Pol pour représenter l’imaginaire dans lequel se projettent les enfants afin de fuir la réalité dans laquelle ils évoluent. Tout ça situé dans les décors miniers du Nord de mon enfance. C’était un vrai challenge, de faire cohabiter tous ces éléments ; et j’ai été assez bluffé par le résultat ! Elle a réussi à sublimer le propos du texte sans pour autant trop s’y appuyer.

  • Vous avez également collaboré sur la vidéo de ta chanson « Les soirées », qui brille justement par ces apparences qu’il faut se donner pour, en quelque sorte, être « quelqu’un ». Là encore, la danse prend une place prépondérante, notamment avec les jeux de lumières et artifices, magnifiques, et jusqu’à une conclusion qui est un formidable défouloir. Quels étaient les enjeux de ce clip ? Comment l’avez-vous conçu et réalisé ?

Encore une fois, c’est Tamara qui a conçu le vidéoclip de A à Z. Le texte du morceau est assez simple et direct ; c’est un constat plutôt global de ce que peuvent être les soirées, et il y avait donc une multitude de tableaux possibles pour l’imager. Son idée était d’enfermer des personnages bien habillés, bien coiffés, dans un décor de fête plutôt chic, donc complètement dans les apparences, et de faire déraper les choses progressivement. Elle a notamment fait appel, pour cela, à Martin Deck Roussel, un ami adepte de l’explosion qu’on avait vu à l’œuvre au sein du projet Demeure et Jardin. C’est lui qui fait exploser le buffet de nourriture à la fin de la vidéo. C’était assez jouissif de voir le clip pour la première fois, avec les feux d’artifices, ces personnages qui deviennent fous et le bouquet final avec tout qui explose. C’est tout à fait le genre de situation qu’on peut s’imaginer dans sa tête lorsqu’on est coincé en plein milieu d’une soirée trop guindée dans laquelle on ne se sent pas a sa place.

  • Tu as été sélectionné parmi les Inouïs du Printemps de Bourges, où tu te produiras le 21 avril prochain. Comment considères-tu cette chance de faire partie des finalistes ?

Je crois que je ne me rend pas encore bien compte de ce que ça implique. Pour l’instant, j’ai surtout hâte d’y être ! Cela dit, VOYOV est un projet encore très jeune et je réalise la chance que j’ai de me retrouver au milieu d’un festival comme Le Printemps de Bourges, et ça fout pas mal les pétoches !

  • Quelle dimension prennent tes compositions sur scène ? Les interprètes-tu de manière différente ? T’accordes-tu plus de libertés que sur le format disque ? Et que représentent les concerts pour toi ?

La scène a toujours été le passage que je préférais entre toutes les étapes d’un projet musical. Du coup, j’ai passé beaucoup de temps à réfléchir à la manière dont je voulais présenter celui-là sur scène ; d’autant plus que c’est, et de loin, mon projet le plus personnel. Et j’ai très vite eu envie d’être seul. J’ai fabriqué une petite installation lumineuse qui me suit sur les concerts, j’ai ma trompette et mes autres instruments ; ce qui fait qu’au final, j’ai un peu l’impression d’être dans ma chambre. L’avantage d’être seul, c’est que, d’un concert à l’autre, je peux tout changer si je veux. Pour l’instant, j’en suis à la phase où j’expérimente au maximum. J’essaye de jouer mes morceaux de manière différente, dans des ordres différents, et je peux tester à un concert un morceau que j’aurais écrit deux jours avant. C’est quand même un luxe, et je sens que ça me fait progresser !

crédit : Tamara Seilman
  • Quels sont tes projets dans les mois à venir ?

Je vais continuer de faire des concerts, composer plein de nouveaux morceaux et commencer à penser aux prochaines sorties. J’ai aussi commencé à travailler avec le Chantier des Francos, qui m’accompagne sur deux ans. J’ai hâte de poursuivre le travail avec eux. Sinon, il y a un clip de Tamara pour « Le naufragé » qui est prêt à sortir !


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Raphaël Duprez

En quête constante de découvertes, de surprises et d'artistes passionnés et passionnants.