[Flash #6] Niko Yoko, The Regular Boys, Debate Club, Rainbow Reservoir et Color Animal

Et déjà un sixième numéro Flash,et cette fois-ci à la couleur garage rock/pop garage. Depuis l’avènement planétaire des Beatles dans les années 60, en passant par The Velvet Underground et The Ramones pour aller jusqu’au Feelies, Big Star, Yo La Tengo et autres Galaxie 500, le rock a toujours été animé par des groupes underground, bricolant, à l’abri des feux de la rampe, des pop-songs aussi géniales que bancales, sentant bon le Do It Yourself et véhiculant une réelle soif de liberté et d’exister. En 2016, plus que jamais, un peu partout autour du globe, des groupes perpétuent cette grande tradition : à Paris, Niko Yoko et son insolent premier EP ; à Perth, en Australie, les faussement branleurs Regular Boys ; de l’autre côté de la Manche, les sautillants Rainbow Reservoir ; à Montréal, Debate Club ; et enfin les Américains de Color Animal, basés à Salt Lake City.

[EP] Niko Yoko – Something’s coming

25 octobre 2016 (autoproduit)

Dès ce premier EP justement nommé, « Something’s Coming », nos quatre garçons (dans le vent ?) illustrent avec une facilité déconcertante l’essence même du mythe Pop. Quatre chansons et déjà autant de classiques instantanés. Tous les ingrédients sont là : guitares en avant, basse ronde et agile, batterie énergique et économe ; de l’attitude, pour ne pas dire de l’insolence. Car de l’insolence, il en faut pour balancer ,l’air de rien, un morceau aussi jouissif que « Man Down », hymne en devenir de la cause « indie », comme si les Breeders avaient tapé le bœuf avec la jeunesse sonique de Thurston Moore et Steve Shelley. Avant lui, « Don’t Let It Go » avait parfaitement introduit cet EP avec un aplomb (digne des frères Gallagher ?) annonçant avec malice la tornade à venir. Niko Yoko sait jouer avec ses propres moyens : l’enregistrement maison participe à ce joyeux bonheur partagé. Sans être lo-fi, le mix général est suffisamment simple et minimal pour amener ce supplément d’âme qui a de suite éveillé notre gourmandise. Afin de couronner le tout, David, le chanteur, survole décidément son sujet avec sa voix délicieusement éraillée, qui nous ramène aux balbutiements des Strokes et des Libertines. Le coquin varie d’ailleurs les plaisirs dès le second morceau, avec ses élans mélodiques à la Sean Lennon. Symboliquement, nous n’aurions pas agencé ce format court en plaçant « In the Aftermath », en queue de peloton. Ce morceau, moins ambitieux mais pas moins modeste, ne rivalise pas vraiment avec ses copains de chambrée. Pas grave : nous sommes déjà dans les starting-blocks pour l’année 2017 et un second EP qui devra casser la baraque.


[EP] Regular Boys – Have a go

13 avril 2016 (autoproduit)

Qui dit garage dit Australie ; ce qui nous mène forcément aux icônes nationales The Saints. En 2016, The Regular Boys a les yeux rivés sur la vague punk de la fin des années 70 et se moque éperdument du reste. Loin d’être des manches, nos joyeux rockeurs bricolent sur trois accords des chansons pop parfaites, qu’ils déglinguent allègrement à grands coups de distorsion et de basse-batterie. Histoire de montrer que le punk sait aussi être généreux, une section de cuivres déboule à l’occasion, pour nous filer les derniers coups de latte dans le pogo. Faussement naïf, chaque morceau recèle en son for intérieur un potentiel intrinsèque et surtout des intentions, qui leur permettent aisément de dépasser le cadre de la sauvagerie gratuite. Comme The Ramones, Regular Boys enchaîne les tubes comme des perles : « The Hunt » et son refrain cajoleur, savamment fini à grands coups de guitares dissonantes. The Regulars Boys, qui n’a rien d’un groupe « tribute », sait aussi lorgner du côté du post-punk façon Wire/Joy Division (« Move to the Left », « Cool Toy ») ou du rock alternatif américain « eighties » façon Beat Happening /« Early » R.E.M, pour chercher des nuances qui font de cet EP bien plus qu’une simple curiosité.


[EP] Debate Club – Beko Debate Club

13 avril 2016 (Beko Disques)

Remercions le label indépendant francais Beko de nous avoir lancé sur la piste du groupe Debate Club, avec seulement deux titres à nous mettre sous la dent. Debate Club n’a certes pas eu besoin de plus pour nous retourner le cerveau. En même temps, il suffit de monter le son sur « Problems » pour voir justement les problèmes se pointer. Alors que nous n’en finissons plus de fantasmer sur l’éternel retour (raté) des Pixies, nous ferions mieux de laisser la place à des groupes comme Debate Club qui, eux, n’ont jamais oublié que les deux meilleurs albums (inégalés) de la bande à Franck Black étaient « Bossanova » et « Surfer Rosa ». « The Badlands » se présente ainsi, dans un premier temps, sous un air charmant et une douceur acidulée avant de se transformer en véritable bombe incendiaire. « Problems » pourrait, lui, passer pour un morceau inédit du Gun Club de Jeffrey Lee Pierce. En deux minutes, donner une telle leçon d’efficacité, de puissance et de candeur, n’est plus un simple fait d’armes, mais une nouvelle façon de revendiquer le trône. En même temps, à l’allure où se font les départs cette année, la place sera bientôt libre.


[EP] Rainbow Reservoir – Coco Sleeps Around

2 septembre 2016 (OddBox Records)

Le rock garage partage, avec le punk, cette certaine aversion de la technique ; et ce n’est pas Rainbow Reservoir qui risque de nous contredire. Difficile de lever le mystère sur ce combo totalement jubilatoire, objet (ré)créatif d’une certaine Angela. Angela aime les arcs en ciel (tiens donc !) et Rainbow Reservoir a l’air de jouer en trio. Sa musique, vous l’aurez deviné, est libre et frondeuse ; elle n’a pas froid aux yeux et va droit au but. Dans la grande tradition des titres de chansons ubuesques mais pas absurdes, le très catchy « Kate Moss with a moustache » vole dans un premier temps la vedette. Pas si loin de l’anti-folk de Kimya Dawson et du girl power de Bikini Kill, Rainbow Reservoir alimente avec ce morceau une véritable bouffée d’oxygène et ouvre une parenthèse « fraîcheur » qui tient autant de la dérision que du militantisme politique. Sans se contenter de n’être que de simples faire-valoir, les suivants révèlent des instants tout à fait attachants et un sens de la formule complètement gagnant. Très loin des canons de l’alternatif branché, Rainbow Reservoir symbolise cette philosophie garage par excellence : une raison de plus pour suivre ses aventures discographiques qui n’ont peut-être pas fini de nous surprendre. Allez savoir…


[EP] Color Animal – Extra Fun

13 décembre 2016 (autoproduit)

Difficile de ne pas finir cette quête introspective dans l’univers du garage par un groupe américain. Color Animal, déjà cinq ans d’existence au compteur, et cette année pas moins d’un split-single, un LP et, pour finir tranquillement, un EP bonus avec quatre chutes de studio. Quand nous voyons le niveau des compositions de cet « Extra Fun » EP, nous sommes en droit de nous demander comment il se fait que ce groupe soit encore un de ces innombrables secrets trop bien gardés de la sphère indie US. Car Color Animal pourrait aisément jouer les premier rôles : capable de mettre en œuvre l’urgence mélodique d’un Eagles Of Death Metal (« Hero »), de convoquer sans forcer l’esprit de Dinosaur Jr et des Pixies dans un seul et même morceau (« Awesome Radish ») et enfin de taquiner sur la longueur l’ami Robert Pollard, le leader des Guided By Voices, sur le chemin d’une écriture tout à fait prolifique mais ô combien pleine d’esprit. Après un troisième album certes convaincant mais peut-être un peu trop réfléchi (au printemps dernier), c’est dans la décontraction d’une sortie pour le plaisir en format cassette (et c’est peut-être là qu’est l’esprit garage, justement) que Color Animal illustre, en quatre titres simples, l’essence même de sa musique tellement rafraîchissante et passionnante.


Laurent Thore

Laurent Thore

La musique comme le moteur de son imaginaire, qu'elle soit maladroite ou parfaite mais surtout libre et indépendante.