[LP] Motorama – Dialogues

Devons-nous systématiquement envisager Motorama par le prisme d’un passé, cristallisant le son d’une époque et la mélancolie d’une génération ? Pouvons-nous éternellement refuser un regard d’aujourd’hui, enfin délivré de nos réflexes référencés, pour ne plus voir uniquement en ce groupe russe, l’incarnation d’une nostalgie presque trop parfaite pour être réelle ? Contre toute attente, nous répondrons à ces questions par l’affirmative, tant l’œuvre de Motorama semble de plus en plus mal à l’aise avec son présent, et nous oserions avancer avec la modernité du monde occidental et de la société post-industrielle. « Dialogues », son nouvel album assume en effet plus que jamais son identité romantique, symbole de la résistance artistique farouche qui anime ce groupe définitivement indépendant, et réellement pas comme les autres.

Motorama - Dialogues

Malgré les sirènes de la reconnaissance médiatique, mais surtout celle du public, Motorama ne s’est jamais éloigné de sa quête initiale, débutant son aventure dans l’autoproduction discographique, pour finalement rejoindre l’élégant label alternatif français Talitres. Label, qui accompagne avec finesse et fierté la sortie de ce nouvel album, comme un véritable évènement alors que d’autres rajouteraient simplement une ligne en bas de leurs catalogues. Ainsi, loin des calculs marketing, nos cinq esthètes alimentent avec toujours plus de sincérité leurs compositions. Flirtant par moments, dangereusement, avec une naïveté juvénile presque attendrissante (« Above The Clouds »), la chute est parfois très proche, mais finalement toujours absente d’une discographie qui n’est désormais plus simplement séduisante, mais en tout point impressionnante.

Dessinant à l’envi dans ce disque, de délicates déclinaisons postmodernes, des turpitudes de l’adolescence et de l’amour et plus largement du manque et de la solitude, le groupe nous ouvre les pages de son journal intime, celui d’un groupe uni comme les doigts de la main, foncièrement animé par la question infinie des sentiments humains. À l’image du morceau « I See You », Motorama articule habilement ses chansons fragiles sur des formulations tellement simples, presque banales, mais jamais futiles. Elles deviennent alors de formidables instantanés monochromes, que viennent idéaliser dans nos imaginaires, les ombres de plus en plus troublantes qui animent la pochette de « Dialogues ». Répétant plusieurs fois comme une liturgie « How can I sleep tonight ? », le chanteur Vladislac Parshin prononce soudain cette phrase ; « When I closed my eyes, I see you » qui enverrait la plupart dans les méandres du pathos. Associant l’enfermement psychologique qu’entraîne l’absence de l’être aimé, à la métaphore d’un dancefloor cloisonné, seule échappatoire à cette répétition insomniaque. Le soulagement viendrait  symboliquement de l’émergence de notes synthétiques et enfin une forme de libération illusoire serait annoncée par cette élégante guitare chorus. Les mots, au-delà du sens, exacerbent les émotions, par la fragilité de leurs intentions, par la douceur du chant qui les invoquent : ils deviennent ainsi partie intégrante de la musique et plus simplement posé dessus, à la manière d’un arpège ou d’un accord de guitare. Paradoxalement, Motorama ne sombre jamais dans un désespoir sans fond ; une lueur est toujours présente quelque part, comme une bougie célébrant la beauté et les nuances de l’existence.

« Dialogues » s’affirme d’écoute en écoute et peut même devenir un objet irrésistible, proche de l’accoutumance ou de l’overdose, tant Motorama ne fait pas les choses à moitié. De petits trésors de simplicité, ces morceaux se transforment facilement en véritables obsessions, venant habiter notre quotidien comme notre esprit, comme les berceuses de notre enfance. Dans un registre pourtant assez éloigné (quoique ?) Motorama cultive comme David Eugene Edwards, cette aptitude quasi religieuse qui confondrait l’activité musicale, avec l’expression la plus pure de la foi (en dehors de tout dogmatisme) ou tout simplement de notre humanité. Dans notre pays, marqué par son rapport à la laïcité, voilà des propos qui pourraient ouvrir bien des débats. Pourtant si nous regardons avec objectivité les artistes qui forment nos panthéons respectifs, un certain nombre et notamment les Américains n’opèrent aucune distinction entre la musique profane et la musique sacrée, et assume des formes de spiritualité, certes très variées, mais qui nourrissent sans commune mesure leurs œuvres. Très honnêtement, nous ne sommes pas en train d’affirmer que Motorama irait chercher dans une quelconque religion les ressorts de son art, bien au contraire, mais force est de constater que peu de groupes arrivent à mobiliser une telle générosité, car point de doute, pour écrire et enregistrer un disque aussi entier que « Dialogues », il faut aveuglément croire en l’humain et en cette force du collectif, qui symbolise tant ce groupe.

crédit : Maria Bartulis
crédit : Maria Bartulis

Au-delà de l’image d’Épinal, qui pourrait également coller aux basques de l’ancien leader de 16 Horsepower, la figure christique de Ian Curtis transpire dans chaque note de ce disque, sans pour autant voler la vedette. Il est ainsi parfois des mystères, pour ne pas employer les mots de « petit miracle » qu’il est préférable de préserver ou de ménager, comme celui qui avait finalement mené le chanteur de Joy Division à prendre un jour le micro, ou comme celui qui guide aujourd’hui avec tant de passion la musique de Motorama.


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Laurent Thore

Laurent Thore

La musique comme le moteur de son imaginaire, qu'elle soit maladroite ou parfaite mais surtout libre et indépendante.