[Live] Jeanne Added et Tisiphone à l’Épicerie Moderne

Succès surprise critique et commercial de l’année passée et révélation scène auréolée d’une Victoire de la Musique, Jeanne Added débarquait sur les planches de l’Épicerie Moderne pour défendre son premier album, « Be Sensational ». Malheureusement, la première partie annoncée et attendue de Mensch fit faux bond pour raisons de santé quelque temps avant le concert, remplacée au pied levé par un groupe local de moindre ampleur, Tisiphone.

Jeanne Added © Lucie Rimey Meille
Jeanne Added – crédit : Lucie Rimey Meille

La guigne planait-elle décidément sur la première partie de Jeanne Added ? Les Lyonnais de Tisiphone, remplaçant au pied levé Mensch, en ont en tout cas fait les frais. À la fin de leur premier morceau plutôt sympathique, mais pas transcendant, le guitariste du groupe, passablement énervé et légèrement paniqué, demande au public, à moitié sérieusement, si personne n’a de guitare électrique sous la main. Un vent d’abandon flotte quelques instants et le défaitisme du musicien surprend un peu, mais après quelques minutes d’hésitation, une guitare est trouvée et le concert repart. Tisiphone est donc un trio mené par une chanteuse-batteuse, accompagnée d’un guitariste-claviériste et d’une bassiste-percussionniste. Le projet officiant dans une sorte de dark synth-pop ampoulée plutôt à la mode, façon Son Lux, leur concert déçoit un peu, lasse beaucoup.

Les titres se suivent et se ressemblent pour la plupart, avec du mieux sur le troisième, où le chant abstrait et suraigu de la leader fait enfin des étincelles avec la théâtralité affectée du groupe, évoquant rapidement le Nina Hagen Band (le maquillage joue aussi). Durant une cinquantaine de minutes, le trio égrène des titres interchangeables pour la plupart, où l’on retrouve des marqueurs systématiques qui traduisent paradoxalement le manque d’identité musicale de la formation lyonnaise : intros martiales à la batterie, grosses nappes de synthé ou envolées d’une guitare menaçante et saturée. Le groupe est pris dans un grand écart perpétuel entre des morceaux catchy plutôt efficaces (ceux qu’on retient au final du concert), et ses velléités plus sombres et planantes, mais mal maîtrisées et qui font basculer le tout dans quelque chose d’exagéré, voire de prétentieux et plutôt agaçant. Néanmoins, l’impression est vite contredite puisqu’au stand de merch, les musiciens se montrent très sympathiques et naturels avec le public, et je fais l’acquisition d’une très jolie sérigraphie à l’effigie du groupe.

Vers 22h10, Jeanne Added et ses trois musiciens (deux filles claviéristes et un batteur) prennent place sur scène et entament le concert. N’ayant pour le moment que son premier album, « Be Sensational », à défendre, la bassiste et chanteuse doit trouver des astuces pour prolonger le plaisir et ne pas jouer seulement trois quarts d’heure devant une salle comble. C’est un défi qu’elle relève haut la main, la setlist affichant au final douze morceaux pour plus d’une heure de set sans aucun temps mort.

L’album est donc joué dans son intégralité et dans le désordre, en commençant par la chanson-titre. Le chant est harmonisé avec une des claviéristes, également musicienne de tournée pour The Dø, dont Dan Levy a par ailleurs produit « Be Sensational ». Cette influence, déjà perceptible en studio, prend de l’ampleur en live, puisque les titres s’étirent volontiers en longues jams électroniques qui flirtent souvent avec la techno et se marient très bien avec la basse presque punk de Jeanne. Si le début du concert reste de ce point de vue assez timide, même si parfaitement exécuté, comme sur le très dansant « Miss It All », dès « It », les musiciens foutent le feu et viennent chercher un public qui ne demande que ça. L’attitude de la bassiste sur scène est parfaite : elle l’arpente en large et en travers, sautillant partout, venant s’appuyer sur la réaction de son auditoire, auquel elle s’adresse régulièrement entre les morceaux. Elle nous remercie ainsi de lui offrir l’honneur d’un concert sold-out plusieurs semaines avant sa venue, et tout en restant extrêmement naturelle, voire un peu gauche, s’amuse avec la lumière ou le micro.

Sa très belle voix parfaitement placée fait des merveilles sur les pistes les plus calmes du disque comme « Ready », ou sur d’autres où son débit se rapproche presque d’un flow de rappeuse, à l’instar du survolté « A War is Coming », dans une version particulièrement musclée. Parmi les autres belles surprises de cet excellent concert, on citera une touchante reprise du « Five Years » de David Bowie, ou le très The Dø dans l’âme « Back to Summer », morceau hyper dansant et joliment étiré qui fait pas mal se mouvoir la fosse. L’acmé du concert est toutefois atteinte avec le titre suivant, « Lydia », un des plus poignants du disque, sorte de règlement de compte post-rupture et qui voit Jeanne Added se muer en une petite boule de nerfs extatique tout au long des plus de dix minutes de la version live, durant laquelle elle quitte la scène puis revient, criant et jouant sur les effets de voix de son micro. Ses remerciements seront longs et humbles, la jeune femme n’oubliant personne (musiciens, techniciens, proches, public) avant de quitter la scène après avoir joué le très émouvant « Suddenly » et son final a capella repris en chœur par la foule et qui tire une petite larme à la jeune femme.

Les rappels seront généreux et en deux temps. Seule tout d’abord, elle effectue un sympathique solo de basse tout en loops, rappelant qu’elle est avant tout une instrumentiste douée. Elle joue ainsi deux morceaux en solo, au chant avec sa basse, dans un registre dépouillé (voix hors micro, ce qui en dit long sur le silence attentif du public) qui lui sied plutôt bien, puis les musiciens reviennent sur scène pour jouer tous ensemble « Night Shame Pride » devant une audience définitivement conquise. Avec ce très beau concert, Jeanne Added démontre l’étendue de son pourtant jeune talent, en toute maturité. On a hâte d’entendre et de voir la suite !


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Maxime Antoine

cinéphile lyonnais passionné de musique