[LP] Daughter – Not To Disappear

Raz-de-marée oblige, droit dans le cœur, les Londoniens de Daughter reviennent avec leur dimension sensible et cafardeuse. Les résonances sont toujours là, plus corsées et épineuses. Comme à leur habitude : « Not To Disappear » est une pure merveille.

Daughter - Not To Disappear

C’est sûrement la plus belle attente. Elle fut longue tout de même. Trois ans sans qu’aucune lueur ne vienne à nous. Enfin, lueur peut être pas ; plutôt une ombre racoleuse, sirupeuse et mélancolique, comme celle qui hante leur premier opus « If You Leave », une bulle qu’Elena Tonra a prise pour son thérapeute. Elle y légiférait doucement sa révolte contre un système abrasif (sur la jeunesse avec « Youth »), mais aussi des questionnements plus personnels, sur le temps qui passe et sur les profondeurs de l’âme (le troublant « Shallows »). Toujours poétique, mais avec des mots incisifs, une rythmique caverneuse et électrique, de lourdes percussions, des échos de guitares et riffs élancés. Toute l’armature d’une dream-pop alternative et noire qui fait toute la renommée de ce groupe formé à Londres, mais d’horizons différents. En ce début d’année, le trio franco-belge-anglais fait évoluer sa signature sur le stade délicat du second album : « Not To Disappear » désarme en premier et émerveille ensuite. Il fait volte-face, comme un boomerang qui nous revient en pleine tête lorsqu’on ne s’y attend pas. Surprenant de bout en bout, il n’est pas prêt de disparaître des mémoires.

Cet album, comme l’énonce si bien le fantasque « New Ways », emprunte de nouveaux chemins, moins endoloris et moins parsemés d’ornières : ils sont désormais couverts d’épines et bordés de gros rochers. Daughter troque l’acoustique et les mélodies intimistes contre des sonorités plus rock et affirmées, avec en prime une électronique qui sert le rythme des pistes et non leur capacité à planer dans la stratosphère. Ces changements bouleversent nos attentes. On sera peut-être déçu au premier abord de ne pas entendre ces ballades langoureuses qui faisaient lever notre peau, on regrettera les déchirantes « Smother » et « Tomorrow ». Elles sont toujours là, mais elles ne seront plus servies sur un plateau d’argent : l’explicite a remplacé l’implicite. Souvenez-vous de « Winter », le titre d’ouverture de leur premier opus, « Not To Disappear » se trouve dans la même veine : un sentiment de familiarité pour « Numbers » et « Doing The Right Thing », une surprise dream-pop à la Beach House avec « How », une interrogation pour l’épileptique « No Care » et un déluge de plaisirs pour « Mothers », « To Belong » et le sublime « Fossa ».

Au-delà de toutes les nuances faites, dans les tréfonds de la pochette de Sarah Shaw, Daughter réussit le passage du second album haut la main. Le trio londonien séjourne toujours parmi les chimères qu’il a lui-même inventées et triomphalement dispersées dans nos oreilles. Elena chante « I feel numb in this kingdom ». C’est bien de cela qu’il s’agit : elle se sent engourdie dans ce royaume, et nous dans le sien.

Daughter

« Not To Disappear » de Daughter, sortie le 15 janvier 2016 chez 4AD.


Retrouvez Daughter sur :
Site officielFacebookTwitter

Photo of author

Julien Catala

chroniqueur mélomane, amoureux des échanges créés autour de la musique indépendante