[Live] Villette Sonique 2015

Festival éclectique et pointu du panorama musical parisien, l’édition 2015 de Villette Sonique en profitait, à grands coups de programmation majestueuse sur une durée de sept jours, pour fêter son dixième anniversaire. Grâce à des concerts répartis sur cinq lieux différents (le Trabendo, la Grande Halle, le Cabaret Sauvage, le superbe Parc de la Villette et la classieuse Philharmonie 2 au sein de la Cité de la Musique), le public a pu en prendre pour son grade niveau décibels et originalité.

The Black Angels © Nicolas Meurillon

Pour ma part, présent le lundi et le mardi, suivez mon report de ces deux jours hauts en couleur.

En ce lundi férié, une grande messe était organisée dans la Grande Halle de la Villette, bâtiment métallique servant de refuge pour la soirée à trois groupes psychédéliques assez différents, mais qui au final ont su marier leur goût pour les guitares saturées et les jams plus ou moins improvisés.

En première partie, Morgan Delt nous engage sur les pentes fleuries et proprettes (un peu trop) d’un set sans faux bond pour les deux premiers tiers, mais qui prendra toute sa dimension sur les trois derniers morceaux (rappel compris). Sa fin de concert laisse venir des plages plus barrées ; ça joue très bien, mais on se demande si seul le batteur et le second guitariste (qui n’est pas Morgan Delt) se font plaisir sur scène.

Si cela reste de très bonne facture, le concert manque légèrement de folie. Je décroche un peu du set sur le rappel, laissant ma place aux nombreux photographes présents ce soir (une dizaine, et pas des moindres… un certain monsieur Philippe Levy est dans la salle) profitant au passage pour aller déguster un bon repas festivalier : bière et chips (mon addiction à la nicotine me fera découvrir un peu plus tard un stand de galettes à l’extérieur de la Grande Halle ; too late…).

S’ensuivent les nouveaux arrivants de l’écurie Born Bad Records, les Canadiens de Chocolat, venus nous faire découvrir leur nouvel opus, « Tss Tss ». Avec cet album enregistré quasiment live début 2014, j’étais intéressé de voir si leur prestation sur scène allait être aussi foutraque que les prises studio. Et avec un guitariste (Emmanuel Ethier) ayant partagé la scène pour un duo avec Cœur de Pirate, le mélange psyché bancal teinté de prog ne manquait pas d’éveiller ma curiosité.

Et il faut bien avouer que la sauce a plutôt bien pris ; dès les premiers morceaux, c’est un univers onctueux de riffs pêchus et bien groovy, édulcorés de plages de synthés, parfois à la limite de la syncope. Le chanteur (un proche parent de Jay Mascis – ne me demandez pas pourquoi, probablement la chevelure …) possède une voix à la limite du nasillard, qui fait parfois un peu peur et qui gène légèrement aussi à la compréhension des paroles. Mais peu importe, la musique est vraiment incroyablement mélodique et les morceaux s’enchaînent telle une dégustation de… chocolats en période de fêtes. C’est savoureux, ça fait l’effet d’un antidépresseur, on a parfois la sensation que l’on va être écœuré, mais c’est tellement bon qu’on y revient le sourire aux lèvres et la tête gavée de dopamine.

Après cette petite digression gustative, sautons au plat principal, The Black Angels, que j’avais malheureusement manqué l’an passé au festival Levitation à Angers. Ici, peu de fioritures, ça joue au cordeau et c’est plutôt bien ; les envolées psychédéliques répondent aux projections hyper colorées en arrière-plan. La batterie martèle une rythmique entêtante, autour de laquelle les quatre protagonistes masculins emmêlent leurs riffs quasi-lysergiques à la manière d’une plante grimpante.

On sent particulièrement que le public est venu en masse pour participer au voyage, ça pousse fortement au premier rang, et la chaleur humaine rend l’atmosphère un peu étouffante. Des corps légèrement disloqués nous surplombent parfois, slamant après être montés sur scène ; d’autres n’ont pas cette chance et s’affalent au sol, tout en gardant ce sourire béat des gens heureux malgré l’échec. Tout ça sous le regard amusé de nos cinq musiciens.

Pour ma seconde soirée Sonique, changement de lieu. Grouper et Sun Kil Moon sont invités à jouer au sein de La Philharmonie 2 de la Cité de la Musique. Pour donner une idée de l’ambiance de ce soir, il est important de planter le décor : salle de 900 places assises, avec une réverbération naturelle impressionnante. Nous sommes dans un lieu cosy ou l’on s’attend à première vue plus à voir un orchestre classique qu’une formation rock.

Cela tombe plutôt bien car Liz Harris, aka Grouper, assise en tailleur au milieu d’une scène qui semble presque titanesque et à demi cachée derrière son Epiphone, nous assène une pop délicate et brute ; joyau noir, amplifié par l’acoustique démente de la salle. Sur la grande façade derrière elle, des projections sont diffusées : des images de jeunes filles pieds nus face à l’océan et kaléidoscope de lumières urbaines se mélangent dans une cérémonie mélancolique et apaisante. Le public paraît pleinement conquis, les applaudissements sont hésitants à la fin de chaque morceau. Il est vrai qu’il est difficile, une fois que le silence se fait et que les derniers échos du piano se taisent, de revenir à la réalité, tant l’atmosphère créée est envoûtante.

C’est probablement pour nous laisser sur un sentiment d’instants musicaux volés que Liz Harris « s’enfuira » de la scène, pour laisser place à Sun Kil Moon.
Mark Kozelek
entre donc en scène, accompagné par trois musiciens, pour nous interpréter un set composé de morceaux de « Benji », son précédent album, et du tout fraîchement paru « Universal Themes », sorti sur le label Caldo Verde. Le public semble avoir légèrement changé, l’ambiance a l’air d’être un peu plus détendue, la nonchalance du songwritter californien y jouant pour beaucoup. Pour ma part, j’assiste à une complète réinterprétation d’un album (« Benji ») et c’est assez jouissif. Autant les compositions studio dégagent quelque chose de pesant et crépusculaire, autant sur scène, l’intensité de la musique est bien présente, mais entrecoupée de puissantes montées rythmiques et vocales. Le chant de Mark Kozelek, qui peut paraître monocorde lorsqu’il déverse ses contes sarcastiques inspirés du quotidien, prend ici une dimension tout autre. Il parvient à emmener son répertoire sur un versant bien plus rock, tout en gardant un flegme énigmatique ; probablement la signature d’un des meilleurs compositeurs de sa génération.


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