[LP] Laura Carbone – Sirens

Un premier véritable album qui prouve à nouveau la curiosité infinie et le virage rock âpre et multiple pris par l’artiste allemande.

Laura Carbone - Sirens

On sait déjà, et on ne le répétera jamais assez, que les musiciens ont parfois ce besoin irrépressible de totalement abandonner leur genre de prédilection et de foncer tête baissée vers de nouvelles ambitions artistiques, sans regarder en arrière. Une course effrénée, incontrôlable et que rien ne semble pouvoir arrêter. La compositrice allemande Laura Carbone en fait partie, elle qui avait connu un succès assez imposant avec l’entité Deine Jugend au début des années 2010. Mais, au lieu de prolonger les mouvements électro-rock de son expérience précédente, elle laisse aujourd’hui libre cours à l’urgence, à ce désir fou de se confronter, les armes mélodiques à la main, au rock pur et dur. Après un premier EP osé et sensuel (Stigmatized), dont elle reprend ici l’intégralité, la demoiselle sort aujourd’hui son premier album solo, « Sirens ». Et fait chauffer les guitares pour endurcir ses titres précédents, créant ainsi un disque homogène et impressionnant de maîtrise tourné autant vers le passé que vers un avenir qui s’annonce sous les meilleurs auspices pour cette formidable créatrice.

Et de l’énergie, « Sirens » en a à revendre. Cavalcade mesurée mais à la liberté harmonique fulgurante, le LP revêt les gris atours de sa pochette, cette solitude quasi-religieuse qui empêche d’imploser mais démontre de l’opposition au laisser-aller et à la dépression. Une route pourtant pesante, comme si les bagages d’une vie antérieure étaient difficiles à porter mais que la chanteuse avançait malgré tout (Silky Road). Une entrée en matière qui ne laisse pas deviner un seul instant l’exaltation de désirs refoulés, le cri contre la soumission que bercent de savantes influences 80’s (Swans, Heavy Heavy), ancrant les compositions dans un romantisme noir obsédant et sensuel. En alternant continuellement le calme de plages intérieures et réflexives et le dépassement, reflets des instants de contemplation existentialiste nécessaires à la démonstration de force qui se dévoile alors devant nos yeux embués de larmes pourpres (Stigmatized). Pénétrant parfois dans une pop intelligente et assumée comme telle, arrangée à la perfection et dans laquelle aucun détail mélodique n’est laissé au hasard (Exes), Laura Carbone appelle également des guitares et batteries en roue libre, avançant à la vitesse d’un cheval sauvage qu’elle seule parvient à dompter (Innocent, Late Night Conversations), avant de mieux s’enfoncer dans les eaux sombres de la saturation (Favorite Disease) et du mouvement ralenti de pas que les éléments liquides ralentissent, apaisant un mouvement toujours sûr de lui, contre vents et marées (Blue Birds Fly, Drive By Shooting).

Au lieu d’emprunter la voie toute tracée que son EP précédent laissait apparaître, Laura Carbone accepte de réconcilier fragilité et volonté, d’affirmer sa sensibilité au travers de chansons autant introspectives que festives. Des sculptures taillées au ciseau puis adoucies avec un soin presque maniaque mais à l’efficacité incontestable. « Sirens » est une fuite vers le futur, tout en jetant un regard sage et réfléchi sur les événements ayant amené la belle dame là où elle se trouve, ici et maintenant. Elle pose alors ses bagages, prend une lente respiration et saisit, dans la poche d’une veste élimée par le pèlerinage qu’elle s’est fixé, des photos jaunies, instantanés dont elle s’inspire pour créer. L’album est le journal intime d’une quête au plus profond de soi et d’un regard porté sur le monde qui l’entoure, en ouvrant enfin son esprit et ses mains pour accueillir de nouvelles sensations. En pleine nuit, debout au milieu du parking d’un hôtel désert au bord d’une route montagneuse, sous la pluie qui tombe doucement autour d’elle et imprègne ses vêtements, elle se réchauffe au contact de sonorités qu’elle seule semble entendre, qu’elle apprivoise et entonne pour les donner à un public alors imaginaire, mais qui sera là quand elle foulera les planches. Une remise en question absolue autant qu’une envie incandescente d’allumer les bougies de l’inspiration, parfumées et entêtantes, pour nous raconter son périple et les chemins qu’elle reprendra par la suite, différents comme on le devine, mais au bord desquels on l’accompagnera. Puisque personne ne pourra résister à ce magnifique chant des sirènes.

Laura Carbone

« Sirens » danse autour des flammes, les traverse parfois et les caresse souvent. Une brillance rock au milieu des ténèbres, que l’on admire sans jamais être capable de baisser les yeux. Fascinant et obsédant.

« Sirens » de Laura Carbone est disponible depuis le 27 janvier 2015 chez Duchess Box Records.


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Raphaël Duprez

En quête constante de découvertes, de surprises et d'artistes passionnés et passionnants.