[LP] Saigon Blue Rain – What I Don’t See

Plongée dans les échos aériens et sensuels de la cold wave, entre ciel et océan, entre eau et glace.

Saigon Blue Rain - What I Don't See

Des traces de pas dans une neige épaisse. Un blizzard dense. On ne voit pas à deux mètres, la nuit tombe et on s’enfonce dans des forêts hantées, seul, alors que le reste de la cordée est resté loin derrière, préférant ne pas affronter les éléments. Mais il en faut plus pour renoncer. Il en faut davantage pour ne pas aller découvrir la source de ces mélodies douces-amères et de cette voix de sirène des glaces. Et plus on avance, plus on croise les os d’animaux légendaires, dépouillés de leur chair ; leurs carcasses sont lisses, gracieuses même. Tant et si bien que l’on croit s’approcher de l’antre d’une créature qui est autre, qui n’existe que dans notre imaginaire mais dont les chants et musiques nous attirent irrémédiablement.

Entre deuil et éveil, Saigon Blue Rain explore la cold wave de fond en combles et se laisse porter par ses ténèbres les plus attirantes pour en boire la sève et étancher sa soif irrépressible. Entre pulsations et guitares fermes et versatiles (Borealis), harmonies languissantes et superbement glacées (So Cold), le groupe préfère avant tout déployer ses ailes noires sur un genre souvent imité mais jamais égalé. Pourtant, «  What I Don’t See » prouve admirablement qu’avec un respect intense et une concentration de tous les instants, on peut survoler les plaines désertes de ce rock ankylosé et se reposer dans ses neiges éternelles. Magnifique de noirceur mais aussi de lumière filtrant au milieu d’aurores boréales éclatantes (I Wanna Be You, L’Offrande), le duo offre un regard chargé de larmes sur des décors brisés, sur les ruines de bâtisses abandonnées où l’air est épais et chargé d’électricité. Des vapeurs électro sombres et fascinantes éclairent ce chemin que l’on emprunte tandis que la nuit tombe (Queen Ephemeria) et que l’on découvre enfin la Pythie des décombres où l’on s’est enfoncé (Lovelorn), pour ne plus pouvoir reculer. Mais qu’importe, tellement on se sent bien en sa compagnie.

Ainsi, quand on tend l’oreille pour se focaliser sur les harmonies superbes et émouvantes de Saigon Blue Rain, on voit l’asphalte noir des routes se couvrir de pluie, les rues devenir enfin désertes, chacun préférant se mettre à l’abri. Mais on reste debout, buvant les gouttes et contemplant les formes changeantes des nuages au-dessus de nous. Le décor, par magie ou invocation de puissances supérieures, change mystérieusement. Un noir et blanc s’installe lentement sous nos yeux, toute couleur disparaît pour ne laisser que l’intensité primaire, les contours d’ombres qui semblent nous appeler. L’attraction des astres brillant dans l’obscurité qui s’installe progressivement est à l’image de ces chansons de la mélancolie et du désir, de la sensualité et du miel de la vie. Elles sont une marche réfléchie et lente vers un destin qui sera à jamais métamorphosé. Vers les émois d’une innocence perdue mais qui nous colle à la peau autant que les sangsues purifiant notre sang.

« What I Don’t See » est une torche dans le noir, la flamme d’une bougie à moitié consumée mais sans laquelle il nous serait impossible de survivre un seul instant dans les ténèbres de nos existences. Plutôt que de porter un regard accusateur sur la réalité, le duo observe la face onirique des éléments, des actes et des paroles. Avant de nous offrir ses charmes étranges et dissimulés sous le gel. Si le froid peut brûler, nul doute que les titres qui nous sont donnés ici marqueront nos peaux à vie, tatouant nos désirs et fantasmes pour toujours sur nos corps.

crédit : Marie-Line Pochet
crédit : Marie-Line Pochet

Pour ne plus laisser planer le doute sur le sulfureux et magnifique univers de Saigon Blue Rain, leur récente reprise du « Goodbye Horses » de Q Lazzarus devrait achever de convaincre les plus sceptiques. Ne reste plus qu’à plonger plus loin, toujours plus profondément dans ces eaux troubles mais pourtant tellement confortables et enivrantes.

« What I Don’t See » de Saigon Blue Rain, disponible depuis le 5 septembre 2014 chez Cold Insanity Music.


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Raphaël Duprez

En quête constante de découvertes, de surprises et d'artistes passionnés et passionnants.