[EP] Cabeza De Vaca – EP II

Comment transformer la cold wave en expérience étoilée et aérienne, tout en tissant la toile monochrome d’un tableau musical multiforme.

Cabeza De Vaca - EP II

On marche au milieu de la rue, alors que le pavé scintille après une pluie battante qui vient enfin de se calmer. Il fait nuit noire et seules les lumières blanchâtres dominant les trottoirs vides offrent un semblant d’éclairage devant nos pas. Tout est désert. On a beau regarder autour de soi, aucun mouvement, pas âme qui vive. Mais on s’en moque un peu, à vrai dire. Après tout, n’avons-nous pas voulu être là, à cet instant précis, par besoin de solitude ? Donc, on marche. Lentement. Sans qu’aucun pas ne soit plus sûr que l’autre. Retour de soirée arrosée ou déprime après la rupture, on ne saura jamais.

Tout à coup, des mélodies. Simples, lentes, éthérées. On ne peut en deviner la provenance. La musique des Parisiens de Cabeza De Vaca, avec ce deuxième effort sobrement intitulé « EP II », nous encercle et virevolte autour de nous. Des fantômes, des esprits perdus qui ont pour seul but de nous guider dans cette errance inaboutie et qui ne sera, au bout de quelques minutes, que trop éphémère. Alors on s’arrête. Et on écoute, le cerveau embrumé par les folies et drames que l’on a traversés quelques instants auparavant ; ceux-là même qui nous ont amenés ici, maintenant.

« Marche », nous dit-on, au milieu de vagues mélodiques lentes et faites de lumière noire, synthétiques mais profondément humaines, bercées de pulsations électroniques discrètes et cardiaques (Feelings Get Cold). « Laisse faire, c’est possible » nous confiait Jeff Bridges, rescapé d’un crash aérien dans un film de Peter Weir. Et le mécanisme brumeux que le groupe invoque s’emballe, se révèle doué d’une vie propre de pulsations cold wave (Nahash). Les choeurs deviennent alors envoûtants et sont le chant nocturne d’animaux qui, plutôt que prédateurs, deviennent veilleurs, mêlant leurs voix aux mélopées des nuages qui, doucement, reviennent pleurer sur nous (Wolf). On s’éveille, on accélère le pas, puis on court, vers un destin inconnu mais inéluctable (Push Me on a Highway).

« EP II » aurait tout du simple rêve éveillé s’il ne contenait pas cette chaleur, ces braises qui résistent face aux éléments désireux de les éteindre. La superficialité des instruments mécaniques est occultée par une formidable maîtrise de leurs capacités harmoniques, de leur importance langagière dans un contexte de rythmes sensitifs et de guitares discrètes et nébuleuses. Dans ces lieux uniques où l’on divague, comme happé par l’opium et désincarné dans ses vapeurs. Quand d’autres veulent atteindre le firmament, Cabeza De Vaca n’a qu’une ambition, plus raisonnable et humble : marcher sur les nuages, éprouver les brises et courants d’air d’un lieu irréel mais tellement réconfortant.

Entre terre et ozone, la musique est un chemin dont on ne distingue pas le bout mais qu’il est nécessaire d’emprunter, afin de sentir ces gouttes fraîches et microscopiques sur nos visages enflammés par le chagrin. Un réconfort à l’aspect mélancolique. Une caresse de velours sur la douleur. Un baume à l’âme plutôt qu’au cœur. Le paradis est ici naturel, sous un masque électronique qui cache les véritables traits de créateurs imprégnés de lumière et de sérénité. Ce qui pourrait alors devenir une nuit de cauchemar se métamorphose en repos, sagesse et plénitude. On redescend du choc par des sentiers infinis et authentiques, mystérieux et doucement admirables. « Allonge-toi », semblent nous dire les voix. Et l’on obéit, sans aucune résistance.

Cabeza De Vaca

Limpide et mémorable, « EP II » est autant une porte ouverte vers la douceur qu’un constat onirique de la douleur morale. Mais surtout, c’est une réponse à la souffrance de l’esprit, un espoir libéré des sources noires du deuil.

« EP II » de Cabeza De Vaca, disponible depuis le 25 novembre 2014 chez Wigwam Records.


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Raphaël Duprez

En quête constante de découvertes, de surprises et d'artistes passionnés et passionnants.