[EP] Mathilde Forget – Le sentiment et les forêts

Le temps fait venir les doutes. Les doutes font venir le temps. Est-ce qu’à trop écrire, on n’écrit plus ? Est-ce qu’à trop aimer, on n’aime plus ? Est-ce qu’à trop se perdre, on se trouve ? Écouter Mathilde Forget pose des questions. Écouter Mathilde Forget se comprend au plus profond des viscères.

Mathilde Forget  - Le sentiment et les forets

Les mots ne parlent plus au cœur ni aux âmes. Les mots parlent au sens. Comme au travers d’un tableau de Caspar David Friedrich, on comprend le sublime. L’émotion extrême. Celle qui submerge. Celle qui renverse. Le son se trouve dans la nature. Nature humaine. Nature métaphysique de la musique.

Il y a, dans « Le sentiment et les forêts », l’idée de la cohésion et l’idée de la perte. L’unique fragilité face à l’immensité. Sublime combat entre chien et loup. Entre pesanteur et apesanteur. Alors se détache de soi une mélancolie fière et grande. De celles qui maintiennent les têtes droites. Il n’y a plus le poids des mots, il n’y a que leur envergure. Brise tenace qui s’étend sur les histoires achevées, comme elle étreint les cimes et balaye les forêts. Les mots ont un sens. Mathilde le sait. Ses textes ont la force des poèmes d’une époque passée. La noblesse d’une vie comprise. On comprend alors que la maturité n’est que regard. La lutte devient contact. L’absence devient renaissance. Le sentiment devient forêts. Ce sont quatre titres. Quatre titres qui saisissent. Quatre titres qui apaisent. Car on comprend là que la chute n’induit pas la fin.

Doit-on pleurer pour chaque défaite ? Doit-on maudire chaque méandre ? Les textes sont des sens et non des réponses désavouées. Il faut alors les entreprendre, comme on tourne la tête. Comme on regarde en arrière. Hymne à un pardon. Hymne à l’acceptation. Mathilde Forget dessine, au creux des « Détours », la cruauté des amours échouées d’un temps qui passe. Parole d’une jeunesse contemporaine. Parole d’une jeunesse lucide. Tout est beau. Tout est violence. La crudité se livre dans la fatalité d’un sentiment qui se meurt. Mathilde prend soin de se lover dans l’immensité de la nature. De jouer des courants et des sommets. La sagesse s’est fait la malle, comme le marin prend la mer. Le combat amène-t-il l’abrasion ? « À l’usure », salement amer. Juste des mots portés par un souffle, pour comprendre que le sentiment n’est pas faute.

Et pourtant, tout contraste, tout s’adoucit. Il y a chez Mathilde Forget et sa musique une certaine candeur, une certaine insolence fébrile. Faiblesse qu’on découvre au détour des mots et des respirations. Sûrement que la grandeur émane de ces failles. Au fil des sens, une fragilité se laisse emporter à travers les tempêtes, les vents et les abîmes. C’est dans ce conflit que la beauté tiraille, que la noblesse sublime. La force en transparence du fragile. La violence qui découvre le sensible.

L’allégorie exalte des textes et infuse dans une musique aérienne. L’orchestration est cosmique, là où le souffle est charnel. Spasmes sonores dans une atmosphère pesante. Le piano est conquérant. Les cordes envolées. On y retrouve la bataille. Les conquêtes et les défaites. Des perles d’effervescence sur les mélodies. La musique n’est plus que sensation. Souffle sur l’écorce. Souffle sur les peaux. Elle sublime de sa poésie la grandeur des soupirs de Mathilde Forget. Pulsion doucement tribale. Fortement animale. « Au bord des rivières ». Palpitation viscérale. La voix s’en prend au chant. Le triomphe des sensations approche. L’apogée du sublime s’en vient. Serait-ce dans l’espace que les cris et les échos se perdent ? Serait-ce le chant des sirènes qui nous tue sur des « Vues sur la mer » ? Solennels, ce sont les cuivres qui achèvent les derniers battements de cœur. Les dernières mesures. Les dernières forêts.

Grand de lucidité et d’intelligence, « Le sentiment et les forêts » se donne à l’orée de l’obscurité.

crédit : Laura Bonnefous
crédit : Laura Bonnefous

« Le sentiment et les forêts » de Mathilde Forget est disponible depuis le 24 novembre 2014.


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Juliette Durand

étudiante en cinéma, arpenteuse des scènes parisiennes et passionnée des musiques qui prennent aux tripes