[LP] Hozier – Hozier

Viscéral, pastoral et ô bien mené de mains célestes, le premier album d’Hozier est un bouquet de belles épines, présenté main tendue aux amoureux du groove.  

Hozier - Hozier

Regroupant les envolées vocales des protestants puis des chrétiens noirs appelées negro spirituals, acolytes du blues dit primitif, le gospel signifie étymologiquement « appel de Dieu ». Il va sans dire qu’il est difficile chanter comme un Noir sans faire des louanges au Ciel. Et, sans prendre parti, Hozier parle d’églises et de dévouement, de questionnements sociaux et de valeurs autodictées par les autorités religieuses. Il livre sa version moderne et carrément déjouée, voire sarcastique, de cette foi qui offre du baume à l’esprit pour certains et des guerres pour d’autres. Sa voix, séjournant au milieu de ces mains frappées et de ces sermons moralisateurs, faite de puissances vocales, de chœurs polyphoniques et de ténors rocailleux, vous prend immédiatement à la gorge. Et si une main posée sur celle-ci empêche tant bien que mal leur montée, les larmes iront quand même ailleurs, du côté droit de l’abdomen.

Bien que « Work Song » et « Angel Of Small Death And The Codeine Scene » soient l’exact mélange de son engouement post-gospel, le stigmatiser dans ce registre serait une erreur. Andrew Hozier-Byrne a bien plus à donner. « Le blues de Chicago ou du Texas, Chess Records, Motown, avant que je ne découvre le jazz, mais surtout le blues du Delta – ce son si extraordinairement obsédant de musiciens comme Skip James, Blind Willie Johnson. Nina Simone, Billie Holiday et Tom Waits viendront plus tard. J’ai toujours été attiré par des chanteurs avec des voix qui vous hantent. Elles se tapissent au plus profond de votre âme. » Le contraste permanent de l’auteur-compositeur vient avec ses influences, qu’il tire et étire, nuancées et pleines de sentiments. Si « Take Me To Church », « Sedated » ou la fascinante « From Eden » reflètent une certaine tendance actuelle dans leurs constructions pop, elles parviennent pourtant à s’en défaire. La délectation des pistes se trouve dans ces nuances, qu’il les décline dans la country avec la chanteuse Karen Cowley (« In A Week »), dans le rock de « Jackie And Wilson » ou dans le folk de la belle « Cherry Wine », mais aussi dans la profondeur de ses textes, plus grande qualité de l’album.

Ce qu’Hozier emprunte au sacré et au religieux se vaut dans l’incompréhension et les invraisemblances qui s’en dégagent. D’un point de vue critique, il s’élève contre les lois discriminantes autour de la sexualité, la liberté et l’humanité, qui sont on ne peut plus d’actualité : « Take Me To Church est né de cette idée qu’un enfant entre dans ce monde par le péché. Avant d’être femme, gay ou une personne tout court, vous êtes coupable aux yeux de l’Église catholique, quelque chose dont vous devez avoir honte et pour lequel vous devez implorer le pardon. […] Cette doctrine m’inspire des opinions très fortes ; il y a eu beaucoup d’abus en Irlande, abus de pouvoir, sur des femmes, des enfants. C’est une organisation empoisonnée. Je n’y prêtais pas attention, mais en grandissant, son hypocrisie vous apparaît de plus en plus évidente. » Toutes ces interrogations de fond sont exprimées à travers une plume magnifique et extrêmement poétique, se servant de scènes iconoclastes afin de s’interroger sur qui on est vraiment, sur l’amour et son éloignement, sur le commencement du commencement, sur le serpent qui se mord la queue.

« Je glisse jusqu’ici, de l’Éden » chante-t-il, « Juste pour m’asseoir devant ta porte / une corde à la main, pour y accrocher ton autre homme à un arbre. » Mais encore dans son final : « Des soupçons de culpabilité jetés à mon visage, alors qu’elle se perd dans les draps d’un autre ». Ses écrits attendrissent autant qu’ils percutent, vacillant dans la beauté de son groove. Une convoitise rétrospective, une jalousie de beau romantique, des blessures avec douceur. Mais comme on peut le sous-entendre, à une lettre près, Hozier a les épines souples, mais venimeuses.

Hozier

« Hozier » d’Hozier, disponible le 6 octobre 2014 chez Rubyworks / Barclay.


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Julien Catala

chroniqueur mélomane, amoureux des échanges créés autour de la musique indépendante