[LP] Keaton Henson – Romantic Works

Habitué aux complaintes vocales du plus beau des déprimés, Keaton Henson nous livre avec « Romantic Works » l’instrumentale version de ses tristesses.

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Sans promotion, la surprise était de taille. À la veille d’une représentation unique au Southbank Centre de Londres, à minuit pile, une vidéo est publiée sur le mur Facebook de l’artiste. On y voit Keaton dans des loges, stressé jusqu’à la moelle, tournant en rond en agitant les mains. Puis on le suit de dos, porte après porte, couloir après couloir, jusqu’à une scène où on l’acclame de toute part. On s’attache néanmoins au son de la vidéo à l’instrumental mystérieux. On entend comme des notes de piano s’égoutter sur les cordes d’un violoncelle dans une ambiance morne et délavée. Stupeur quand le générique laisse entrevoir « Romantic Works – out now ». Les questions fusent : s’agit-il d’un EP ? D’un album ? D’une collaboration ? L’ensemble est encore flou et inattendu.

Quelques heures s’écoulent et le voile se lève. « Romantic Works » regroupe neuf morceaux de composition moderne, traduit chez Henson comme de la musique classique de chambre. Le soir venu, je m’apprête à rejoindre le Queen Elisabeth Hall pour le concert du barbu accompagné par le Josella String Ensemble (qui donne d’ailleurs son nom à une des pistes de l’album). Tout se connecte enfin, une logique menée au peigne fin. L’album est disponible sur un stand à l’entrée, je laisse un billet de £10 en sautant mentalement comme une puce puis entre copieusement dans la salle. Un piano à queue immense s’y trouve, 4 chaises en bois et une chaise à la manière d’un squat hippie, recouverte d’haillons de tissus pour Mr. Henson et sa guitare. Il démarre avec « Elevator Song », courbé sur le piano, parmi les réflexions dorées des projecteurs : 3000 miroirs en mosaïque façon Güell sont disposés au sol, permettant à la lumière de se propager en milliers de fuseaux dans le brouillard des fumigènes. L’environnement est surréaliste, unique. Le quartet sert subtilement ses nouvelles merveilles post-classiques, alternées par de délectables complaintes à la guitare (« You », « Lying To You ») qui ne font qu’envenimer la berlue du moment. Ce n’est évidemment pas une bête de scène (ses soufflets intempestifs traduisent sa gêne), mais le cœur entier y est.

La nuit d’après, l’album emplit mes oreilles. Les doléances tortueuses de « Dear » et de « Birthdays » se font la malle. Avec le violoncelle de Ren Ford, le délice se fait maintenant plus fin, plus intime. J’apprécie chaque nuance, chaque imperfection. Je considère une autre facette de l’homme, plus lyrique et étrangement plus joyeuse. « Petrichor » est lié à l’odeur particulière de la pluie sur la terre sèche, « Emissary » commet un crime passionnel et le sublime morceau « Healah Dancing » se termine sur une frustration. Un crescendo brisé, une question en suspension, comme celle qu’on fait généralement aux cieux. Une retenue qui permet au désir de monter, mais qui en limite la jouissance. Keaton coupe notre élan pour mieux travailler nos sens. On en reste la bouche pâteuse, les membres patauds et les yeux brouillés d’une peine étoilée.

Keaton Henson

« Romantic Works » de Keaton Henson est disponible depuis le 16 juin 2014 chez Oak Ten.


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Julien Catala

chroniqueur mélomane, amoureux des échanges créés autour de la musique indépendante