Adam + Binki = Coeur

Bien sûr qu’Adam Green, c’est la débauche sur scène. Manquer son tour bus parce qu’on est enfermé dans les toilettes d’une aire de repos et qu’on débarque en première partie des Strokes pour faire le lapin (Lyon, 2006). Demander au public de hurler des titres de chansons et finir par reprendre « Marylou sous la Neige » dans un français approximatif. Laisser le funk prendre le dessus et se lancer dans des pas de danse hasardeux (Trabendo, 2008). Assumer le pantalon mauve moulant, les sauts dans la foule et les crises de nerfs contre pieds de micros capricieux (L’Alhambra, 2008). Mais le Adam, il a trente ans. Les camps de vacances avec Kimya Dawson, la colocation avec Turner Cody, les fanfaronneries avec Carl Barat et les excès new-yorkais, c’est plus de son âge.

« Minor Love », dernier album en date, montrait déjà des signes de maturité. Même si parlait encore de poils et d’anus en croonant, ça sonnait plus sincère, plus fragile, plus abimé. Ça sonnait comme du Cohen cocaïné. C’était beau et c’était l’apothéose délicate d’une carrière solo quasi sans fautes et toujours assumée avec une belle folie sur scène. Il ne fallait pas le manquer Adam, car il ne décevait jamais. Jusqu’à vendredi dernier au Café de la Danse.

Il s’agissait du tout premier concert d’Adam en compagnie de la plus-belle-tu-meurs Binki Shapiro. Elle roucoulait déjà sur Little Joy, le side-project de Fabrizio Moretti, (batteur des Strokes et protagoniste de « Carolina », tout est lié). Et c’est aussi une mannequin paraît-il. Alors Adam s’est amouraché de la demoiselle et on ne peut pas lui en vouloir. Sauf que bizarrement, tout le monde semblait lui en vouloir à la fin de ce set très court, de ce premier enchaînement ressemblant plus à une répétition qu’à un concert.

Crédit : Carlotta Diozzi

Personnellement, j’ai trouvé ça mignon comme tout. Je savais bien qu’Adam allait rester en place parce qu’il buvait de l’eau et qu’il y a des signes qui ne trompent pas. Je savais bien qu’il n’allait pas jouer ses propres morceaux, car à quoi bon changer la formule si c’est pour la répéter ? Je savais que Binki allait agacer la gent féminine et s’attirer de nombreuses menaces de mort. Mais je ne savais pas que le public allait être aussi con et me gâcher autant mon plaisir.

Con, c’est peut-être un fort. Capricieux me semble plus juste. Quand t’as un ticket où c’est marqué « Adam Green ET Binki Shapiro », tu t’attends à quoi ? Amis parisiens, renseignez-vous avant d’aller à un concert. Je sais que pour vous, c’est très simple, que c’est blasant et que c’est comme d’aller chez le boulanger. Mais renseignez-vous un minimum et arrêter de geindre dès que ce qu’il se passe sur scène ne correspond pas à vos attentes. C’était un bel effort de votre part d’écouter au moins une chanson genre « Jessica » ou « Dance With Me » avant de venir et prendre votre air cool, mais c’était pas suffisant, car ce soir, c’était Adam Green ET Binki Shapiro. Avec une collection de nouvelles chansons en préparation d’un album qui sortira en janvier. Point. Pas plus, pas moins. Alors oui, 25 euros c’est cher, mais personne n’a mis de flingue sur la tempe à personne.

Crédit : Carlotta Diozzi

Alors forcément, au bout d’un moment, ça s’impatiente. Adam gratouille et Binki roucoule et les Parisiens râlent. Ma voisine tente dans un anglais misérable d’insulter la mannequin, les gros lourdingues derrière moi gueulent « remboursez » et personne n’est foutu d’apprécier ce qui aurait pu être un joli moment de douceur, une belle communion entre un artiste qui change et ses fans qui l’observent changer avec curiosité.
Moi, j’ai aimé parce que les chansons avaient beaucoup de charme. Elles le doivent en grande partie à Binki et au mariage parfait entre sa voix d’écolière et le timbre grave et désabusé du grand gamin qui se tenait à côté d’elle dans des fringues trop petites pour lui. Comme si l’ancien Moldy Peaches avait atteint la puberté et s’était trouvé une nouvelle compagne de jeu, à mille lieues de Kimya. Mais Kimya, c’était Kimya, et Binki est Binki et Adam, qu’on l’aime ou qu’on ne l’aime pas, a tout de même le droit de faire des rencontres et d’en tirer de nouvelles compositions, surtout lorsqu’elles sont aussi chaleureuses : le single « Here I Am », déjà consultable sur son site ou « Pity Love », une comptine qui ne méritait pas autant de haine.

Et puis ce n’était pas que de bêtes ritournelles, il y avait un peu d’expérimentation sonore derrière, avec un claviériste barjo et un batteur qui prenait son pied. La machine n’était pas toujours bien huilée, le mixage sonore était relativement mauvais, il fallait pas que Binki chante trop fort, il fallait pas qu’Adam en fasse plus que le nécessaire, mais ça m’a suffi. Certains ont crié au scandale, à la fumisterie. Et tout ce que j’aurais souhaité, c’est qu’ils le crient dans leurs têtes pour que je puisse savourer pleinement cet apéro avec mon vieux pote Adam et sa nouvelle copine (et la toujours sympathique Kate de This Is The Kit en première partie avec son banjo et beaucoup de courage, car il en fallait pour affronter une telle audience).

Oui, il s’est assagi. Mais est-ce pour ça qu’on doit le huer et lui balancer des trucs sur scène (histoire vraie) ? Qu’on le laisse boire de l’eau. Qu’on le laisse jouer la carte du duo adorable et inoffensif parce qu’il est adorable et inoffensif sans pour autant être lisse. Qu’on le laisse vieillir en paix, grandir, évoluer.

Merci Adam d’être passé nous dire bonjour et d’avoir répété devant nous. T’es un sacré branleur, mais c’est comme ça qu’on t’aime. Merci d’avoir cédé à un public ingrat digne de Newport 65 et d’être redescendu deux fois nous faire un « Getting Led » je-m’en-foutiste et un « Dance With Me » avec des relents de pas de danse et des saveurs d’avant. Maintenant, allons de l’avant, main dans la main, parce que je t’aime bien et que tu restes mon héros, malgré les Parisiens, malgré le prix de la place, malgré ton manque d’implication. Tu fais de la musique et c’est chouette. Tu peux compter sur mon indulgence pour encore longtemps.
Vivement janvier que j’écoute ça tout seul. Car il faut croire que moi aussi je vieillis, et que je vieillis en mode vieux con snob qui ne supporte plus de te partager avec des gens pas gentils avec toi. Mais j’ai beau être un fan qui vieillit, je suis toujours un fan et un ami.

adamandbinki.com
adamgreen.info

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Antoine Philias

Tombé dans le Mississippi quand j'étais petit, depuis, c'est du blues le jour et la nuit. En attendant la publication de mon ouvrage en vingt tomes sur Bob Dylan, j'écrirais des choses ici.